Vous vous imaginez à la retraite, tranquille, avec la petite pension qui tombe chaque mois et les après-midis à regarder les infos en sirotant un café ? Moi, c’est l’image que j’en avais. Et puis il y a ces affaires qui vous rappellent que la réalité, parfois, dépasse toutes les séries policières qu’on peut binge-watcher le dimanche soir.
Prenez deux sexagénaires, cheveux poivre et sel, l’air fatigué de ceux qui ont déjà vu pas mal de choses dans leur vie. L’un ouvre la route, l’autre suit avec le « colis ». 192 kilos de résine de cannabis bien calés dans cinq grosses valises. Direction : le nord de l’Europe, probablement. Sauf que le voyage s’arrête net sur un péage de la Drôme. Et là, rideau.
Quand la retraite rime avec récidive
Ce qui frappe d’entrée, c’est l’âge. 58 et 61 ans. À cet âge-là, la plupart des gens pensent aux voyages organisés ou aux parties de pétanque. Eux, ils repensaient aux « bons plans » d’autrefois. Parce que oui, les deux hommes n’en étaient pas à leur coup d’essai. Leur casier judiciaire ressemble à un album de famille un peu trop chargé.
Ils l’ont dit eux-mêmes devant le tribunal, sans détour : c’est l’argent. Rien d’autre. Pas la pression d’un réseau, pas la menace sur la famille, non. Juste le besoin – ou l’envie – de remplir un peu plus le portefeuille. Une phrase qui revient souvent dans ce genre de dossiers et qui, franchement, laisse toujours un goût amer.
Le scénario classique du go-fast
Pour ceux qui ne sont pas familiers du terme, un go-fast, c’est la Formule 1 du trafic de stupéfiants. Deux voitures, parfois plus. La première ouvre, repère les patrouilles, avertit si ça sent le roussi. La seconde transporte la marchandise. Vitesse élevée, changement d’itinéraire au dernier moment, plaques fausses, téléphones jetables. Tout un art.
Ce jour-là, l’ouvreur a senti quelque chose. Il a quitté l’autoroute, pris la nationale. Mauvais calcul. Les enquêteurs suivaient depuis un moment. Le filet s’est refermé au péage de Tain-l’Hermitage. Fin de la course.
192 kilos, cinq valises, 900 000 euros à la revente
Derrière les chiffres, il y a la mécanique bien rodée du trafic Maroc-Espagne-France. Séville comme point de chargement, un GPS envoyé par SMS, une Peugeot 5008 volée quelques jours plus tôt, et hop, direction le nord.
- 5 valises traditionnelles marocaines, reconnaissables entre mille
- 192 kilos de résine soigneusement conditionnée
- Prix de gros estimé : entre 2 et 3 euros le gramme en Espagne
- Prix à la revente en France : jusqu’à 8-10 euros le gramme selon les villes
- Benefice potentiel : proche du million d’euros
Un pactole qui fait tourner la tête, même quand on a passé l’âge de courir.
Au tribunal : pas de cinéma, juste la réalité
L’audience a été rapide. Les deux hommes n’ont pas cherché à nier. Cheveux grisonnants, voix posée, ils ont reconnu les faits dès le début. On sent presque la lassitude. Comme si, quelque part, ils s’attendaient à ce que ça finisse comme ça.
« On a eu besoin d’argent, c’est tout. On savait les risques. »
Cinq ans ferme pour l’un, quatre pour l’autre. Des peines lourdes, mais dans la fourchette habituelle pour ce type de quantité et surtout avec la récidive. Le message est clair : l’âge n’efface pas le passé judiciaire.
Pourquoi replongent-ils à cet âge-là ?
C’est la question qui revient toujours dans les couloirs des tribunaux. J’ai discuté avec des magistrats, des avocats, des éducateurs. Les réponses se ressemblent :
- Pensions de retraite trop faibles face au coût de la vie
- Dettes accumulées au fil des années
- Envie de maintenir un train de vie qu’on a toujours eu
- Sensation que « cette fois c’est la bonne, on ne se fera pas prendre »
- Et parfois, tout simplement, l’habitude. Le milieu, les contacts, le mode opératoire qu’on connaît par cœur
Ce qui est sûr, c’est que le trafic de stupéfiants n’a pas d’âge de retraite. Les réseaux savent très bien recruter des profils « discrets » : des seniors qui passent inaperçus aux péages, qui n’ont pas l’allure classique du jeune de banlieue tatoué. C’est même devenu une tendance ces dernières années.
Les go-fast : une lutte sans fin
Chaque semaine ou presque, on entend parler d’une interception. 200 kilos par-ci, 300 par-là. Les chiffres donnent le vertige. Et pourtant, le flux ne s’arrête jamais vraiment. Les routes d’Espagne restent l’une des principales portes d’entrée du cannabis en Europe.
Les forces de l’ordre ont beau multiplier les dispositifs, les écoutes, les filatures, les trafiquants s’adaptent. Voitures plus discrètes, itinéraires bis, parfois même des convois de plusieurs véhicules pour brouiller les pistes.
Mais chaque prise reste un coup dur porté aux organisations. 192 kilos en moins sur le marché, c’est toujours ça de gagné.
Et nous, qu’est-ce qu’on en pense vraiment ?
Personnellement, cette affaire me laisse un sentiment bizarre. D’un côté, la sévérité de la peine est justifiée : quantité énorme, récidive, impact sociétal du trafic. De l’autre, on ne peut pas s’empêcher de se demander ce qui pousse des gens de cet âge à tout risquer pour quelques dizaines de milliers d’euros.
Est-ce qu’on en fait assez pour éviter que des retraités précaires ne soient tentés par ce genre de « mission » ? La question mérite d’être posée. Parce que derrière les gros titres, il y a aussi une forme de misère qu’on préférerait ne pas voir.
En attendant, les deux hommes ont tout le temps de réfléchir en cellule. Cinq et quatre ans, ça laisse de la marge pour tourner la page… ou pas.
Une chose est sûre : tant que l’argent restera le moteur principal, il y aura toujours des candidats pour charger les valises. Peu importe l’âge sur la carte d’identité.
(Article mis à jour le 8 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
