Vous avez déjà eu cette sensation que quelque chose est en train de basculer sans que personne ne semble vraiment le voir venir ? Moi oui, et ces derniers temps, c’est exactement ce que je ressens quand je discute avec des chefs d’entreprise. Pas les grands patrons du CAC 40 qui, eux, ont déjà un pied ailleurs depuis longtemps. Non, je parle des dirigeants de PME et d’ETI, ces boîtes de 50 à 500 salariés qui font vivre des territoires entiers. Eux, ils sont en train de vivre un véritable cauchemar éveillé.
Ils ne hurlent pas tous les jours dans les médias. La plupart bossent seize heures par jour et n’ont pas le temps de manifester. Mais quand on gratte un peu, quand on prend un café avec eux, là on entend des phrases qui font froid dans le dos. « Si ça continue, je ferme et je pars. » « J’ai déjà regardé les écoles internationales à Lisbonne pour les enfants. » « Ma succession, je la prépare en Belgique maintenant. » Ce n’est plus de la théorie. C’est du concret.
Un ras-le-bol qui n’est plus seulement fiscal
On a beaucoup parlé du ras-le-bol fiscal des ménages ces dernières années. Légitimement. Mais aujourd’hui, c’est une autre catégorie qui craque : celle qui crée les emplois, qui investit, qui prend tous les risques. Et le pire ? Personne ne semble réaliser que quand ces gens-là partent, c’est toute une chaîne qui s’effondre derrière eux.
Ce n’est pas nouveau, me direz-vous. On a déjà vu des départs. Sauf que là, le mouvement s’accélère de façon inquiétante. Et pour cause : les signaux envoyés par les dernières discussions budgétaires sont tout simplement terrifiants pour quiconque dirige une entreprise.
Des mesures qui tombent au pire moment
Reprenons calmement. On sort à peine d’une crise sanitaire, on a traversé l’inflation, la guerre en Ukraine a fait exploser les coûts de l’énergie, et maintenant on découvre que pour boucler le budget, on va peut-être taper encore plus fort sur ceux qui créent de la richesse. Sérieusement ? C’est le moment choisi pour ça ?
Les débats autour du budget de la Sécurité sociale ont été la goutte d’eau. Suspension de la réforme des retraites, concessions à certains partis politiques… Tout ça a un coût. Et devinez qui risque de passer à la caisse pour compenser ? Vous avez trouvé : les entreprises, encore et toujours.
« On est en train de creuser nos propres tombes. »
Un président d’organisation patronale, récemment
Quand on entend ce genre de phrase, on se dit que ça ne peut plus être juste du lobbying habituel. Il y a quelque chose de plus profond. Une forme de découragement total.
L’exil n’est plus un fantasme, c’est une préparation concrète
J’ai discuté il y a quinze jours avec le dirigeant d’une entreprise de 180 personnes dans l’Ouest. Fabrication de pièces pour l’aéronautique. Il m’a montré son dossier « Plan B ». Dedans ? Des devis d’avocats fiscalistes belges, des brochures d’écoles à Porto, une étude comparative des charges sociales entre la France et l’Espagne. Il n’est pas fâché. Il est juste fatigué. Fatigué de se battre contre des moulins à vent fiscaux qui tournent toujours dans le même sens : plus d’impôts, plus de charges, plus de complexité.
Et il n’est pas seul. Loin de là.
- Le Portugal reste la destination star : impôt sur les sociétés à 21 %, régime fiscal ultra-avantageux pour les nouveaux résidents.
- L’Espagne attire avec des régions comme la Catalogne ou l’Andalousie où la qualité de vie est exceptionnelle et la pression fiscale bien moindre.
- L’Italie propose même un forfait fiscal à 100 000 € par an pour les très hauts revenus qui s’installent.
- Et puis il y a Dubaï, pour ceux qui veulent couper radicalement avec le modèle européen.
Ces destinations ne sont plus des anecdotes. Elles sont devenues des options sérieuses, étudiées, chiffrées, comparées.
