Vous arrivez parfois à imaginer qu’un ado de 14 ou 15 ans, celui qui prend le même bus que votre enfant, puisse vendre son corps pour quelques billets ou simplement pour se sentir exister ? Moi, pendant longtemps, je pensais que ça n’arrivait qu’ailleurs. Dans les grandes villes, la nuit, loin des pavillons tranquilles et des forêts des Yvelines. Et puis les chiffres tombent, brutaux, et on comprend que le mal est partout.
15 000 mineurs prostitués en France. Pas des estimations farfelues, mais le chiffre avancé par les associations qui sont au charbon tous les jours. Et dans un seul département, les Yvelines, on est passé de 39 signalements en 2023 à 65 en 2024, puis déjà 58 rien que pour les six premiers mois de 2025. Autant dire que la courbe explose. Face à ça, attendre les bras croisés n’est plus une option.
Un sixième lieu d’accueil pour briser le silence
Début janvier, un nouveau point d’accueil ouvre ses portes à Rambouillet. C’est le sixième dans le département, après ceux des Mureaux, Trappes, Mantes-la-Jolie, Saint-Germain-en-Laye et Versailles. Six points, ça peut paraître beaucoup. En réalité, c’est à peine suffisant quand on sait que la prostitution des mineurs ne connaît ni frontière sociale ni géographique.
Ce nouveau lieu est porté par le dispositif Ado-Sexo, piloté par une association spécialisée dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. L’idée est simple sur le papier, mais révolutionnaire dans les faits : proposer un endroit où les jeunes (et parfois leurs parents qui découvrent l’impensable) peuvent pousser la porte sans jugement et sans rendez-vous obligatoire.
Pourquoi Rambouillet et pourquoi maintenant ?
On a tendance à croire que la prostitution des mineurs, c’est un phénomène urbain, presque « normal » dans certains quartiers chauds. Erreur. Les signalements montrent que les victimes viennent de partout : des cités, oui, mais aussi des lotissements coquets, des villages paisibles, des lycées réputés. Rambouillet, avec son château, ses forêts et son image de ville bourgeoise, n’est pas épargnée. Loin de là.
Les professionnels expliquent que les recruteurs opèrent désormais majoritairement en ligne. Un message sur Snapchat, une promesse d’argent facile, un chantage affectif ou sexuel, et c’est le début de l’engrenage. L’adolescent n’a même pas besoin de se déplacer loin : les « clients » viennent à lui, parfois en pleine campagne. Ouvrir un lieu dans le sud du département, c’était combler un vide criant.
« On veut dire à ces jeunes qu’une autre vie est possible. Qu’on peut sortir de ça, même quand on a l’impression d’être allé trop loin. »
Une éducatrice spécialisée qui interviendra à Rambouillet
Derrière les chiffres, des histoires qui bouleversent
Quand on parle de prostitution des mineurs, on pense souvent « réseaux », « proxénétisme organisé ». La réalité est parfois plus insidieuse et donc plus difficile à repérer. Beaucoup de situations commencent par ce qu’on appelle la prostitution occasionnelle : un ado en rupture, en manque d’argent ou d’attention, qui accepte un « date » contre 50 ou 100 euros. Et puis ça dérape.
Il y a aussi les histoires de revenge porn qui tournent au cauchemar : une photo intime diffusée, un chantage, et le jeune se retrouve coincé. Les équipes d’Ado-Sexo racontent des cas où des collégiennes de 13-14 ans se retrouvent avec des agendas de « rendez-vous » tenus via des applications cryptées. C’est violent, c’est quotidien, et c’est souvent invisible pour les adultes.
- Une ado qui vend ses services après les cours pour payer son forfait téléphone
- Un garçon de 16 ans recruté par un « loverboy » qui lui promet l’amour éternel
- Une lycéenne qui pense « contrôler » la situation en ne voyant que des « clients gentils »
- Un jeune en foyer qui rembourse ainsi une dette contractée pour du cannabis
Chaque histoire est différente, mais le point commun, c’est la vulnérabilité. Et la honte, immense, qui empêche de parler.
