Il y a des matins où l’on se réveille et où l’on sent, vraiment, que quelque chose a changé dans sa vie. Pas le grand fracas d’une révolution de palace, non. Plutôt une petite piqûre dans la fesse, tous les deux mois, qui fait tomber une angoisse que l’on traînait depuis quinze ans.
C’est ce que vit Guillaume depuis le printemps dernier. À 32 ans, architecte, en couple ouvert depuis cinq ans, il fait partie des rares Français à tester la PrEP injectable, cette version longue durée du traitement préventif contre le VIH qui pourrait bien ringardiser la pilule quotidienne. Et franchement ? Il n’a jamais été aussi détendu dans sa sexualité.
Une liberté qui n’a plus besoin de rappel de smartphone
Avant, c’était le rituel. Tous les soirs à 22 h 17 précises, l’alarme « PrEP » vibrait. Une pilule, un grand verre d’eau, et parfois cette petite voix intérieure : « Et si j’avais oublié hier ? Et si j’ai trop bu la veille ? » Rien de dramatique sur le papier, mais à la longue, ça use.
Aujourd’hui, plus rien. Une injection de cabotégravir tous les deux mois dans un centre de santé sexuelle et c’est fini. Plus besoin de caler ses plans cul sur l’horaire de la prise, plus besoin de glisser la plaquette dans la trousse de toilette en voyage. « C’est con, dit-il en riant, mais je n’avais pas réalisé à quel point ce comprimé quotidien me rappelait que j’étais « à risque » en permanence. »
« J’ai l’impression d’avoir gagné deux heures de cerveau par jour. Deux heures où je ne calcule plus, où je ne vérifie plus, où je ne stresse plus pour rien. »
Guillaume, 32 ans
Comment fonctionne vraiment cette PrEP longue durée ?
Le principe est simple, presque trop beau pour être vrai. Le cabotégravir est un antirétroviral de la même famille que ceux utilisés dans les traitements du VIH. Injecté dans le muscle, il se libère lentement et maintient un taux suffisant dans le sang pendant huit semaines pour bloquer le virus en cas d’exposition.
Les études internationales sont formelles : l’efficacité dépasse les 99 % quand les injections sont bien espacées. Mieux, certains travaux montrent qu’elle pardonne même un petit retard de quelques jours, là où la pilule exige une régularité de moine tibétain.
- Injection tous les 2 mois (contre 1 pilule par jour)
- Efficacité équivalente voire supérieure en vie réelle
- Moins d’effets secondaires digestifs
- Pas d’interaction avec l’alcool ou les repas
- Pardon plus large en cas d’oubli
Et dans la vraie vie, ça donne quoi ?
Guillaume ne tourne pas autour du pot : sa vie sexuelle n’a jamais été aussi épanouie. « En couple ouvert, on a toujours été clairs sur les règles, mais il y avait ce fond d’anxiété permanent. Aujourd’hui, c’est fluide. Je peux dire oui à une proposition à 3 h du matin sans faire le compte des heures depuis la dernière pilule. »
Il raconte aussi les moments où, avant, il déclinait des plans par peur de l’oubli. Ou ceux où il rentrait en catastrophe pour avaler son comprimé. « C’était ridicule quand j’y repense, mais sur le moment, c’était plus fort que moi. »
Et puis il y a cette sensation nouvelle : celle de ne plus être « malade en sursis ». La PrEP orale, aussi géniale soit-elle, restait un traitement quotidien qui rappelait la menace. L’injection, elle, disparaît. On l’oublie. Et c’est peut-être ça, le vrai luxe.
Les petites piqûres qui piquent quand même
Attention, tout n’est pas rose. La première injection fait un bleu impressionnant. Les suivantes laissent parfois une boule dure pendant quelques jours. Et puis il y a le rendez-vous obligatoire tous les deux mois : prise de sang, dépistage IST, consultation. Ce n’est pas anonyme, c’est encadré, c’est médical.
Certains y voient un retour en arrière : « On voulait sortir du médical, et on se retrouve avec des piqûres. » Guillaume, lui, hausse les épaules : « Franchement, deux heures tous les deux mois pour être tranquille le reste du temps ? Je signe où ? »
Et les autres IST dans tout ça ?
Question légitime. La PrEP, qu’elle soit orale ou injectable, ne protège que du VIH. Les chlamydias, gonocoques et autres joyeusetés continuent de circuler joyeusement. Guillaume le sait, il continue le préservatif quand il sent que c’est nécessaire, et surtout, il se dépiste tous les trois mois sans faute.
Paradoxalement, l’injection a renforcé sa discipline : « Le rendez-vous tous les deux mois, c’est le moment où on parle vraiment de tout. J’ai jamais été aussi suivi. »
Vers une généralisation ?
Pour l’instant, la PrEP injectable reste expérimentale en France, réservée à quelques centaines de volontaires dans des essais cliniques. Mais les résultats sont tellement convaincants que beaucoup parient sur une arrivée sur le marché d’ici deux à trois ans.
Le prix ? Mystère. La version orale est remboursée à 100 %, l’injectable risque d’être plus chère à produire. Mais quand on voit le succès dans les pays où elle est déjà disponible, il y a fort à parier que la pression communautaire fera le reste.
Et puis il y a cette question qui flotte : est-ce que cette nouvelle liberté va changer profondément la culture gay ? Moins de capotes, plus de fluidité, moins de peur… On en revient presque aux années 70, mais avec la science en plus.
« On nous a tellement répété que le sexe sans risque n’existait pas que j’ai du mal à réaliser que, pour le VIH en tout cas, on y est presque. »
Guillaume, lui, ne philosophe pas trop. Il vit, tout simplement. Il sort, il rencontre, il rentre parfois seul, parfois accompagné, et le lendemain matin, il n’a plus cette petite boule au ventre qui disait « et si… ».
Une piqûre tous les deux mois. C’est tout ce qu’il a fallu pour que, trente ans après les premières campagnes de prévention, une génération entière respire enfin.
Et quelque part, c’est peut-être la plus belle revanche sur le sida : transformer une maladie qui a volé la spontanéité en une piqûre qui la rend.
