Imaginez. Votre enfant sort le soir, comme des milliers de jeunes de 19 ans. Il ne rentrera jamais. Quatre jours avant son vingtième anniversaire, il est fauché en pleine ville par une voiture lancée à toute allure. Le conducteur ? Complètement stone après avoir sniffé du protoxyde d’azote. Cette histoire n’est pas un scénario catastrophe. Elle est arrivée à Mathis, et sa mère, Laetitia, a décidé de transformer son immense douleur en combat.
On parle beaucoup du « gaz hilarant » comme d’une mode rigolote chez les ados. Des ballons, des rires déformés, des vidéos TikTok. Mais derrière les éclats de rire forcés, il y a des cerveaux abîmés, des pare-brise éclatés et des familles détruites. Et ça, on en parle beaucoup moins.
Quand le gaz qui fait rire devient une minute tue pour toujours
Le protoxyde d’azote, c’est ce gaz qu’on trouve dans les siphons à chantilly. Totalement légal en cuisine ou en médecine. Sauf que depuis quelques années, les jeunes le détournent massivement pour planer 30 secondes. Le problème ? L’effet euphorisant est immédiat, violent, et surtout il coupe toute notion de danger. Résultat : des jeunes montent en voiture, inhalent, et se croient invincibles.
Ce soir-là à Lille, le chauffard roulait à une vitesse folle pour échapper à la police. Il avait déjà consommé. Mathis traversait, tranquille. La vidéo tournée par un témoin est insoutenable. La voiture le percute de plein fouet. Il n’avait aucune chance.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Quelques semaines plus tard, à Alès dans le Gard, trois adolescents meurent noyés dans leur voiture tombée dans une piscine. Le conducteur ? Il avait aussi consommé du proto. Deux drames différents, même cause. Et malheureusement, ce ne sont pas des cas isolés.
Un vide juridique hallucinant
Le plus rageant, c’est que ce gaz n’est toujours pas classé stupéfiant. Depuis 2021, il est interdit de le vendre aux mineurs et dans certains lieux publics. Super. Sauf que n’importe qui de plus de 18 ans peut commander des centaines de cartouches sur internet en deux clics. Livraison en 24h, parfois même sans contrôle d’âge sérieux.
Quand la police arrête un conducteur avec dix bonbonnes dans le coffre, elle ne peut quasiment rien faire. Pas de retrait de permis automatique, pas de confiscation du véhicule, juste une petite amende si vraiment ils sont de mauvaise humeur. Autant dire que ça n’impressionne personne.
« On ne peut pas savoir siroter une bière au volant, on ne peut pas fumer un joint, mais on peut vider trois cartouches de proto et prendre le volant sans risquer grand-chose. C’est aberrant. »
– Un policier spécialisé en sécurité routière, dépité
Et le pire ? Il n’existe toujours pas de test salivaire fiable pour détecter la consommation récente sur la route. L’alcool, le cannabis, la cocaïne : on sait faire. Le protoxyde ? Rien. Du coup, les forces de l’ordre se retrouvent les mains liées.
Laetitia, une mère qui refuse le silence
Laetitia Polart aurait pu s’effondrer. Beaucoup l’auraient fait. Elle a choisi de se battre. Quelques semaines après l’enterrement de son fils, elle frappe à toutes les portes. Elle écrit aux ministres, aux députés, aux sénateurs. Elle veut une loi à la mémoire de Mathis.
Le 11 décembre, elle est reçue place Beauvau par trois ministres lourds : ceux de l’Intérieur, de la Justice et une ministre déléguée. Plus d’une heure d’entretien. Elle ne parle pas seulement de son fils. Elle parle de toutes les victimes anonymes du protoxyde.
Ses demandes sont précises, réalistes et urgentes :
- Classer le protoxyde d’azote comme stupéfiant hors usage médical et culinaire
- Interdire totalement la vente aux particuliers
- Permettre la confiscation immédiate du véhicule en cas de détention
- Créer des sanctions automatiques sur le permis (suspension, annulation)
- Développer enfin un test de dépistage routier fiable
À la sortie, elle est épuisée mais combative : « Les ministres ont promis d’agir vite. On verra. Parce que des promesses, elle en a déjà entendu…
Les précédents qui font froid dans le dos
Ce n’est pas la première fois qu’une mère endeuillée devient porte-voix d’une cause. On pense à ces parents qui ont obtenu la loi sur l’alcool au volant après la mort de leurs enfants. Ou ceux qui se sont battus contre le bizutage. Parfois, il faut un drame personnel pour que la société bouge enfin.
En attendant, les accidents s’enchaînent. Un jeune qui perd le contrôle sur l’autoroute après avoir inhalé dans l’habitacle. Un autre qui fait un AVC à 22 ans après des mois d’abus. Une ado qui se retrouve paralysée. Les urgences commencent à bien connaître les symptômes : fourmillements, pertes d’équilibre, troubles neurologiques graves.
Et pourtant, on continue à en vendre librement dans certains magasins ou sur le net. C’est comme si on laissait de l’héroïne en libre-service parce que « ça sert aussi en médecine ».
Ce que disent vraiment les jeunes
J’ai discuté avec plusieurs ados et jeunes adultes ces dernières semaines. La plupart savent que c’est dangereux. Mais ils minimisent : « C’est pas de la drogue dure », « Ça part en deux minutes », « Tout le monde le fait en soirée ».
Certains m’ont même dit : « Tant que c’est légal, pourquoi s’en priver ? » C’est là tout le cœur du problème. Quand un produit est accessible et pas (encore) interdit, il devient « cool » par défaut.
Un garçon de 17 ans m’a confié : « Si demain c’était classé stupéfiant, je pense que la plupart arrêteraient direct. Parce que là, on se dit que si c’était vraiment grave, l’État aurait déjà réagi. »
Vers une loi Mathis avant l’été ?
Les signaux sont plutôt encourageants. Plusieurs préfets ont déjà pris des arrêtés locaux : interdiction de vente la nuit, interdiction de détention dans certains départements. Mais c’est du bricolage. Il faut une loi nationale, claire, implacable.
L’avocat qui accompagne Laetitia est optimiste : « La réception au ministère engage moralement le gouvernement. Ils ne peuvent plus reculer sans perdre la face. »
En coulisses, on parle d’un texte qui pourrait être examiné dès le premier semestre 2026. Avec, peut-être, le nom de Mathis dans le titre officiel. Ce serait une belle reconnaissance. Et surtout, peut-être, le début de la fin pour ce fléau.
Et nous, on fait quoi en attendant ?
Parce que oui, il y a urgence. En attendant que les parlementaires se réveillent, on peut déjà :
- Parler franchement à nos ados (sans jugement, mais sans complaisance)
- Signaler les sites qui vendent sans contrôle d’âge
- Soutenir les associations de victimes qui se créent
- Faire pression sur nos élus locaux
- Relayer les témoignages comme celui de Laetitia
Parce que derrière chaque cartouche argentée, il y a potentiellement un Mathis. Un fils, une fille, un frère, une amie. Et aucune famille ne devrait vivre ça.
Laetitia conclut toujours ses interventions par la même phrase : « Je ne veux pas que la mort de mon fils soit inutile. »
Espérons que 2026 sera l’année où la France dira enfin stop à ce gaz qui fait rire… jusqu’à ce qu’il fasse pleurer pour toujours.
(Article écrit avec le cœur, en mémoire de Mathis et de toutes les victimes du protoxyde d’azote.)
