Vous est-il déjà arrivé de voir une seule phrase mettre le feu à une ville entière ? À Marseille, ça vient d’arriver. Un samedi soir dans la Friche de la Belle de Mai, un candidat balance calmement : « La police tue. » La salle applaudit, les réseaux s’enflambent, et le lendemain tout le spectre politique est en ébullition. Bienvenue dans la campagne des municipales 2026 version phocéenne, où chaque mot pèse une tonne.
Une phrase qui tombe comme un pavé dans la Canebière
Imaginez la scène. Près de mille personnes serrées dans un ancien entrepôt reconverti. Ambiance rouge et noire, drapeaux LFI, slogans qui claquent. Sur scène, Sébastien Delogu, député du coin et désormais candidat officiel à la mairie, partage le micro avec Assa Traoré. Quand il lâche que la police a tué son frère et qu’il faut continuer à le dire, même si « ça les fait criser », la salle explose.
Pour certains, c’est une évidence militante. Pour d’autres, c’est une insulte caractérisée à des milliers de fonctionnaires qui risquent leur peau chaque nuit dans les quartiers nord. Et là, tout part en vrille.
Le contexte qui rend la phrase explosive
Marseille, c’est particulier. Ici, la police nationale cohabite avec une délinquance ultra-violente liée au narcobanditisme. 49 homicides par balle en 2024, record national. Les habitants oscillent en permanence entre demande de sécurité massive et méfiance viscérale envers l’uniforme. Ajoutez à ça une campagne municipale où tout le monde veut incarner « l’ordre » ou « la justice sociale », et vous avez la recette parfaite pour l’embrasement.
Delogu le sait. Il a grandi dans les quartiers nord, il connaît les deux sons de cloche. Mais choisir de prononcer cette phrase-là, maintenant, avec Assa Traoré à ses côtés, c’est un pari risqué. Très risqué.
« Ça les fait criser quand on dit que la police tue. Mais la police, elle a tué son frère, donc il ne faut pas l’oublier. »
Sébastien Delogu, meeting du 7 décembre 2025
La riposte immédiate des adversaires
Le dimanche matin, c’est la déferlante. Le candidat du Rassemblement national sort une vidéo où il apporte son « soutien total » aux forces de l’ordre marseillaises « qui risquent leur vie contre les narcotrafiquants ». Le lendemain, il annonce avoir effectué un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale – celui qui oblige tout fonctionnaire ou élu à signaler un crime ou délit dont il a connaissance.
- Franck Allisio parle d’« injure publique envers l’administration »
- Martine Vassal, présidente du département, évoque une « ligne rouge franchie »
- Le nouveau préfet de région publie même un communiqué officiel pour dire son « indignation »
Même le maire sortant, pourtant classé à gauche, monte au créneau. Sur un plateau télé local, Benoît Payan lâche que c’est « une faute morale » et qu’on ne peut pas dire ça quand on brigue la deuxième ville de France. Il reconnaît qu’il y a « des affaires », qu’il connaît des familles endeuillées, mais refuse la généralisation.
Delogu en mode « personne ne me fera taire »
De son côté, le député ne recule pas d’un millimètre. Sur les réseaux, il répond au préfet que celui-ci « utilise les moyens de l’État pour faire de la politique » et qu’il espère sans doute « une promotion à l’Élysée ». Il conclut en listant les noms d’Adama, Nahel, Cédric, Zineb… « Personne ne me fera taire pour défendre leur mémoire. »
Et là, on touche le cœur du débat : où s’arrête la liberté d’expression politique et où commence l’outrage ?
Un débat juridique déjà bien rodé
En réalité, la phrase « la police tue » a déjà été jugée plusieurs fois. Les tribunaux ont parfois relaxé (lorsqu’elle était accompagnée de précisions factuelles), parfois condamné (quand elle était jugée trop générale). Tout dépend du contexte, de l’intention et de la formulation exacte.
Là, Delogu a pris soin de parler au passé (« elle a tué son frère ») et d’ancrer son propos dans un cas précis. Ça pourrait jouer en sa faveur. Mais le simple fait de dire « la police tue » au présent et sans nuance reste un terrain miné.
Ce qui est sûr, c’est que le signalement va aboutir à une enquête préliminaire. Et que, quel que soit le résultat, l’affaire aura marqué la campagne.
Pourquoi cette polémique tombe à pic (ou à pique)
À 100 jours du premier tour, chaque camp a intérêt à polariser.
- La droite et l’extrême droite se posent en défenseurs des policiers et de « l’ordre républicain »
- La gauche radicale veut incarner la lutte contre les violences d’État et parler aux quartiers populaires
- Le centre (Payan) tente de tenir la position impossible : reconnaître les dysfonctionnements sans jeter l’opprobre sur toute une institution
Résultat ? Marseille se retrouve une nouvelle fois coupée en deux. Ceux qui trouvent Delogu courageux. Ceux qui le trouvent irresponsable. Et entre les deux, une immense majorité silencieuse qui se dit simplement : « On veut vivre tranquilles. »
Et les Marseillais dans tout ça ?
J’ai discuté avec quelques habitants ces derniers jours. Une dame de la Belle de Mai : « Il a raison, il y a des bavures. Mais dire que la police tue, comme ça, c’est trop fort. » Un jeune des quartiers nord : « Enfin quelqu’un qui ose le dire ! » Un policier en civil croisé au café : « On se prend des pavés et des cocktails Molotov, et on nous traite de tueurs. Ras-le-bol. »
Comme toujours à Marseille, la vérité est plurielle. Et douloureuse.
Ce que cette affaire dit de la France de 2025
Plus largement, cette polémique est un symptôme. Symptôme d’une défiance croissante envers les institutions. Symptôme d’une radicalisation des discours à l’approche de chaque élection. Symptôme aussi d’une difficulté collective à parler calmement des sujets qui fâchent.
On peut être choqué par la phrase de Delogu sans pour autant nier qu’il existe des morts suspectes lors d’interventions. On peut soutenir les forces de l’ordre sans fermer les yeux sur certains comportements. Mais aujourd’hui, le débat public ressemble plus à un ring qu’à une agora.
Et c’est peut-être ça le plus inquiétant.
Vers une campagne sous haute tension
Une chose est sûre : à Marseille, les municipales 2026 ne seront pas une promenade de santé. Entre narcotrafic, pauvreté, surtourisme et fractures sociales, la ville a besoin de solutions concrètes. Pas seulement de slogans.
Mais pour l’instant, c’est la phrase « la police tue » qui occupe tout l’espace. Preuve que, parfois, six petits mots peuvent peser plus lourd que tous les programmes du monde.
Et vous, vous en pensez quoi ? La liberté d’expression doit-elle tout autoriser ? Ou y a-t-il des limites quand on brigue la mairie d’une ville de 900 000 habitants ?
La campagne ne fait que commencer. Attachez vos ceintures, ça va secouer.
