Vous êtes-vous déjà demandé ce qui arrive quand les passionnés d’hier n’arrivent plus à passer le flambeau ? L’autre jour, en parcourant les petites annonces de commerces à reprendre en Normandie, je suis tombé sur une histoire qui m’a vraiment touché. Un magasin spécialisé chasse et pêche, tenu depuis trente-cinq ans par le même couple, cherche preneur. Et pas n’importe où : à Falaise, dans le Calvados, une ville où la campagne est encore bien vivante. Derrière les hameçons et les cartouches, c’est tout un bout de vie locale qui risque de disparaître.
Ils auraient pu baisser le rideau depuis longtemps. Officiellement, ils sont à la retraite. Mais non. Ils restent, ouvrent tous les jours, conseillent, règlent les lunettes de visée au laser (oui, ils ont même inventé leur propre méthode). Tout ça dans l’espoir qu’un jour, quelqu’un franchisse la porte et dise : « C’est pour moi. » Deux ans que ça dure. Et ça commence à peser.
Un commerce pas comme les autres
Ce qui rend cette boutique particulière, c’est déjà sa rareté. Dans le secteur hyper-spécialisé de la chasse et de la pêche, les indépendants se comptent sur les doigts d’une main. Les grandes enseignes ont pris le pli, avec leurs rayons standardisés et leurs vendeurs qui découvrent parfois le gibier en même temps que vous. Ici, c’est différent. On vous parle crosse de fusil comme d’une vieille amie, on vous raconte la dernière sortie à la carpe, on vous règle une visée en dix minutes avec une précision d’horloger.
Le gérant, pêcheur depuis toujours, s’est mis à la chasse en ouvrant le magasin. Trente-cinq ans plus tard, il a même mis au point une technique maison pour adapter la crosse d’un fusil au morphotype du tireur. Un petit truc au laser qu’il serait ravi de transmettre. « Si quelqu’un reprend, je lui montre tout, c’est cadeau », m’a-t-il glissé avec ce sourire un peu fatigué des gens qui ont donné toute leur vie à leur affaire.
« On a des clients qui sont devenus des copains. Je ne veux pas qu’ils soient obligés de faire cinquante bornes pour un paquet d’hameçons. »
Pourquoi c’est si dur de trouver un repreneur ?
Sur le papier, tout semble réunir les conditions d’une belle aventure entrepreneuriale. Une clientèle fidèle, un fonds de commerce sain, une réputation solide, un emplacement correct, et même une formation courte (trois semaines) pour la partie armurerie. Alors pourquoi personne ne saute le pas ?
Première piste : l’image parfois sulfureuse de la chasse. Pourtant, les gérants le disent eux-mêmes, les mentalités évoluent moins vite qu’on ne le croit. Après le Covid, la pêche a connu un vrai boom, les gens cherchaient l’air libre. La chasse, elle, se transmet encore de père en fils, même si le gibier se fait plus rare. Non, le vrai frein est ailleurs.
- Le contexte économique pèse lourd : entre inflation et incertitude, se lancer comme indépendant effraie.
- Les jeunes préfèrent souvent le salariat, même précaire, à l’aventure du commerce.
- Reprendre un commerce spécialisé demande un minimum de passion… et du temps pour l’apprendre.
- La concurrence du web : on commande ses plombs sur internet en deux clics.
Mais attention, le web ne remplace pas le conseil, le réglage, le petit truc que seul un vieux briscard connaît. Et c’est bien là tout le drame.
Le désert commercial qui guette les petites villes
J’ai remarqué un phénomène qui se répète un peu partout en France rurale : quand un commerce spécialisé ferme sans repreneur, il ne rouvre jamais. Un magasin de motos à Vire, une armurerie à Lisieux… la liste s’allonge. Et une fois le rideau baissé, c’est fini. Plus personne ne tente l’aventure dans le même créneau.
À Falaise, on le sent bien : perdre ce magasin, ce serait perdre un peu de l’âme du territoire. Les chasseurs du coin, les pêcheurs, les amateurs de tir sportif naissant, tous se retrouveraient orphelins. Et la ville, déjà pas très grande, perdrait encore un commerce de proximité. Un de plus.
« Reprendre, c’est plus facile que créer. Mais il faut oser. »
Une commerçante qui a vu trop de boutiques fermer
Et pourtant, des opportunités existent
Le couple ne baisse pas les bras. Ils voient même des pistes d’évolution. Le tir sportif, par exemple, explose depuis les Jeux olympiques. Les clubs se multiplient, les jeunes s’y mettent, les femmes aussi. Un rayon tir sportif bien développé pourrait booster l’activité.
La pêche reste un loisir populaire, et la Normandie regorge de rivières, d’étangs, de côtes. Quant à la chasse, même si elle perd du terrain, elle conserve une clientèle fidèle, souvent aisée. Bref, le potentiel est là. Il manque juste… le courage ou la folie douce de quelqu’un.
Parfois, je me dis que c’est une question de génération. Ceux qui ont cinquante ans aujourd’hui ont grandi avec l’idée que l’indépendance, c’est risqué. Les plus jeunes, eux, rêvent souvent de digital nomad ou de start-up. Qui pour reprendre ces belles affaires à l’ancienne, mais qui ont encore de belles années devant elles ?
Un appel du pied qui mérite d’être entendu
Si vous lisez ces lignes et que, quelque part, ça fait tilt… sachez que le magasin s’appelle « Les Trois Cannes ». Que les propriétaires sont des gens adorables, patients, prêts à accompagner la transition aussi longtemps qu’il faudra. Qu’ils ont même pensé à tout : formation, transmission des astuces, carnet d’adresses des fournisseurs.
Ils ne demandent pas la lune. Juste quelqu’un qui aime la nature, les gens, et qui a envie de faire vivre un commerce utile dans une petite ville qui en a bien besoin.
Parce qu’au fond, derrière cette recherche de repreneur, il y a une question plus grande : veut-on encore de ces boutiques où on entre pour un plomb et où on ressort avec une histoire ? Veut-on encore de ces derniers bastions où la passion se transmet de main à main, comme autrefois ?
Moi, je l’espère de tout cœur. Et quelque part dans le Calvados, un couple attend toujours que le bouchon plonge.
Et vous, vous connaissez des histoires similaires dans votre région ? Des commerces de passion qui cherchent désespérément un second souffle ? N’hésitez pas à partager en commentaire. Ces petites annonces-là méritent qu’on s’y arrête un instant.
