Vous est-il déjà arrivé de vous demander ce qui peut pousser une gamine de douze ans à fuir un foyer pour se retrouver, quelques jours plus tard, vendue à des inconnus dans une chambre d’hôtel ? Moi, quand j’ai pris connaissance de cette affaire, j’ai eu un haut-le-cœur. Parce que derrière les mots froids des communiqués judiciaires se cache une réalité qui donne la nausée.
On est en plein été 2025. Deux mamans, à quelques jours d’intervalle, signalent la disparition de leurs filles. L’une a douze ans à peine, l’autre un peu plus. Les deux sont placées, les deux ont fugué. Et puis, très vite, les indices convergent vers un appartement loué pour quelques jours au centre de Valence. Ce qui va être découvert là-dedans dépassera tout ce qu’on peut imaginer.
Un réseau rodé qui fonctionnait comme une petite entreprise
Ce n’est pas l’œuvre d’un prédateur isolé. Non. C’est un véritable système, presque une start-up du vice, monté par cinq gars entre 19 et 27 ans. Leur spécialité ? Repérer des adolescentes en rupture, souvent déjà connues des services sociaux, et les transformer en marchandise.
Ils prenaient tout en charge. Vraiment tout.
- Réservation des logements : hôtels bas de gamme ou appartements sur les plateformes de location saisonnière
- Photos des filles, parfois maquillées pour paraître plus âgées
- Rédaction des annonces sur les sites spécialisés
- Paiement des abonnements premium pour être en haut des résultats
- Déplacement en train ou en voiture d’une ville à l’autre
- Nourriture, vêtements, parfums, cadeaux… tout ce qu’il faut pour créer l’illusion d’une relation
- Et bien sûr, la « protection » : l’un d’eux restait dans la chambre d’à côté pendant les passes
En moins d’un an, ils ont sillonné Valence, Avignon, Saint-Étienne, Perpignan, Marseille… Deux jours ici, trois jours là. Une logistique de nomades du sexe qui rendait le travail des enquêteurs particulièrement compliqué.
Le profil des victimes : des enfants déjà brisés
Les six adolescentes identifiées ont toutes le même parcours, ou presque. Déscolarisées depuis longtemps. Familles éclatées. Plusieurs fugues au compteur. Placées en foyer par l’aide sociale à l’enfance. Bref, des proies idéales pour ceux qu’on appelle parfois les « loverboys ».
Le schéma est toujours le même : un jeune homme un peu plus âgé qui joue les amoureux transis, qui promet la belle vie, qui offre des cadeaux. Et puis, très vite, la demande : « Si tu m’aimes vraiment, tu vas m’aider… juste un peu… »
« Elles étaient furieuses contre nous. L’une a mordu un collègue, une autre a frappé un enquêteur. Elles nous ont dit qu’on leur gâchait la vie, que c’était leur choix. »
Un policier expérimenté, encore sous le choc des interpellations
Cette phrase m’a poursuivi pendant des jours. Parce qu’elle montre à quel point l’emprise peut être totale. À douze, treize, quinze ans, on peut être convaincu qu’on est amoureux de son bourreau. C’est terrifiant.
L’opération policière : plusieurs mois dans l’ombre
L’enquête a démarré modestement avec deux signalements de fugue. Mais très vite, les policiers ont compris qu’ils avaient affaire à quelque chose de bien plus vaste. Le parquet a confié l’affaire à la police judiciaire. Et là, le travail de fourmi a commencé.
Écoutes téléphoniques. Filatures. Surveillance des annonces en ligne. Analyse des paiements sur les plateformes. Petit à petit, le puzzle s’est reconstitué. On a découvert que le réseau fonctionnait au moins depuis le début de l’année 2025. Peut-être même avant.
