Vous êtes-vous déjà baladé sur le sentier côtier breton un matin d’hiver, avec ce vent iodé qui vous fouette le visage et cette sensation d’être seul au monde face à l’océan ? Moi oui, souvent. Et pourtant, en ce moment, une portion de ce paradis est tout simplement interdite d’accès. À Plougonvelin, dans le Finistère, une pollution massive aux matières fécales a forcé les autorités à fermer une partie du chemin qui surplombe la plage de Porsmilin. Et quand on vous dit « massive », on pèse nos mots.
Un taux d’E. coli qui donne le vertige
Imaginez : 10 millions d’unités formant colonies par 100 ml. Dix millions. Pour vous donner une idée, la norme européenne pour autoriser la baignade est à… 900 unités maximum. On est donc très, très loin du compte. Les analyses réalisées fin novembre ont révélé un niveau de contamination tellement élevé que la décision de fermer le sentier a été prise dans la foulée. Pas la plage en contrebas, attention – elle est à une centaine de mètres à vol d’oiseau –, mais le chemin qui passe juste au-dessus, là où les randonneurs posent leurs pieds tous les jours.
Cette fermeture n’est pas anodine. Le sentier côtier, c’est l’âme de la Bretagne. Fermer ne serait-ce qu’un tronçon, c’est priver les habitants et les visiteurs d’un bout de leur patrimoine vivant.
Deuxième alerte en moins d’un an
Ce qui rend l’histoire encore plus préoccupante, c’est que ce n’est pas la première fois. Au printemps dernier, un épisode similaire avait déjà touché la zone de Bertheaume, juste à côté. À l’époque, on avait parlé d’un possible acte malveillant pendant des travaux sur le réseau d’assainissement. Cette fois, la piste semble différente.
« On penche plutôt vers un assainissement individuel qui ne fonctionne plus correctement », explique-t-on du côté de la mairie.
En clair : une fosse septique défaillante, une maison mal raccordée, un système vétuste… Dans un secteur où les habitations sont peu nombreuses mais souvent anciennes, ce genre de problème arrive plus souvent qu’on ne le croit. Et quand ça arrive en bord de mer, les conséquences sont immédiates.
Comment une simple fosse peut-elle contaminer un sentier entier ?
C’est là que ça devient intéressant – et un peu effrayant. En Bretagne, le sol est souvent granitique, très perméable par endroits. Une fuite d’eaux usées peut très vite migruer en sous-sol, ressortir plus loin, parfois à flanc de falaise. Ajoutez la pluie (on en manque rarement ici) et vous obtenez un cocktail qui ruisselle tranquillement jusqu’à la mer… ou jusqu’au chemin de randonnée.
Et là, le danger n’est pas seulement esthétique. L’Escherichia coli, même si certaines souches sont inoffensives, peut être le signe de présence d’autres pathogènes bien plus méchants : salmonelles, hépatite A, norovirus… Marcher dans une zone contaminée, toucher une barrière, puis porter la main à la bouche, et vous avez gagné le jackpot.
- Contact cutané prolongé → irritations possibles
- Inhalation d’aérosols (vent marin) → risques respiratoires
- Ingestion accidentelle → gastro-entérite carabinée, voire pire
D’où la fermeture immédiate, et tant pis pour la balade dominicale.
L’enquête : entre police de l’environnement et pouvoirs du maire
Concrètement, deux niveaux d’investigation sont en cours. La communauté de communes du Pays d’Iroise s’occupe du technique : repérage des installations d’assainissement non collectif, contrôles, tests de fumée, caméras dans les réseaux… Du côté de la mairie, le maire a activé ses pouvoirs de police administrative. Traduction : il peut ordonner des travaux d’urgence, mettre en demeure les propriétaires, et même saisir la justice si nécessaire.
Et les sanctions peuvent être lourdes. Au civil : remise en état totale, dépollution des sols, parfois même contribution à la restauration du milieu naturel. Au pénal ? Amende, et potentiellement plus si la négligence est caractérisée.
J’ai déjà vu des propriétaires découvrir avec stupeur que leur fosse datait de 1973 et n’avait jamais été vidangée correctement. Parfois, c’est l’ignorance. Parfois, c’est la pingrerie. Dans les deux cas, la facture finit par tomber… et elle fait mal.
Un problème plus large que Plougonvelin
Soyons honnêtes : ce genre d’incident n’est pas isolé. En Bretagne, on recense chaque année plusieurs dizaines de pollutions bactériologiques liées à des assainissements défaillants. Le tourisme explose, les résidences secondaires se multiplient, et beaucoup de systèmes installés dans les années 70-80 arrivent en fin de vie. Résultat : des fuites silencieuses qui finissent toujours par se voir… ou par se sentir.
Et pendant ce temps, les associations écologistes tirent la sonnette d’alarme : on protège les zones Natura 2000, on limite les algues vertes, mais on oublie parfois l’ennemi invisible qui vient des jardins des particuliers.
Que faire quand on est propriétaire en bord de mer ?
Si vous possédez une maison en Bretagne avec assainissement individuel, voilà quelques réflexes à avoir (et croyez-moi, ça peut vous éviter bien des galères) :
- Vidange tous les 4 ans maximum (pas tous les 10 ans comme certains le croient)
- Contrôle SPANC obligatoire tous les 10 ans – ne le reportez jamais
- Attention aux signes avant-coureurs : odeurs, terrain spongieux, plantes qui poussent bizarrement luxuriantes
- En cas de doute, faites un diagnostic complet (ça coûte 300-500 €, c’est rien face à une dépollution à 50 000 €)
Parce qu’au final, le plus beau sentier du monde ne sert à rien si on ne peut plus y mettre les pieds.
Et maintenant ?
La portion fermée le restera « jusqu’à nouvel ordre ». Traduction : tant que les analyses ne seront pas revenues sous les seuils acceptables. Les équipes travaillent actuellement à identifier la ou les sources exactes. On parle de quelques maisons seulement dans le périmètre. Avec un peu de chance, le problème sera résolu avant les vacances de février.
En attendant, les randonneurs sont invités à contourner par les routes intérieures. Ce n’est pas la même magie, je vous l’accorde. Mais c’est toujours mieux que de risquer une gastro mémorable au milieu des ajoncs.
Cette affaire, finalement, nous rappelle une chose simple : la beauté sauvage de la côte bretonne est fragile. Elle dépend aussi de la responsabilité de chacun, même quand la maison est à 500 mètres de la mer et qu’on pense que « ça ne se verra pas ».
Alors la prochaine fois que vous marcherez sur le GR34, regardez bien où vous mettez les pieds. Et si jamais vous sentez une odeur bizarre près d’une propriété… vous saurez peut-être pourquoi certains tronçons finissent barrés d’un panneau rouge.
