Quand on parle argent public en France, il y a un endroit où tout le monde retient son souffle : la rue Cambon. C’est là que siège la Cour des comptes, cette institution parfois crainte, souvent citée, qui passe au peigne fin chaque euro dépensé par l’État, les collectivités, les hôpitaux ou les grandes agences. Et en ce moment précis, en pleine tempête budgétaire, elle va changer de patron. Pierre Moscovici tire sa révérence fin décembre. Et devinez qui se retrouve en pole position pour lui succéder ? Rémy Rioux. Oui, le même qui dirige l’Agence française de développement depuis 2016. L’information commence à faire son chemin dans les couloirs du pouvoir, et franchement, elle mérite qu’on s’y arrête cinq minutes.
Un départ qui ne passe pas inaperçu
Pierre Moscovici, 68 ans, aura passé cinq années et demie à la tête de la Cour. Nommé par Emmanuel Macron en 2020, l’ancien ministre de François Hollande laisse derrière lui une maison renforcée, plus médiatisée aussi. Il a su transformer certains rapports en véritables événements politiques – rappelez-vous celui sur la dette Covid ou sur les comptes de la Sécurité sociale. Des textes qui ont parfois fait très mal au gouvernement… y compris à celui qui l’avait nommé.
Il part maintenant pour Luxembourg, à la Cour des comptes européenne. Un poste prestigieux, presque une semi-retraite dorée pour un homme qui a tout connu : Bercy, Bruxelles, et maintenant la rue Cambon. Mais son départ laisse un vide. Et pas n’importe quel vide : celui du gardien des comptes publics au moment où la France flirte dangereusement avec les 6 % de déficit et où chaque annonce d’économies fait l’effet d’une bombe.
Rémy Rioux, l’homme qui coche (presque) toutes les cases
Alors pourquoi lui ? D’abord parce que Rémy Rioux, 56 ans, n’est pas un inconnu dans le paysage. Énarque, inspecteur des finances, il a déjà dirigé le Trésor, été secrétaire général adjoint du Quai d’Orsay sous Laurent Fabius, et surtout directeur de cabinet… de Pierre Moscovici à Bercy en 2012. Autant dire que les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Très longtemps.
Depuis 2016, il pilote l’Agence française de développement, cette machine à 13 milliards d’euros de budget annuel qui finance projets climatiques, hôpitaux, écoles ou réseaux d’eau dans les pays du Sud. Un poste exposé, technique, mais aussi très politique : l’aide au développement, c’est de la diplomatie par l’argent. Et Rioux s’en sort plutôt bien. Les rapports d’évaluation sont bons, les partenaires internationaux apprécient son style discret mais efficace.
« Il a une légitimité incontestable sur les finances publiques internationales et la gestion de gros budgets publics », confiait récemment un haut fonctionnaire qui le connaît bien.
En clair : il sait lire un bilan, gérer des équipes pluridisciplinaires et il n’a pas peur des sujets complexes. Exactement ce qu’il faut rue Cambon.
Un profil « de gauche » dans un contexte explosif ?
C’est là que ça devient intéressant. Rémy Rioux a été nommé à l’AFD par François Hollande. Il a travaillé avec Ségolène Royal, Pierre Moscovici, Annick Girardin… Bref, c’est un pur produit du hollandisme finissant. Dans un pays où la Cour des comptes est censée incarner l’impartialité absolue, certains vont forcément grincer des dents à l’idée de voir arriver un homme perçu – à tort ou à raison – comme proche de la gauche.
Moi, ce qui me frappe, c’est plutôt le timing. On est en décembre 2025. Le déficit dérape, la note de la France est menacée, le gouvernement cherche 60 milliards d’économies pour 2026 et là, paf, on nomme à la tête du contrôle des comptes publics un homme qui a passé neuf ans à gérer… de la dépense publique internationale. Vous voyez l’ironie ? C’est un peu comme mettre un grand chef pâtissier à la tête de Weight Watchers.
