Imaginez-vous un instant : après presque quatre années d’une guerre qui a bouleversé l’Europe entière, un simple week-end en Floride pourrait changer la donne. C’est exactement ce qui se profile en ce dernier week-end de novembre 2025. Une délégation ukrainienne s’apprête à fouler le sol américain pour parler paix. Pas n’importe quelle paix, mais celle que l’administration Trump veut imposer comme un tournant historique. Et pourtant, entre les lignes, tout reste suspendu à un fil.
Je ne vous cache pas que, comme beaucoup d’observateurs, je retiens mon souffle. Parce que derrière les communiqués laconiques se cachent des enjeux colossaux : la vie de dizaines de milliers de soldats, l’avenir territorial d’un pays entier, et peut-être même l’équilibre géopolitique du continent pour les décennies à venir.
Un déplacement ultra-discret qui en dit long
La nouvelle a filtré presque par accident. Des sources proches du dossier – et croyez-moi, elles sont de plus en plus rares à accepter de parler – confirment qu’une équipe de négociateurs ukrainiens prendra l’avion ce week-end direction les États-Unis. Le lieu exact ? Probablement la Floride, cet État ensoleillé qui semble devenir le nouveau QG officieux de la diplomatie trumpienne.
Ce qui frappe d’emblée, c’est le timing. À peine quelques jours après la présentation d’un plan américain revu et corrigé, Kiev envoie du lourd. Enfin, du lourd… avec une nuance de taille : l’homme qui devait initialement mener la délégation, Andriï Iermak, ex-bras droit tout-puissant du président ukrainien, ne sera finalement pas du voyage. Son limogeage éclair, vendredi dernier, a fait l’effet d’une petite bombe à Kiev. Corruption présumée, disent les uns. Réorganisation stratégique, répondent les autres. Toujours est-il que son absence change forcément la dynamique.
« La délégation prévoit de rencontrer la partie américaine à la fin de cette semaine »
– Une source anonyme proche des négociations
Le plan américain : de 28 points maximalistes à une version light
Revenons un peu en arrière pour comprendre où l’on met les pieds. Il y a une dizaine de jours, Washington dévoilait un document de 28 points qui, disons-le franchement, sentait la capitulation déguisée. Parmi les exigences initiales : la reconnaissance par Kiev des annexions russes dans le Donbass, une démilitarisation massive, et même une forme de neutralité forcée. Autant dire que le texte originel avait été vécu comme une claque à Kiev et dans la plupart des capitales européennes.
Puis il y a eu des consultations. Des nuits entières de discussions, paraît-il. Résultat ? Le plan a été largement toiletté. Les points les plus indigestes ont disparu ou ont été reformulés. Ce qui reste sur la table aujourd’hui ressemble davantage à un cadre général qu’à un diktat. Et c’est précisément cette version « adoucie » que les Ukrainiens viennent défendre – ou plutôt arracher – ce week-end.
- Plus de reconnaissance exigée des annexions
- Plus de démilitarisation unilatérale imposée
- Un accent mis sur un cessez-le-feu immédiat le long de la ligne de front actuelle
- Des garanties de sécurité encore floues mais évoquées
En clair, on est passé d’un scénario où l’Ukraine buvait la coupe jusqu’à la lie à un compromis qui, sans être idéal, laisse une porte de sortie honorable. Reste à savoir si Moscou va jouer le jeu.
Moscou pose sa ligne rouge : « Quittez les territoires ou on vous chasse »
Et là, on touche le cœur du problème. Jeudi, depuis Bichkek, le président russe a été on ne peut plus clair. Pour lui, la seule condition acceptable à un arrêt des hostilités reste le retrait pur et simple des forces ukrainiennes des quatre régions que la Russie considère comme siennes depuis septembre 2022 : Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijjia.
« Si les troupes ukrainiennes quittent les territoires occupés, nous cesserons les hostilités. Si elles ne partent pas, nous les chasserons par la force militaire. »
La phrase est brutale, presque militaire dans sa simplicité. Et elle pose un problème insoluble : ces régions, la Russie ne les contrôle pas entièrement. Dans certaines zones de Kherson et de Zaporijjia, les forces ukrainiennes tiennent encore des poches importantes. Exiger leur retrait reviendrait, de fait, à offrir sur un plateau des territoires que l’armée russe n’a pas réussi à conquérir en trois ans de combats acharnés.