Comment fonctionne concrètement ce nouveau point d’accueil ?
L’idée n’est pas de créer un énième guichet administratif. Ici, on mise sur la proximité et l’humanité. Les jeunes peuvent venir seuls ou accompagnés. Une psychologue, une éducatrice, un juriste : l’équipe est pluridisciplinaire et formée spécifiquement à ces situations.
Premier réflexe : écouter. Sans juger, sans minimiser. Ensuite, on évalue les dangers immédiats (risques de violences, maladies, grossesse…) et on propose un parcours adapté. Hébergement d’urgence si besoin, suivi médical, soutien psychologique longue durée, accompagnement judiciaire quand la victime est prête à porter plainte.
Mais le plus dur, et le plus beau, c’est la reconstruction. Apprendre à se regarder de nouveau dans une glace. Retrouver confiance. Réapprendre à rêver. Certaines anciennes victimes reviennent d’ailleurs comme bénévoles. Leur témoignage pèse plus lourd que mille discours.
Et la prévention, on en est où ?
On ne va pas se mentir : ouvrir des lieux d’accueil, c’est indispensable, mais ça reste du curatif. Le vrai défi, c’est d’agir en amont. Les associations interviennent déjà dans les collèges et lycées, mais on sent une vraie frilosité. Parler sexualité, consentement, dangers des réseaux sociaux… Beaucoup d’établissements freinent des quatre fers, par peur du scandale ou parce que « ça n’arrive pas chez nous ».
Résultat ? Les jeunes apprennent tout sur YouTube ou TikTok, auprès de comptes qui, parfois, font l’apologie du « sugar dating » ou du « fast money ». C’est une bombe à retardement.
Dans les Yvelines, certains principaux commencent à bouger. Des ateliers sont organisés, des affiches discrètes posées dans les CDI avec un numéro d’urgence. C’est un début. Mais il faudra bien plus pour inverser la tendance.
Ce que ça dit de notre société
Franchement, parfois je me demande où on va. Un gamin de 15 ans qui vend son corps parce qu’il n’a pas les moyens de s’acheter les dernières baskets à la mode, ou simplement parce qu’il se sent invisible à la maison… C’est un échec collectif. L’hyper-sexualisation, la pression consumériste, la solitude malgré les milliers d’« amis » sur les réseaux : tout ça forme un cocktail explosif.
Et puis il y a la clientèle. Ces hommes – car oui, ce sont majoritairement des hommes – qui savent parfaitement qu’ils ont affaire à des mineurs et qui passent à l’acte quand même. Des pères de famille, des cadres, des retraités. Des gens qu’on croise au supermarché. Ça donne le vertige.
« Le jour où on arrêtera de dire que ces jeunes « choisissent » cette vie, on aura fait un grand pas. Personne ne choisit ça. On y tombe. Et on a besoin qu’on nous tende la main pour en sortir. »
Vers une prise de conscience générale ?
L’ouverture de ce sixième point d’accueil à Rambouillet, c’est une bonne nouvelle. Pas une solution miracle, mais un signal fort : le département prend la mesure du problème. Reste à espérer que d’autres territoires suivront. Et surtout que la parole se libérera encore plus.
Parce qu’au final, chaque jeune sauvé, c’est une vie entière qui reprend son cours normal. Des études, des amis, des amours sains, des projets fous. Tout ce qu’on souhaite à nos enfants, en somme.
Si vous êtes parent, éducateur, simple citoyen : ouvrez les yeux. Parlez-en autour de vous. Et si un jour un ado vous semble bizarre, isolé, trop maquillé ou au contraire trop éteint, osez poser la question. Ça peut tout changer.
Parce qu’une autre vie, oui, c’est toujours possible.
(Article rédigé à partir de données publiques et de témoignages recueillis auprès de professionnels de la protection de l’enfance dans les Yvelines – décembre 2025)
