Vous vous souvenez de cette sensation, quand vous étiez au lycée et qu’un prof tombait malade juste avant les épreuves ? On se disait « bon, c’est embêtant, mais ça va se régler ». Là, on est loin du petit souci passager. Dans l’académie de Reims, des dizaines d’enseignants contractuels ont reçu un mail – un simple mail – leur annonçant que tout s’arrête net le 30 novembre. Le lendemain, les conseils de classe commencent. Vous avez bien lu : la veille.
Je ne sais pas vous, mais moi ça me glace le sang. Pas seulement parce que c’est brutal pour les profs concernés, mais parce que derrière chaque contrat qui s’arrête, il y a des classes entières qui se retrouvent sans enseignement pendant des semaines. Et on parle de terminales qui préparent le bac, de spécialités entières qui sautent…
Une mesure budgétaire qui tombe au pire moment
Officiellement, on nous parle de « fortes contraintes budgétaire ». Traduction : on serre la vis et on commence par les plus précaires. Sur les 650 remplaçants que compte l’académie, 33 voient leur mission s’arrêter brutalement. Ce n’est pas énorme en pourcentage, diront certains. Sauf que ces 33 personnes, c’est plusieurs centaines d’heures de cours qui disparaissent d’un claquement de doigts.
Et le timing est presque comique, si la situation n’était pas aussi grave. Le rectorat a choisi la toute fin novembre. Pourquoi ? Parce que les contrats courts s’arrêtent souvent à cette période, paraît-il. Mais faire coïncider la fin avec le début des conseils de classe, il faut le faire.
« On nous a signalé que des profs principaux ne seront plus là lundi matin, alors que les conseils de classe démarrent. »
Un responsable syndical local
Imaginez la scène : vous êtes parent, vous recevez le courrier pour le conseil de classe du trimestre, et le professeur principal… n’est plus là. Les bulletins sont à moitié remplis, les appréciations pas terminées. Bon courage pour trouver un sens à tout ça.
Des disciplines entières qui sautent jusqu’à Noël
Ce ne sont pas uniquement des heures d’appoint. Dans certains établissements, des enseignantes de SVT donnaient les six heures hebdomadaires de spécialité en terminale. Six heures. Plus personne. Pareil en anglais, en lettres, en sciences et techniques médico-sociales. Les élèves de bac pro ne sont pas épargnés non plus.
- SVT spécialité terminale : plus de cours
- Anglais renforcé : suspendu
- Lettres modernes : classes sans titulaire
- STMS en lycée pro : idem
- Mathématiques, histoire-géo… la liste s’allonge selon les établissements
Concrètement, des jeunes qui préparent le bac 2026 se retrouvent sans enseignement pendant trois à quatre semaines. Dans les matières à coefficient élevé, c’est une catastrophe. Et on sait tous que rattraper un mois de décembre en janvier, quand les programmes sont déjà chargés, c’est mission impossible.
Le cynisme du « revenez en janvier, peut-être »
Le plus dingue ? Le rectorat a glissé dans son mail que les personnes concernées seraient « prioritairement recontactées » si le besoin persiste au 1er janvier. Autrement dit : merci pour votre travail, bon courage au chômage un mois, et on vous rappelle si on a encore besoin de vous. Comme on rappelle un intérimaire.
Je trouve ça d’une violence rare. Ces enseignants – souvent jeunes, parfois en reconversion – ont accepté la précarité pour rendre service au service public. Ils ont corrigé des centaines de copies, préparé des cours parfois jusqu’à tard le soir, accompagné des élèves en difficulté. Et on les remercie comme ça.
« Si le besoin demeure au 1er janvier, vous serez prioritairement contactés… »
Extrait du mail envoyé par le rectorat
C’est l’ubérisation de l’Éducation nationale en direct. Et le pire, c’est que ça n’a rien de nouveau. L’an dernier, d’autres académies ont fait exactement la même chose. On dirait une stratégie nationale qui se déploie région par région.
La précarité, nouveau modèle de l’Éducation nationale ?
Il faut qu’on parle franchement : les contractuels ne sont plus des bouche-trous. Ils sont devenus le cœur du système dans certaines disciplines et certains territoires. Dans le second degré, on recrute à tour de bras des gens sans concours, avec parfois juste un master ou une expérience professionnelle. On leur promet une année, parfois moins, et on les jette quand les comptes ne tombent plus juste.
Et pendant ce temps, les concours restent désespérément boudés. Les salaires d’entrée, les conditions de travail, la charge mentale… tout repousse les candidats. Résultat : on comble les trous avec des précaires qu’on vire quand le budget tousse. C’est tenable, ça ?
- Manque chronique dans certaines disciplines (maths, anglais, allemand surtout)
- Concours peu attractifs (salaire, mutations, pression)
- Recours massif aux contractuels (parfois plus de 20 % des effectifs dans certaines académies)
- Gestion budgétaire au fil de l’eau : on embauche, on vire, on réembauche
On construit l’école de la République sur des contrats kleenex. Et ce sont les élèves qui trinquent.
Les élèves, les grands oubliés de l’histoire
On parle beaucoup des profs – et c’est normal, ils vivent une injustice flagrante. Mais les premiers impactés, ce sont les gamins. Un ado en terminale qui perd sa spécialité SVT un mois avant la fin du trimestre, il fait comment ? Il révise seul ? Il abandonne la matière ? Il change de spécialité en catastrophe ?
Dans les lycées pros, c’est encore pire. Les élèves ont besoin de stabilité, de repères, surtout quand le parcours est déjà chaotique. Virer leur prof titulaire en novembre, c’est leur envoyer le message que leur formation ne compte pas vraiment.
Et les conseils de classe ? Des professeurs absents, des bulletins incomplets, des appréciations rédigées à la va-vite par un collègue qui ne connaît pas les élèves. Le premier trimestre devient une farce. Les parents vont hurler, à juste titre.
Et maintenant ?
Les syndicats s’agitent, les parents commencent à comprendre ce qui se passe, les réseaux sociaux locaux s’enflamment. On va probablement voir des occupations de bahuts, des pétitions, des lettres ouvertes. Mais concrètement, les cours ne reprendront pas avant janvier dans le meilleur des cas.
Ce qui me met le plus en colère, c’est qu’on savait. Chaque année, on nous ressort la même rengaine : « manque de moyens », « ajustements budgétaires ». Et chaque année, on tape sur les mêmes : les contractuels, les AED, les AESH. Jamais sur les vrais postes de dépenses inutiles.
L’Éducation nationale mérite mieux que cette gestion en mode startup qui vire ses freelances fin novembre. Les profs méritent mieux. Et surtout, surtout, les élèves méritent mieux.
En attendant, dans les couloirs des lycées de Reims, Châlons, Charleville ou Troyes, des centaines d’élèves vont se retrouver face à des salles vides pendant que leurs profs rempliront leur dossier chômage. Joyeux Noël.
Si vous êtes parent dans l’académie de Reims, prof contractuel, ou simplement révolté par cette situation, dites-le en commentaire. Partagez les infos de vos établissements. Plus on sera nombreux à en parler, plus on aura une chance que ça change. Peut-être pas pour cette année, mais pour les suivantes.