Du côté ukrainien, la réponse ne s’est pas fait attendre : hors de question de céder un seul centimètre carré. La présidence l’a redit avec force ces derniers jours : le seul sujet réaliste, c’est un cessez-le-feu sur les positions actuelles. Point final.
Pourquoi la Floride et pourquoi maintenant ?
Question légitime. Plusieurs éléments se combinent. D’abord, l’administration américaine actuelle semble vouloir inscrire une grande victoire diplomatique à son actif avant la fin de l’année. Ensuite, le calendrier militaire joue : l’hiver approche, les deux camps sont épuisés, les pertes s’accumulent et les ressources commencent à manquer des deux côtés.
Enfin, il y a cette réalité brutale que personne n’ose trop formuler à voix haute : l’aide militaire occidentale, bien que toujours présente, montre des signes de fatigue. Certains pays européens rechignent à ouvrir de nouveaux crédits, les stocks s’épuisent, et l’opinion publique, trois ans après le début du conflit, commence à se lasser. Un cessez-le-feu, même imparfait, commencerait à ressembler à une soupape de sécurité bienvenue.
Les scénarios possibles (et réalistes) à l’issue de ce week-end
Permettez-moi de jouer les scénaristes un instant. D’après les échos qui remontent, trois issues semblent envisageables :
- Le scénario optimiste – Un accord de principe sur un cessez-le-feu immédiat, gel des lignes, création d’une zone démilitarisée surveillée par des observateurs internationaux. Les discussions sur le statut final des territoires seraient reportées à des négociations ultérieures, peut-être sous égide onusienne.
- Le scénario intermédiaire – Un accord partiel : cessez-le-feu dans le Donbass uniquement, statu quo maintenu ailleurs. Ce serait déjà énorme, mais ça laisserait des braises prêtes à s’enflammer à la moindre étincelle.
- Le scénario pessimiste – Les discussions capotent. Kiev refuse toute formulation ambiguë, Washington ne veut pas froisser Moscou avant même d’avoir entamé les discussions avec l’émissaire qui doit se rendre en Russie la semaine prochaine. Retour à la case départ, et reprise des hostilités avec une intensité décuplée.
Personnellement, je penche pour le scénario intermédiaire. Trop d’acteurs ont intérêt à un apaisement, même temporaire. Mais dans ce genre de négociations, une phrase mal tournée, un ego froissé, et tout peut basculer.
Et l’Europe dans tout ça ?
C’est peut-être l’aspect le plus inquiétant. Ces discussions se déroulent essentiellement entre Kiev et Washington, avec Moscou en ligne de mire. L’Europe, qui a pourtant porté l’effort de guerre à bout de bras pendant trois ans, semble reléguée au rang de spectatrice. Certains dirigeants commencent à grincer des dents. On parle de consultations parallèles, de contre-propositions, mais pour l’instant, le train est déjà parti sans eux.
Et c’est là que le bât blesse. Parce qu’un accord qui ignorerait totalement les intérêts européens en matière de sécurité risque de créer plus de problèmes qu’il n’en résout à long terme.
Ce que ce week-end nous dit de l’état du monde en 2025
Au-delà du conflit ukrainien, ces négociations en disent long sur la nouvelle donne géopolitique. On assiste au retour en force d’une diplomatie de puissance, où les grandes capitales discutent directement au-dessus des têtes des plus petites. La realpolitik est de retour, sans fard. Les principes, les valeurs, les engagements solennels passent au second plan quand il s’agit de mettre fin à une hémorragie.
Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Les deux à la fois, probablement. Une bonne nouvelle si cela permet d’arrêter les morts. Une mauvaise si cela consacre l’idée que la force finit toujours par primer sur le droit.
Quoi qu’il en soit, ce week-end en Floride ne sera pas un week-end comme les autres. Des milliers de vies, des frontières, peut-être même l’avenir de l’ordre européen se jouent autour d’une table, sous le soleil de la côte atlantique. Et nous, simples observateurs, n’aurons plus qu’à attendre le communiqué final pour savoir si 2025 entrera dans l’histoire comme l’année de la paix… ou comme celle d’un énième rendez-vous manqué.
Je vous tiens au courant dès que les premières fuites sérieuses tomberont. En attendant, croisons les doigts. Parfois, dans ce métier, c’est tout ce qu’il nous reste.
