Imaginez la scène. Vous êtes dans les tribunes d’Ernest-Wallon un samedi soir de novembre, l’air est frais, l’ambiance bouillante. Et là, à la 50e minute, le speaker annonce le numéro 20. Le stade entier se lève comme un seul homme. Antoine Dupont revient. Neuf mois après s’être rompu les ligaments croisés à Dublin, le meilleur joueur du monde refoule une pelouse de Top 14. Frissons garantis.
Le retour qu’on attendait tous
Il y a des moments dans une carrière qui marquent plus que d’autres. Celui-ci en fait partie. Pas parce qu’il a joué 80 minutes et marqué quatre essais (même si on sait tous qu’il en est capable), mais parce qu’en 30 petites minutes il a rappelé à tout le monde pourquoi le rugby français tourne autour de lui depuis cinq ans.
Le Stade Toulousain vient de vivre une semaine compliquée. Histoire de salary-cap, convocation disciplinaire, enquête préliminaire… Autant de nuages noirs au-dessus du club double champion en titre. Mais le rugby a cela de magique : une fois le coup d’envoi donné, tout le reste disparaît. Et ce soir-là, il y avait deux hommes sur le terrain, mais un seul comptait vraiment aux yeux du public.
Une entrée en douceur… ou presque
Quand Ugo Mola décide de le lancer à la 50e, le score est déjà confortable (Toulouse mène largement). L’entrée est propre, presque discrète. Premier ballon, coup de pied de pression parfait. Deuxième ballon, accélération, raffût, 20 mètres gagnés. Troisième ballon… bon, il se fait un peu manger par son pote Gaël Fickou, mais on pardonne, c’est le baptême du feu.
Et puis arrive cette 63e minute. Bras roulé joué vite, Dupont sent le coup, accélère en travers, fixe, donne dans le dos de la défense. Matthis Lebel n’a plus qu’à plonger. Essai. Le stade explose. Et là tu te dis : non, vraiment, il n’a rien perdu.
« Le système n’a pas bougé, les mecs je les connais par cœur, donc les automatismes sont très bien revenus. »
Antoine Dupont, juste après le match
Cette phrase résume tout. Le génie de Dupont, ce n’est pas seulement sa vista ou sa vitesse. C’est sa capacité à lire le jeu trois temps à l’avance, à savoir exactement où sera son ailier dans quatre secondes. Et ça, même neuf mois sans compétition, ça ne s’efface pas.
Des chiffres qui parlent… déjà
- 38 mètres ballon en main
- 23 passes (dont plusieurs décisives)
- 7 coups de pied (tous utiles)
- 2 plaquages (propres)
- li>1 passe après contact qui fait lever le stade
Pour 30 minutes, c’est énorme. Surtout quand on sait qu’il sort d’une rupture des croisés, la blessure que tout rugbyman redoute. À titre de comparaison, certains joueurs mettent six mois à retrouver leurs appuis après ce genre de blessure. Lui, il lui a fallu… trois rucks.
Matthis Lebel, double buteur de la soirée, ne s’y trompe pas :
« Il est parti pour donner des maux de tête à pas mal d’équipes. »
Un hommage à Pita Ahki en toile de fond
Il ne faudrait pas oublier que cette soirée était aussi celle des adieux de Pita Ahki. Sept ans, sept boucliers de Brennus (ou presque), le centre néo-zélandais a été célébré comme il se doit. Standing ovation, vidéo hommage, maillot encadré… Tout y était.
Mais même dans ce moment chargé d’émotion, Dupont a réussi à ramener un peu la lumière sur lui. Pas par égo, non. Simplement parce que quand il touche le ballon, le temps se fige. C’est comme ça.
Le plus beau, c’est que les deux histoires se répondent. L’un part vers de nouvelles aventures en Nouvelle-Zélande, l’autre revient d’entre les morts sportifs. L’ancien et le nouveau Toulouse, en quelque sorte.
Et maintenant ?
La grande question, c’est : où va-t-il s’arrêter ?
Parce qu’on l’a vu hier soir : il n’est pas à 100 %. Il l’a dit lui-même, il lui manque encore un peu de caisse, quelques appuis à affiner. Mais même à 80 %, il reste au-dessus du lot. Alors à 100 %…
Le calendrier qui arrive est chargé :
- Perpignan à l’extérieur
- La Rochelle à domicile
- Leinster en Champions Cup
- Puis le Tournoi des 6 Nations
Autant dire que les défenses vont devoir réviser leurs plans. Parce que quand Dupont est là, même en mode diesel, ça déménage.
Ce que ça change pour le Top 14
Avec ce retour, Toulouse envoie un message clair : on reste les patrons. Même avec les affaires extra-sportives, même avec les blessures, même avec les départs. Le groupe est solide, le banc profond, et maintenant le chef d’orchestre est de retour.
Le Racing, pourtant solide cette saison, en a pris 48. Clermont, La Rochelle, Bordeaux… tout le monde a vu le match. Tout le monde a compris.
Et quelque part, c’est presque injuste. Les autres clubs se battent pour grappiller des points, construisent leurs saisons brique par brique. Toulouse, eux, attendent juste que leur magicien remette son costume.
Un mot sur la blessure et la rééducation
On en parle peu, mais neuf mois sans jouer au rugby après une rupture des croisés, c’est énorme. Beaucoup de joueurs ne reviennent jamais au même niveau. Lui, il donne l’impression de n’être jamais parti.
Ses premiers appuis ? Nickels. Sa lecture ? Toujours aussi affûtée. Sa défense ? Présente. Même son jeu au pied, souvent critiqué avant sa blessure, semble plus précis.
Il l’a dit lui-même : « J’ai encore un peu de boulot. » Traduction : je ne suis qu’à 80-85 %. Traduction bis : priez pour nous.
Conclusion : le phénix rouge et noir
Ce retour n’est pas qu’un événement sportif. C’est une déclaration. Antoine Dupont n’est pas seulement revenu. Il est revenu plus fort, ou en tout cas avec la même faim qu’avant. Et dans un sport où l’intensité ne pardonne pas, c’est terrifiant pour les adversaires.
Alors oui, c’était « seulement » 30 minutes. Oui, c’était « seulement » contre le Racing. Mais parfois, il ne faut pas plus pour comprendre que le roi est de retour.
Et quand le roi revient, le royaume tremble.
Prochain rendez-vous : Perpignan le week-end prochain. On prend les paris : combien de minutes avant son premier essai de la saison ?
PS : Si vous n’avez pas vu le match, trouvez la rediff, ne serait-ce que pour la 63e minute. Vous comprendrez.