Mais attention, ce serait caricatural de résumer Rioux à ça. L’homme est rigoureux. Il a déjà montré qu’il savait dire non – demandez donc aux projets mal ficelés qui se sont vu refuser un financement AFD. Et surtout, il connaît parfaitement les rouages de l’État. Peut-être même mieux que certains ministres actuels.
Ce que ça dit du macronisme finissant
Parce qu’au fond, cette nomination – si elle se confirme – en dit long sur la fin du second mandat Macron. Le président n’a plus beaucoup de leviers. Les grandes réformes sont derrière lui, l’Assemblée est ingérable, et les postes clés qui restent à pourvoir, il faut les attribuer avant que tout s’arrête vraiment.
Nommer Rémy Rioux, c’est un choix de stabilité. Un choix technique. Un choix qui ne fera pas de vagues à gauche (où on appréciera le geste) et qui ne choquera pas trop à droite (parce qu’on sait qu’il est sérieux). C’est aussi, soyons honnêtes, une façon de placer un homme compétent sans créer de nouvelle polémique. Dans le contexte actuel, c’est presque un luxe.
- Un président qui part sans fracas
- Un successeur déjà dans les tuyaux depuis des mois
- Aucune candidature concurrente vraiment crédible qui émerge
- Une procédure qui, pour une fois, semble fluide
On est loin des guerres de succession qu’on a connues par le passé à la Cour des comptes. Vous vous souvenez de la bataille en 2010 entre Didier Migaud et Jean-François Copé ? Là, c’est presque trop calme. Suspect même.
Et la Cour dans tout ça ?
Ce qui m’intéresse surtout, c’est ce que ça va changer – ou pas – dans le fonctionnement de la maison. Parce que la Cour des comptes, ces dernières années, a pris une place énorme dans le débat public. Les rapports sur les HLM, sur les universités, sur la gestion de la crise sanitaire… Chaque publication fait la une.
Avec Rioux, on peut s’attendre à une continuité. Peut-être même un renforcement sur les sujets internationaux et climatiques – son domaine de prédilection. Lui qui a passé des années à défendre l’idée que l’aide au développement est un investissement et non une dépense, il pourrait pousser la Cour à regarder de plus près l’efficacité de nos engagements climatiques à l’étranger. Ça serait une nouveauté.
Mais sur les sujets brûlants nationaux – retraites, dette, hôpitaux – difficile d’imaginer qu’il soit plus clément que son prédécesseur. Au contraire. Quand on a géré des milliards dans des contextes parfois opaques en Afrique ou en Asie, on revient avec un regard encore plus aiguisé sur la rigueur.
Les autres pistes (qui n’existent presque plus)
Pour être complet, il y avait bien quelques noms qui circulaient il y a encore quelques mois. Un ou deux premiers présidents de chambre, une haute fonctionnaire respectée… Mais aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que le match est plié. Rémy Rioux a le soutien actif de plusieurs poids lourds de l’État et, surtout, il plaît à l’Élysée.
Le décret de nomination peut tomber n’importe quand d’ici la fin de l’année. Et une fois publié au Journal officiel, il sera inamovible jusqu’à ses 67 ou 68 ans. Autant dire que celui qui sera nommé maintenant pourrait bien accompagner la France jusqu’au milieu des années 2030. C’est pas rien.
Un mot de la fin
Franchement, je trouve que cette succession dit beaucoup de notre époque. On est dans une période où les profils techniques, discrets, compétents reprennent le dessus sur les profils politiques clivants. Rémy Rioux n’est pas un people. Il ne fait pas la une des magazines. Il ne twitte pas à tout va. Et pourtant, c’est exactement le genre de personne dont on a besoin pour tenir la barre quand le bateau prend l’eau.
Alors oui, certains trouveront ça fade. Moi, j’y vois plutôt un signe de maturité. Dans la tempête budgétaire qui s’annonce, mieux vaut un capitaine expérimenté qui connaît les récifs qu’un novice qui promet la lune.
La rue Cambon va changer de visage en douceur. Mais le regard qu’elle portera sur nos comptes, lui, risque de rester aussi sévère qu’avant. Peut-être même un peu plus.
À suivre, évidemment.
