Imaginez un peu : vous êtes patron d’une PME, et un de vos salariés vous demande régulièrement des vendredis ou des semaines entières pour aller risquer sa vie dans une caserne. Vous acceptez ? La plupart diraient non. Pourtant, en Seine-et-Marne, des centaines de dirigeants disent oui. Et sans eux, franchement, la moitié des camions rouges ne sortiraient plus.
Cette réalité, je l’ai découverte presque par hasard en tombant sur une cérémonie discrète organisée début décembre. Des patrons en costume, des pompiers en uniforme, des poignées de main, des labels remis comme des médailles. Rien de clinquant, mais une vérité brutale derrière les sourires : notre modèle de sécurité civile repose sur la générosité d’employeurs ordinaires.
Le volontariat, colonne vertébrale des pompiers français
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et ils sont vertigineux.
Dans ce département de 507 communes, on compte à peine 1 366 pompiers professionnels. Face à eux ? Plus de 3 000 volontaires. Autrement dit, près de 70 % des effectifs opérationnels ne touchent un vrai salaire de pompier que quelques jours par mois. Le reste du temps, ils sont électriciens, infirmiers, restaurateurs, informaticiens… ou patrons eux-mêmes.
Chaque jour, la moitié des gardes est assurée par ces citoyens lambda qui enfilent la tenue après leur journée de travail ou qui quittent leur bureau en pleine réunion parce que l’alerte retentit. Sans eux, des villages entiers n’auraient plus de secours à moins de 40 minutes. C’est aussi simple que ça.
Quand l’employeur devient le maillon invisible
Le hic ? Pour être disponible, il faut que l’employeur accepte de libérer le salarié. Parfois 5 jours par an. Parfois 30. Parfois 60. Et ça, ça ne tombe pas du ciel.
Prenez Benoit, patron d’une entreprise d’électricité à Annet-sur-Marne. Il accorde 30 jours par an à Loïc, 20 ans, qui court ensuite à la caserne de Mitry-Mory. Tous les vendredis, Loïc pose ses outils et enfile le casque. Benoit, lui, est aussi pompier volontaire depuis 2005. Il sait ce que ça représente. « C’est ma façon de rendre ce qu’on m’a donné », explique-t-il simplement.
« Sans vous, notre modèle de sécurité civile ne tiendrait pas. »
Le directeur départemental des pompiers, lors de la remise des labels
Cette phrase, lâchée lors de la cérémonie, a fait son effet. Parce qu’elle est vraie. Sans ces 256 conventions signées entre entreprises et casernes, c’est plus de 2 000 jours de disponibilité qui disparaissent chaque année. L’équivalent d’un centre de secours entier rayé de la carte.
Des grands groupes aux TPE : tout le monde joue le jeu
On pourrait croire que seules les grosses structures peuvent se le permettre. Erreur.
- Un restaurateur parisien (qui travaillait à Tournan-en-Brie) s’accordait lui-même 60 jours par an quand il était encore patron.
- Un hôpital de plusieurs milliers de salariés libère du temps à 26 de ses agents pompiers volontaires.
- Une entreprise de distribution de gaz offre 15 jours à chacun de ses 7 engagés.
- Des mairies, des PME d’électricité, des garages… la liste est longue.
Et attention, ce n’est pas de la philanthropie béate. Ces patrons y gagnent aussi.
Les avantages cachés d’avoir un pompier dans son équipe
D’abord, la sécurité sur le lieu de travail change du tout au tout. Un salarié formé aux premiers secours, à la gestion de crise, à la maîtrise du stress ? C’est de l’or. Dans un restaurant, une brûlure grave devient une petite blessure. Sur un chantier, une fuite de gaz est détectée avant la catastrophe.
Ensuite, l’image. Quand vos clients savent que vous soutenez les pompiers, ça parle. Ça rassure. Ça fidélise.
« C’est un peu notre marque de fabrique »
Un chef d’entreprise labellisé
Et puis il y a les soft skills. Un pompier volontaire, c’est quelqu’un qui sait prendre des décisions en quelques secondes, qui fonctionne en équipe sous pression, qui garde son calme quand tout s’emballe. Des qualités qui valent cher dans n’importe quel métier.
Une DRH d’hôpital le résume parfaitement : « On peut s’appuyer sur elle. Elle apporte une cohésion incroyable dans l’équipe. »
La crise des vocations rend ces partenariats vitaux
Car oui, il y a urgence. Le nombre de volontaire stagne, voire baisse dans certains départements. Les contraintes familiales, les trajets, la fatigue… beaucoup abandonnent après quelques années.
Du coup, chaque salarié qu’on arrive à garder grâce à la souplesse de son employeur, c’est une victoire. Chaque convention signée, c’est potentiellement des dizaines d’interventions assurées en plus.
Un chef de centre le confirme sans détour : grâce à huit conventions locales, sa caserne réalise 130 interventions supplémentaires par an. 130 fois où des gens ont été sauvés, secourus, protégés.
Et demain ? Un appel qui doit être entendu
La présidente du conseil d’administration du service départemental a été claire : « C’est un véritable appel que nous lançons. Rejoignez-nous ! Engagez-vous ! »
Les chambres consulaires présentes ont promis de relayer. Des outils existent : conventions-types, labels, accompagnement. Il n’y a plus d’excuse.
Franchement, quand on voit le nombre de postes vacants dans certaines casernes, on se dit que chaque patron qui accepte de jouer le jeu devient un peu un héros du quotidien. Pas de cape, pas de projecteur. Juste un salarié qui peut partir tranquille, sachant qu’il pourra sauver quelqu’un ce soir-là.
Alors oui, c’est contraignant. Oui, ça demande de l’organisation. Mais quand on entend un jeune de 20 ans dire « pour moi c’est un plaisir » en parlant de ses gardes, ou quand on voit un patron fier de montrer son label « employeur partenaire », on se dit que ça vaut largement le coup.
Parce qu’au fond, la sécurité civile, ce n’est pas que l’affaire des pompiers. C’est l’affaire de tous. Et certains l’ont compris avant les autres.
Si vous êtes employeur et que vous hésitiez encore… posez-vous la question : et si c’était votre maison qui brûlait ce soir ? Vous seriez drôlement content qu’un camion arrive rapidement, non ? Alors peut-être que libérer quelques jours à un salarié motivé, c’est le meilleur investissement que vous ferez jamais.
La Seine-et-Marne montre la voie. Espérons que le reste de la France suive.