Ce que personne ne dit assez fort
On parle beaucoup des ultra-riches qui partent. Mais le vrai drame, c’est le départ des entreprises moyennes. Celles qui emploient 100, 200, 300 personnes. Quand le dirigeant part, c’est souvent toute la société qui suit, ou qui ferme. Et là, c’est des bassins d’emploi entiers qui vacillent.
Je pense à ces boîtes familiales qui se battent pour transmettre à la troisième ou quatrième génération. Elles regardent maintenant les droits de succession, les taxes sur les dividendes, l’impôt sur la fortune immobilière qui pourrait revenir par la fenêtre, et elles se disent : « À quoi bon ? » Transmettre devient un calvaire fiscal. Alors on vend à un fonds étranger, ou on délocalise la holding, ou pire, on laisse tomber.
Et pendant ce temps, on continue de croire que taxer plus va rapporter plus. Comme si l’Histoire ne nous avait pas déjà prouvé le contraire mille fois.
Une instabilité qui rend fou
Le problème n’est pas seulement le niveau des impôts. C’est surtout l’instabilité permanente. Un chef d’entreprise peut accepter de payer beaucoup s’il sait à quoi s’attendre sur dix ans. Mais quand les règles changent tous les six mois, quand chaque budget de fin d’année devient une loterie, là c’est impossible de planifier quoi que ce soit.
Comment voulez-vous investir dans une nouvelle usine si vous ne savez pas si, dans deux ans, la taxe sur la production va tripler ? Comment justifier auprès de vos banquiers un plan de développement si le cadre fiscal risque de sauter à la prochaine négociation parlementaire ?
C’est cette incertitude qui tue la confiance. Et sans confiance, pas d’investissement. Sans investissement, pas de croissance. Sans croissance, pas d’emplois. Le cercle vicieux est connu. On l’a déjà vécu.
Et si on inversait la logique ?
Parfois, je me demande ce qui se passerait si on essayait l’approche inverse. Au lieu de se demander combien on peut prélever sur ceux qui créent de la richesse, on se demanderait d’abord comment les encourager à en créer davantage. Ça paraît simpliste dit comme ça. Pourtant, tous les pays qui s’en sortent bien aujourd’hui fonctionnent sur ce principe.
Regardez l’Irlande. Regardez les Pays-Bas. Regardez même certains pays d’Europe de l’Est qui nous ont dépassés en attractivité. Ils n’ont pas fait de miracles. Ils ont juste compris une chose simple : une entreprise, ça se chouchoute. Parce que c’est elle qui paye les salaires, les cotisations, et in fine, les impôts.
En France, on a parfois l’impression qu’on punit ceux qui réussissent. Comme si le succès était suspect. C’est une vieille maladie culturelle, je sais. Mais elle nous coûte cher. Très cher.
Le point de non-retour approche
Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’on est peut-être en train de franchir un point de non-retour. Quand un chef d’entreprise commence à préparer son départ, il ne fait pas demi-tour facilement. Les démarches sont longues, coûteuses, compliquées. Une fois le processus lancé, il va jusqu’au bout.
Et quand suffisamment de décideurs auront franchi le pas, il sera trop tard pour pleurer. On aura beau baisser les impôts après coup, le mal sera fait. La confiance met des années à se reconstruire.
J’ai l’impression qu’on joue à un jeu dangereux. On teste les limites de la corde raide, en se disant qu’ils ne partiront pas vraiment. Qu’ils râlent mais qu’ils restent. Sauf que cette fois, ils partent pour de bon.
Et nous, on restera là, à compter les emplois perdus, les usines fermées, les territoires sinistrés. En se demandant comment on en est arrivés là.
Il est encore temps de changer de cap. Mais plus pour très longtemps.
La question n’est plus de savoir si le ras-le-bol fiscal des entreprises existe. Il est là, il est massif, il est profond. La vraie question, c’est : va-t-on enfin l’écouter avant qu’il ne soit trop tard ?
Parce que quand les créateurs de richesse partent, ce n’est pas seulement leur argent qui s’en va. C’est tout un modèle qui s’effrite. Et ça, aucun budget, même parfaitement équilibré, ne pourra le réparer.