Le coup de filet a eu lieu en deux temps. Quatre suspects interpellés mi-octobre à Marseille et Valence. Le cinquième, qui manquait à l’appel, a été cueilli un mois plus tard à Saint-Étienne. Tous ont été mis en examen pour proxénétisme aggravé – aggravé parce qu’il y a plusieurs victimes et qu’elles sont toutes mineures – et placés en détention provisoire.
Et les clients dans tout ça ?
Ce qui est glaçant, c’est qu’il y avait une demande. Une vraie demande. Les enquêteurs ont déjà identifié et entendu plus d’une douzaine de clients. Ces messieurs – parce qu’il s’agit majoritairement d’hommes – devront répondre de recours à la prostitution de mineur devant le tribunal correctionnel.
Et les peines ne sont pas symboliques :
- Jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende pour une mineure de plus de 15 ans
- Jusqu’à 10 ans et 150 000 € si la victime a moins de 15 ans
Mais l’enquête continue. D’autres clients sont probablement dans le viseur. Et on peut se demander combien ont passé entre les mailles du filet.
Hôteliers et plateformes dans le collimateur
Autre aspect qui risque de faire jurisprudence : la responsabilité des hébergeurs. Certains gérants d’hôtels ou propriétaires de logements saisonniers savaient parfaitement ce qui se passait sous leur toit. Des allées et venues suspectes, des filles très jeunes, des paiements en liquide… Ils ont fermé les yeux.
Ils risquent désormais d’être poursuivis pour proxénétisme hôtelier, un délit lourdement sanctionné : jusqu’à 10 ans de prison et 750 000 euros d’amende, sans compter la fermeture administrative possible de leur établissement.
Cette affaire pourrait bien marquer un tournant. On ne pourra plus dire « je ne savais pas » quand une chambre est louée trois jours à des jeunes gens qui reçoivent des dizaines de « visiteurs » différents.
Un phénomène bien plus large qu’on ne le croit
Ce qui s’est passé dans la Drôme n’est malheureusement pas un cas isolé. Ces dernières années, les affaires de prostitution de mineures explosent partout en France. Et le profil est souvent le même : des adolescentes en fugue, des « lovers » qui les manipulent, des annonces sur internet, des déplacements constants.
Ce qui change, c’est la banalisation. Certaines de ces jeunes filles ne se vivent plus comme des victimes. Elles parlent d’argent facile, de liberté, d’amour même. C’est le résultat d’une emprise psychologique extrêmement sophistiquée, renforcée par les cadeaux, la drogue parfois, et surtout par l’absence totale de perspectives ailleurs.
Et puis il y a cette phrase qui revient sans cesse dans les dossiers : « C’est mon choix. » À quatorze ans. Quand on a fui un foyer où on se sentait en prison. Quand on n’a plus personne. Quand on vous répète que vous êtes enfin libre.
Non, ce n’est pas un choix. C’est une illusion cruelle.
Que faire pour enrayer ce fléau ?
La répression, bien sûr, est nécessaire. Les cinq proxénètes sont en prison, c’est déjà ça. Les clients vont être jugés. Les hébergeurs peut-être aussi. Mais punir ne suffira pas.
Il faut repenser complètement la prise en charge des mineurs en danger. Les foyers actuels, souvent surchargés, ne parviennent plus à retenir les adolescents les plus fragiles. Il manque des structures spécialisées, des éducateurs formés à l’emprise, des moyens humains et financiers.
Il faut aussi s’attaquer à la demande. Sensibiliser. Expliquer que derrière chaque annonce un peu trop alléchante se cache peut-être une enfant. Que cliquer, c’est déjà participer au crime.
Et surtout, redonner de l’espoir à ces gamines. Leur montrer qu’il existe autre chose que la rue ou les bras d’un mec qui les détruira. C’est un travail de longue haleine. Mais on n’a plus le choix.
Parce que derrière chaque fugue, il y a une histoire. Derrière chaque annonce, une enfant. Et derrière chaque silence, une société qui a failli.
Cette affaire de la Drôme nous renvoie à nos responsabilités collectives. On ne peut plus regarder ailleurs.
