Vous souvenez-vous de l’époque où rater un tir était synonyme de punition immédiate ? Contre-attaque éclair, trois points faciles dans la foulée, game over. Pendant toutes les années 2010, la NBA a vécu à 200 à l’heure : plus de tirs à trois, plus de rythme, moins de gros bonnets sous le cercle. Et puis, presque sans qu’on s’en rende compte, quelque chose a changé. Les tirs ratés ne font plus aussi peur. Certains diront même qu’ils sont devenus… rentables.
Le grand retour d’un art presque oublié
Regardez les chiffres : le taux moyen de rebonds offensifs captés par les équipes est repassé au-dessus des 28 % cette saison, alors qu’il avait chuté jusqu’à 25,1 % en 2020-2021. On est encore loin des 35 % des années 90, mais la tendance est claire. Les coaches ont compris un truc tout simple : un tir pris après rebond offensif vaut bien plus qu’un tir « normal » en sortie de remise en jeu.
Concrètement ? Cette saison, une possession issue d’un rebond offensif rapporte environ 1,13 point en moyenne, contre seulement 0,98 point pour une possession classique après ballon récupéré en défense. Quinze centièmes, ça paraît peu. Sur 100 possessions, ça fait 15 points d’écart. Sur une saison, c’est énorme.
« Un tir raté n’est plus une erreur, c’est une opportunité. »
Un coach de l’Ouest, anonyme, cet été
Houston, laboratoire extrême de cette révolution
Si tout le monde a flairé le filon, une seule équipe a décidé d’en faire son identité absolue : les Houston Rockets. Quinzièmes au classement du vrai pourcentage de tir (eFG% à 54,7 %), ils ratent donc pas mal), ils possèdent pourtant la deuxième attaque de la ligue avec 122 points pour 100 possessions. L’explication ? Ils transforment chaque tir raté en seconde chance, encore et encore.
Ime Udoka n’a pas inventé le rebond offensif, mais il l’a poussé dans ses derniers retranchements. Son cinq est gigantesque : Alperen Şengün, Steven Adams, Clint Capela (même s’il joue peu), Jabari Smith Jr qui fait 2,11 m, Amen Thompson… Tout le monde mesure plus de 2,03 m et tout le monde va au rebond. Sans exception.
Le plus impressionnant, c’est la tactique du corner crash. Quand un joueur comme Reed Sheppard ou Cam Whitmore prend un tir à trois depuis le coin, les deux gars dans les corners opposés ne restent pas plantés : ils sprintent vers le cercle pour aider le pivot. Trois, parfois quatre Rockets se retrouvent sous le panier au moment où le ballon touche l’arceau. Résultat : même quand le tir est raté, la défense est complètement perdue.
Adams et Capela, duo de dinosaures magnifiques
On a beaucoup ri quand Houston a récupéré Clint Capela l’été dernier. « Ils ont déjà Şengün et Adams, pourquoi reprendre l’ancien ? » Eh bien justement. Capela joue dix minutes par match, mais ces dix minutes sont des minutes de terreur pour l’adversaire. Le Suisse et le Néo-Zélandais forment, ramenés à 36 minutes, deux des cinq meilleurs rebondeurs offensifs de l’histoire chez les joueurs à plus de 500 matches.
Steven Adams, c’est 120 kg de pure menace. Il ne saute pas forcément plus haut que les autres, mais il prend tellement de place que les défenseurs sont obligés de lui envoyer deux, parfois trois gars. Du coup, les aides défensives arrivent en retard, les lignes de passe s’ouvrent, et quand le ballon rebondit… il y a toujours un Rocket libre. Souvent Amen Thompson ou Jabari Smith qui traînent dans le coin et qui finissent le boulot tranquillement.
« Avec Steven sur le terrain, on dirait qu’on joue à 5 contre 4 en attaque. »
Un scout adverse, dépité
Des chiffres qui donnent le vertige
Quand on regarde les stats avancées, c’est presque comique. Sans Adams ou Capela sur le parquet, Houston capte un taux de rebond offensif dans la moyenne haute de la ligue. Dès qu’un des deux est là, l’équipe passe en mode bulldozer : plus de 40 % de rebonds offensifs captés et près de 30 points marqués en seconde chance par match. Personne d’autre n’est même proche.
- 1er de la ligue en points marqués sur seconde chance
- 1er en % de rebonds offensifs captés
- 1er en possessions supplémentaires générées
- 2e attaque globale malgré un pourcentage de tir moyen
En clair : Houston a trouvé la faille dans la matrice. Là où les autres équipes prient pour que le ballon rentre, les Rockets s’en fichent un peu. Ils savent qu’ils auront une deuxième, voire une troisième chance.
Et si c’était l’avenir du basket ?
Attention, je ne dis pas que tout le monde va se mettre à jouer avec trois pivots de 2,10 m. Le tir à trois points reste roi et le restera. Mais on sent que l’équilibre évolue. Oklahoma City a pris Daniel Theis et Isaiah Hartenstein, Denver garde Jokić entouré de grands, Minnesota domine la raquette avec Gobert et Naz Reid… Même les Warriors, temple du small-ball, ont récupéré des grands bodies cet été.
Le rebond offensif redevient sexy parce que les analytics le disent rentable, parce que les joueurs sont plus grands qu’il y a cinq ans (la taille moyenne au poste 4 est revenue à ce qu’elle était en 2012), et parce que les défenses, formatées pour switcher sur les écrans, peinent à « box out » correctement quand quatre mecs leur tombent dessus en même temps.
Et franchement ? C’est plutôt agréable à regarder. Il y a quelque chose de jouissif à voir un mastodonte comme Adams attraper un rebond au-dessus de la forêt de bras, servir un coéquipier démarqué, et voir la défense courir dans tous les sens. C’est sale, c’est physique, c’est vieux jeu… et ça marche diablement bien.
Le mot de la fin
La prochaine fois que vous verrez un commentateur s’énerver parce qu’un joueur rate un tir ouvert, rappelez-vous Houston. Chez eux, ce tir raté n’est pas une erreur. C’est le début d’une nouvelle possession. Et souvent, le début d’un panier facile.
Le basket évolue sans cesse. On a cru que le small-ball et le spacing avaient tué le rebond offensif. On s’est trompé. Il n’était qu’en sommeil. Et il revient plus fort que jamais.
