Imaginez-vous coincé dans les bouchons interminables du sud-est parisien, à ronger votre frein entre Créteil et Villeneuve-Saint-Georges. Et soudain, au-dessus de votre tête, des cabines silencieuses filent à 20 km/h, transportant des milliers de voyageurs au-dessus du chaos. Ce n’est plus de la science-fiction : dès le 13 décembre 2025, ça sera la réalité quotidienne pour 11 000 Franciliens.
Ce projet, que tout le monde qualifiait de « fou » il y a encore quelques années, porte un nom tout simple : Câble 1. 4,5 kilomètres de ligne aérienne, cinq stations, dix-huit minutes pour relier la ligne 8 du métro à des quartiers jusqu’ici oubliés des grands réseaux. Et derrière cette petite révolution se cache un homme qu’on n’attendait plus : un ancien maire qui a cru à son idée quand personne d’autre n’y croyait.
L’idée qui a failli ne jamais décoller
Retour en arrière. On est au début des années 2010. Joseph Rossignol est maire de Limeil-Brévannes, une commune de 20 000 habitants coincée entre autoroutes et zones industrielles. Chaque matin, il voit ses administrés perdre une heure, parfois deux, pour rejoindre Paris. Les bus sont saturés, le RER D souvent en panne, et le métro s’arrête à Créteil, point final.
Un jour, lors d’un voyage en Amérique latine – oui, la Bolivie a joué un rôle inattendu dans l’histoire francilienne –, il découvre les téléphériques urbains de La Paz. Des lignes entières qui grimpent dans les quartiers populaires inaccessibles, fiables, peu coûteuses à l’usage. L’idée fait tilt.
« Quand je suis rentré, j’ai commencé à en parler autour de moi. Les gens me regardaient comme si je venais de proposer de construire une fusée sur la place de la mairie. »
Il faut dire que l’idée choque. Un téléphérique en Île-de-France ? On n’est pas à la montagne. On n’est pas non plus à Medellín ou Lisbonne. Ici, on a le métro, le RER, le tramway. Point. Les ingénieurs haussent les épaules, les élus voisins rigolent doucement, les services de l’État classent le dossier au rayon « sympathique mais irréalisable ».
Un combat solitaire qui devient collectif
Mais Joseph Rossignol n’est pas du genre à lâcher. Il commence par commander une étude de faisabilité – avec l’argent de sa commune, évidemment, personne d’autre ne veut payer. Les résultats tombent : oui, c’est possible. Moins cher qu’un tramway, plus rapide à construire qu’un métro, et surtout capable de franchir les obstacles (autoroutes, voies ferrées, zones inondables) sans toucher au sol.
Pendant des années, il va frapper à toutes les portes. Région, département, Île-de-France Mobilités, ministères… Partout on lui ferme poliment la porte. Jusqu’au jour où la présidente de la Région finit par accepter de recevoir le dossier. Le vent commence à tourner.
- 2016 : première étude sérieuse validée
- 2018 : inscription au contrat de plan État-Région
- 2020 : choix du tracé définitif malgré la crise sanitaire
- 2022 : début des travaux après des années de bataille administrative
- 2025 : ouverture imminente
Pourquoi un téléphérique et pas autre chose ?
La question mérite d’être posée. Pourquoi ne pas avoir prolongé le métro ? Trop cher (plusieurs milliards d’euros) et trop long (quinze à vingt ans minimum). Un tramway ? Impossible de franchir l’A86 et les voies SNCF sans expropriations massives. Un bus en site propre ? Encore des bouchons aux heures de pointe.
Le téléphérique, lui, présente des avantages qu’on découvre petit à petit :
- Coût : environ 135 millions d’euros (quand un kilomètre de métro coûte souvent plus de 200 millions)
- Vitesse de construction : cinq ans entre décision et ouverture
- Impact foncier quasi nul : seuls les pylônes touchent le sol
- Franchissement d’obstacles sans problème
- Émissions zéro en exploitation
- Accessibilité PMR totale (cabines de plain-pied)
C’est d’ailleurs devenu le plus long téléphérique urbain d’Europe, devant Brest et devant les projets en cours à Toulouse ou Grenoble. 4,5 km, 5 stations, 162 cabines de 10 places chacune qui circuleront toutes les 30 secondes aux heures de pointe.
Le tracé qui change tout pour le Val-de-Marne sud
Concrètement, ça donne quoi ? Départ de Pointe-du-Lac (terminus actuel de la ligne 8), survol de l’autoroute A86, arrêt à Limeil-Brévannes (Les Temps Durables), puis Valenton (Église), puis Villeneuve-Saint-Georges (Bois-l’Abbé et enfin gare de Villeneuve-Triage avec correspondance TVM et future ligne 12 du Grand Paris Express).
Pour les habitants, c’est une révolution. Prendre le métro à Créteil et être à Villeneuve en moins de vingt minutes sans changer, sans attendre, sans stress. Pour les étudiants, les salariés, les familles, c’est du temps gagné chaque jour. Et surtout, c’est une desserte enfin digne pour des quartiers populaires longtemps laissés pour compte.
Les craintes et les réponses
Évidemment, tout n’a pas été rose. Certains habitants ont eu peur du « survol » de leur jardin. D’autres ont craint les nuisances visuelles des pylônes de 40 mètres de haut. Il y a même eu des recours juridiques, des manifestations, des pétitions.
La réponse ? Un dialogue incessant, des réunions publiques à n’en plus finir, des modifications de tracé pour éviter les zones sensibles, et surtout une intégration paysagère soignée. Les pylônes ont été dessinés par des architectes, les stations sont pensées comme de véritables lieux de vie avec commerces et services.
« On a passé plus de temps à parler avec les riverains qu’à construire la ligne elle-même », confie un responsable du projet.
Un modèle pour demain ?
Ce qui est fascinant avec Câble 1, c’est qu’il ouvre une brèche. Déjà, d’autres projets de téléphérique urbain émergent en France : à Toulouse, Saint-Denis-en-France, ou encore en réflexion à Lyon et Marseille. Partout où le relief ou les obstacles rendent les solutions classiques trop compliquées ou trop chères.
Et puis il y a l’aspect écologique. Pas de diesel, pas d’embouteillages créés par les travaux, une consommation électrique ridicule (équivalent à quelques immeubles). Dans une région qui doit réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030, chaque solution compte.
Franchement, quand on voit le résultat – ces cabines qui vont commencer à voler dans quelques jours –, on se dit que parfois, il suffit d’un seul homme un peu têtu, un peu visionnaire, pour faire bouger des montagnes. Ou plutôt, pour passer au-dessus.
Le 13 décembre 2025, quand les premières cabines s’élèveront au-dessus du Val-de-Marne, ce ne sera pas seulement une nouvelle ligne de transport qui ouvrira. Ce sera la preuve qu’en Île-de-France aussi, on peut encore inventer des solutions inattendues aux problèmes du quotidien.
Et quelque part, en Bolivie, un ancien maire regardera peut-être les images en souriant. Il aura eu raison contre tous.
Alors, prêt à prendre de la hauteur ? Le ciel francilien n’a jamais paru aussi accessible.
