Il y a des livres qui tombent comme des coups de tonnerre dans un ciel déjà bien chargé. Celui de Richard Malka en fait partie. Quand l’avocat historique de Charlie Hebdo décide de publier intégralement sa plaidoirie dans l’affaire qui opposait un philosophe à un grand parti de gauche, on sent tout de suite que ça va faire mal. Et effectivement, ça cogne fort.
Un pamphlet qui ne prend pas de gants
Imaginez la scène : un tribunal, une accusation de diffamation, et en face, un ténor du barreau qui défend la liberté de dire que oui, un parti politique majeur peut être qualifié de passionnément antisémite. Le philosophe relaxé, la plaidoirie fait aujourd’hui l’objet d’un livre de cent pages publié chez un grand éditeur. Objectif assumé : que plus personne ne puisse fermer les yeux.
Ce qui frappe d’entrée, c’est la violence du constat. Selon Malka, le leader du parti en question aurait, dans sa course effrénée au pouvoir, franchi toutes les lignes rouges. Pire : il aurait sciemment choisi une stratégie électorale qui, sous couvert d’antisionisme radical, flirte dangereusement avec un antisémitisme décomplexé. Le mot est lâché, et il n’est pas prononcé à la légère.
D’un défenseur des Juifs à l’accusateur accusé
Ce qui rend le texte encore plus douloureux, c’est le parcours de l’intéressé. Il y a vingt ans, ce même responsable politique était salué comme l’un des plus fermes remparts contre l’antisémitisme montant. Il multipliait les prises de position courageuses, dénonçait les amalgames, combattait l’extrême droite sur ce terrain. Et puis, petit à petit, le vent a tourné.
Les alliances électorales ont changé. Les circonscriptions avec forte population musulmane sont devenues prioritaires. Les discours se sont durcis sur Israël jusqu’à parfois franchiser la frontière mince entre critique politique légitime et haine ethnique. Malka parle d’une mutation idéologique profonde, presque d’une schizophrénie politique.
« Par sa quête éperdue du pouvoir, il a vendu son âme au diable. »
Extrait de la plaidoirie publiée
Cette phrase, prononcée au tribunal, résume tout. Elle a fait bondir les bancs du parti incriminé, mais elle a surtout convaincu les juges de relaxer le philosophe. Preuve que, dans un État de droit, certaines vérités, même brutales, peuvent être dites publiquement.
L’antisémitisme « cool » de la gauche radicale ?
L’un des points les plus saillants du livre, c’est cette idée que l’antisémitisme aurait changé de camp sans que personne n’y voie rien. Pendant longtemps, on l’associait presque exclusivement à l’extrême droite, aux skinheads, aux nostalgiques de Vichy. Aujourd’hui, selon Malka, il se pare des habits neufs de l’antisionisme radical et s’invite dans les cortèges de la gauche la plus bruyante.
Et le pire, c’est qu’il serait devenu cool. Acceptable dans certains cercles universitaires, trendy chez une partie de la jeunesse militante, toléré dans des manifestations où l’on scander « Israël assassin » ne choque plus grand monde. Le livre dresse un tableau glaçant de cette normalisation.
- Des slogans équivoques repris sans distance
- Des invitations controversées dans les universités d’été du parti
- Des silences assourdissants après chaque attentat antisémite
- Des alliances locales avec des candidats aux propos plus que limites
Tout y passe. Et chaque exemple est sourcé, daté, implacable.
Une stratégie qui fait le jeu de l’extrême droite
Le plus cynique, selon l’auteur, c’est que cette dérive ne serait même pas idéologique au départ. Elle serait purement électorale. Une sorte de calcul froid : pour grignoter des voix dans certaines banlieues, on accepte de fermer les yeux sur des discours communautaristes. Voire on les encourage.
Résultat ? On offre sur un plateau à l’extrême droite le monopole de la défense des Juifs de France. On lui permet de se poser en seule protectrice de la République et de la laïcité. C’est exactement l’inverse de ce que la gauche historique a toujours combattu. Un suicide politique autant qu’un abandon moral.
J’ai relu plusieurs fois ce passage, et franchement, ça donne le vertige. Comment en est-on arrivé là ? Comment un mouvement qui se réclame de Jaurès et de la Résistance peut-il en venir à tolérer ce que ses aînés ont toujours vomis ?
Derrière l’antisémitisme, la haine de la République
Mais Malka ne s’arrête pas à la seule question juive. Pour lui, l’antisémitisme n’est que la partie visible de l’iceberg. Ce qu’il révèle, c’est une haine plus large : haine de la liberté d’expression (quand elle dérange), haine de la laïcité (quand elle empêche le communautarisme), haine de la démocratie représentative (remplacée par le culte du chef et des réseaux sociaux).
En filigrane, c’est tout l’idéal républicain qui vacille. Et c’est peut-être ça le plus terrifiant.
« Derrière l’antisémitisme, c’est la haine de la liberté d’expression, de la République et de la démocratie qui se tapit. »
Lire ces lignes en 2025, alors que les tensions communautaires n’ont jamais été aussi vives, ça fait froid dans le dos. On sent que quelque chose s’est cassé, et que le livre de Malka arrive au pire moment… ou peut-être au meilleur.
Un livre qui va faire mal, très mal
L’auteur le sait : il va être attaqué de toutes parts. Accusé de trahir la gauche, d’alimenter la droitisation du débat, de faire le jeu de ci ou ça. Il l’assume. Protégé 24h/24 depuis des années, il a l’habitude des polémiques. Mais cette fois, c’est différent. C’est personnel. C’est presque une histoire de famille idéologique qui se déchire.
Et nous, lecteurs, on fait quoi ? On continue à fermer les yeux par confort partisan ? Ou on accepte de regarder la réalité en face, même quand elle fait mal ?
Personnellement, j’ai refermé le livre avec un sentiment bizarre. Entre colère et tristesse. Colère contre ceux qui ont laissé pourrir la situation. Tristesse pour ce qu’est devenue une certaine gauche. Mais aussi, quelque part, un mince espoir : tant qu’il y aura des voix comme celle de Richard Malka pour alerter, tout n’est peut-être pas perdu.
À lire. Vraiment. Même si ça brûle les doigts.
PS : Le livre fait une centaine de pages. C’est court. Mais chaque mot pèse une tonne.
