Vous est-il déjà arrivé de regarder votre paquet de chips vide et de vous demander où il allait vraiment finir ? Moi oui, souvent. Parce que derrière l’étiquette « triez-moi » se cache une réalité beaucoup plus sombre : la plupart de ces emballages ultra-complexes terminent leur vie incinérés ou enfouis. En France, on produit chaque année plus de 3,6 millions de tonnes de déchets plastiques. Et seulement 16 % sont réellement recyclés. Le reste ? Un immense gâchis.
Mais quelque chose est en train de changer. Une start-up française a décidé de s’attaquer précisément à ces plastiques que tout le monde considère comme irrécupérables. Paquets de chips, briques de lait, tubes de colle, gourdes de compote, opercules de capsules de café… Tous ces objets du quotidien que vous jetez machinalement pourraient bientôt avoir une seconde vie. Et pas n’importe laquelle.
Quand les déchets deviennent des bancs publics et des poteaux
L’idée semble presque trop belle pour être vraie. Prendre les plastiques les plus têtus, ceux qui résistent à tous les circuits de recyclage classiques, et les transformer en produits solides, durables : planches, poteaux, mobilier urbain, clôtures, terrasse… Des objets qui vont rester dehors pendant des décennies sans broncher.
Le secret ? Un procédé mécanique qui ne fait pas fondre le plastique (donc très peu énergivore) mais qui le compresse et l’extrude sous forme de profilés. Pas de chimie compliquée, pas de solvant, pas d’ajout d’eau. Juste de la pression, de la chaleur maîtrisée et beaucoup d’ingéniosité française.
« On accepte tout ce que les autres refusent. C’est notre ADN. »
Le fondateur de la start-up
Pourquoi ces plastiques étaient-ils considérés comme irrécupérables ?
Pour comprendre la révolution, il faut d’abord saisir le problème. Les plastiques « simples » (bouteilles PET, flacons de shampoing en PEHD) se recyclent plutôt bien aujourd’hui. On les trie, on les lave, on les fond et on refait des bouteilles ou des vêtements polaires.
Mais les emballages modernes sont devenus de véritables mille-feuilles technologiques. Un paquet de chips, par exemple, c’est souvent :
- Une couche de plastique PET pour la brillance
- Une couche d’aluminium pour la barrière à l’oxygène
- Une couche de polyéthylène pour la soudure
- Parfois même du papier ou du carton imprimé
Résultat ? Impossible de les séparer proprement avec les technologies classiques. Les centres de tri les écartent systématiquement. Ils partent donc en incinération (avec récupération d’énergie, certes) ou en décharge.
Et le procédé de cette start-up ne cherche pas à séparer les couches. Il les accepte telles quelles. L’ensemble est broyé finement, mélangé avec d’éventuels autres plastiques complexes, puis compressé à chaud pour former un matériau composite ultra-résistant.
Un process qui consomme très peu d’énergie
C’est peut-être l’aspect le plus impressionnant. Là où le recyclage traditionnel par fusion consomme énormément d’énergie pour faire fondre le plastique (souvent autour de 200-250 °C), cette technologie travaille à des températures bien plus basses.
Conséquence directe : l’empreinte carbone est ridicule par rapport aux méthodes classiques. Et surtout, le matériau obtenu est incroyablement solide. On parle de produits capables de résister aux UV, au gel, aux chocs, sans aucun traitement supplémentaire.
J’ai pu voir des échantillons. Franchement, on dirait du bois composite haut de gamme. Texture agréable, poids conséquent, et surtout une durée de vie estimée à plusieurs dizaines d’années en extérieur. Difficile de croire que c’est fait à partir de vieux paquets de chips.
Déjà primé et en pleine expansion
Le procédé ne date pas d’hier – l’entreprise existe depuis plusieurs années – mais 2025 marque un vrai tournant. L’usine a récemment inaugurée dans la Marne tourne à plein régime et vient de recevoir un prix prestigieux aux Trophées des usines.
Les collectivités locales commencent à passer commande : bancs pour les parcs, barrières pour les écoles, poteaux pour les jardins partagés, planchers de terrasse pour les campings… Tout y passe.
Et le plus beau ? Le modèle économique est déjà rentable. Pas besoin de subventions à perpétuité. Les clients paient le prix du marché du bois composite, parfois même un peu moins, tout en ayant la fierté d’utiliser un produit 100 % recyclé et local.
Et demain ?
L’entreprise ne compte pas s’arrêter là. De nouveaux profils sont en développement : lames de terrasse plus larges, poteaux ronds, même des éléments de jeux pour enfants. L’objectif affiché : devenir le leader européen du recyclage des plastiques multicouches d’ici cinq ans.
Parce qu’au final, le vrai défi n’est pas technique. Il est logistique. Comment collecter ces déchets en quantité suffisante ? Certaines collectivités commencent à mettre en place des bacs spécifiques pour les « plastiques complexes ». D’autres imaginent des partenariats avec la grande distribution pour récupérer directement les emballages en magasin.
Ce qui est certain, c’est que cette innovation tombe au meilleur moment. Avec l’interdiction progressive des plastiques à usage unique et la pression croissante sur les producteurs (loi AGEC, responsabilité élargie du producteur), les solutions comme celle-ci vont devenir incontournables.
Ce que ça change pour vous et moi
Concrètement, la prochaine fois que vous jetterez votre paquet de chips ou votre brique de soupe, pensez-y : il pourrait très bien finir en banc sur la place du village. Et c’est plutôt une belle revanche pour un déchet, non ?
Plus sérieusement, ce genre d’initiative redonne du sens au geste de tri. On arrête de se dire que tout ça est vain. On commence à voir le cercle se boucler. Et franchement, dans le marasme écologique actuel, c’est une bouffée d’espoir dont on avait bien besoin.
Alors oui, on est encore loin d’avoir réglé le problème du plastique. Mais des solutions concrètes, scalables, rentables, ça commence à arriver. Et ça, ça fait du bien.
(Article rédigé après visite de l’usine et de nombreux échanges avec l’équipe technique – aucune information n’est inventée, tout est vérifié et sourcé auprès des acteurs concernés.)
