Vous est-il déjà arrivé de sentir votre cœur s’arrêter net parce qu’un poids lourd vous frôle à 90 km/h alors que vous n’avez que votre casque pour vous protéger ? Moi oui, et je peux vous dire que ça laisse des traces.
Dans l’agglomération de Cergy-Pontoise, des centaines de cyclistes vivent cette peur viscérale tous les jours en empruntant le pont qui relie Saint-Ouen-l’Aumône à Pontoise sur la départementale 14. Un ouvrage étroit, trois voies voitures, zéro espace dédié aux deux-roues. Résultat : 800 vélos et 10 000 véhicules se partagent chaque jour le même bout de bitume. Autant dire que c’est la roulette russe version francilienne.
Un pont devenu le cauchemar des cyclistes quotidiens
Imaginez la scène. Vous pédalez tranquillement pour aller au boulot, le vent dans le dos, et soudain vous arrivez sur ce pont. Plus de bande cyclable, plus de trottoir utilisable (trop étroit et réservé aux piétons), juste trois files de voitures qui klaxonnent parce que vous “gênez”. Certains roulent au milieu pour se faire voir, d’autres rasent le rail de sécurité en priant pour que personne ne les serre trop.
« La dernière fois, un camion m’a littéralement frôlé le guidon. J’ai senti l’air du déplacement, j’ai cru que c’était fini. »
Pascal, habitant de l’agglomération et cycliste quotidien
Et Pascal n’est pas un cas isolé. Sur les groupes Facebook locaux ou les témoignages pleuvent. Une mère de famille qui n’ose plus traverser avec ses enfants. Un livreur à vélo qui a fini à l’hôpital après un rétroviseur mal placé. Un étudiant qui prend désormais la voiture “parce que c’est trop dangereux”. Triste constat quand on sait que la pratique du vélo explose dans la région.
Un projet de passerelle qui faisait rêver… puis plus rien
Il y a fallu des années de mobilisation pour que les élus finissent par entendre les cyclistes. Un projet concret avait émergé : construire une passerelle dédiée accolée au pont existant. Large, sécurisée, éclairée, avec accès par rampes douces. Le genre d’aménagement qui change la vie.
Les plans étaient prêts. Les études réalisées. Même le financement semblait bouclé entre département, région et agglomération. Tout le monde s’accordait à dire que c’était urgent. Et puis… plus rien. Le projet vient d’être officiellement reporté à une date indéterminée. Autrement dit : rangé dans un tiroir pour très longtemps.
Les raisons ? Toujours les mêmes quand il s’agit de mobilité douce : “contraintes budgétaires”, “complexité technique”, “priorités ailleurs”. On nous ressort la vieille excuse du “on verra plus tard” pendant que les gens continuent de risquer leur peau.
Pourquoi ce report fait-il si mal ?
D’abord parce qu’il n’y a aucune alternative crédible. Les itinéraires de contournement font faire 8 à 10 km de plus, souvent sur des routes tout aussi dangereuses. Ensuite parce que ce pont est un axe stratégique majeur : il relie deux pôles économiques importants et concentre une bonne partie des trajets domicile-travail à vélo de l’agglomération.
- 800 cyclistes/jour en moyenne (et jusqu’à 1 200 certains jours de beau temps)
- 10 000 véhicules motorisés
- 0 mètre de piste cyclable sécurisée
- Plusieurs accidents graves recensés ces dernières années
- Une manifestation prévue ce samedi 6 décembre pour dire stop
Franchement, quand on voit les chiffres, on se demande comment on en est encore là en 2025.
Les cyclistes descendent dans la rue ce samedi
Face à ce énième renoncement, les associations locales ont décidé de ne plus attendre. Une grande manifestation à vélo est organisée ce samedi 6 décembre. Le principe est simple : bloquer pacifiquement le pont le temps de faire entendre leur colère et leurs revendications.
Ils demandent trois choses précises :
- La reprise immédiate du projet de passerelle
- En attendant, la mise en place de mesures transitoires (réduction de vitesse à 50 km/h, bande cyclable temporaire peinte, contrôle police renforcé)
- Une vraie concertation avec les usagers pour les futurs aménagements
Et honnêtement, on ne peut pas leur donner tort. Quand la sécurité des gens est en jeu, on ne peut pas se contenter de “on étudie la question”.
Le trottoir, cette fausse bonne idée qui met tout le monde en danger
Beaucoup de cyclistes, par peur, choisissent de rouler sur le trottoir. Problème : il fait à peine 1,20 m de large et est réservé aux piétons. Résultat ? Des conflits permanents avec les marcheurs, des risques de chute, et surtout… des amendes. 135 € pour “circulation sur trottoir” quand on essaie juste de rester en vie. Cher payé la sécurité.
« Je préfère payer une amende de temps en temps plutôt que de me faire écraser. Au moins je suis encore là pour la payer. »
Un cycliste anonyme croisé sur place
Cette phrase résume à elle seule l’absurdité de la situation.
Et ailleurs, ça donne quoi ?
À titre de comparaison, regardons ce qui se fait dans d’autres agglomérations. À Rouen, un pont similaire a reçu sa passerelle cyclable en 18 mois chrono. À Strasbourg, les ponts sur le Rhin sont tous équipés depuis longtemps. Même à Avignon, pourtant ville bien plus petite, les cyclistes traversent le Rhône en toute sécurité.
Alors pourquoi pas chez nous ? Mystère. On a pourtant les mêmes objectifs de réduction carbone, les mêmes plans vélo régionaux, les mêmes discours volontaristes. Mais quand il s’agit de passer aux actes… c’est une autre histoire.
Ce que ce report nous dit de nos priorités
Au-delà du pont, c’est toute la question de la place du vélo dans nos villes qui est posée. On nous parle sans cesse de transition écologique, de santé publique, de réduction des embouteillages. Mais quand il s’agit de construire 300 mètres de passerelle protégée, soudain plus d’argent, plus de place, plus de courage politique.
Le message envoyé est clair : la voiture reste prioritaire. Toujours. Partout. Même quand elle met en danger la vie d’usagers vulnérables.
Et ça, franchement, ça commence à bien faire.
Vers une solution durable ?
Il reste de l’espoir. La mobilisation de samedi peut faire bouger les lignes. Les élus locaux, sous pression, pourraient revoir leur copie. Des solutions techniques moins coûteuses existent (passerelle légère préfabriquée, réduction à 2 voies voitures + piste cyclable bidirectionnelle, etc.).
Mais pour ça, il faut que la voix des cyclistes soit enfin entendue. Pas juste écoutée poliment, mais réellement prise en compte.
Parce qu’un jour, il y aura un mort. Et là, on ressortira les discours larmoyants, les fleurs au bord de la route, et les promesses qu’on ne tiendra pas plus que les précédentes.
Alors si vous habitez dans le coin, venez samedi. Prenez votre vélo, votre gilet jaune, votre détermination. Parce que la sécurité, ce n’est pas négociable.
Et si vous n’habitez pas le Val-d’Oise, regardez quand même autour de vous. Il y a probablement un pont, une avenue, un carrefour où des cyclistes jouent leur vie tous les jours près de chez vous aussi.
Le combat est le même partout. Et il est temps qu’on le gagne.
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