Vous vous souvenez quand, il y a encore dix ans, on pouvait monter en altitude début décembre sans trop se poser de questions ? Cette année, c’est fini. Dès le 25 novembre 2025, la montagne nous rappelle brutalement qui commande.
Je skie depuis plus de vingt ans et je n’avais jamais vu un bulletin avalanche afficher un risque 4/5 aussi généralisé avant la mi-décembre. Pourtant, c’est bien ce qui se passe aujourd’hui dans presque tous les massifs des Alpes du Nord.
Un manteau neigeux qui cache une bombe à retardement
Ce qui rend la situation particulièrement vicieuse, c’est la façon dont la neige est arrivée. D’abord des températures presque printanières début novembre, puis un retour d’est chargé d’humidité et enfin un refroidissement brutal. Résultat : des quantités énormes de neige fraîche (jusqu’à 1,20 m en 48 h par endroits) posées sur un sol encore tiède ou sur des herbes hautes non gelées.
Et là, la physique fait son travail sans pitié. La sous-couche reste fragile, souvent composée de gobelets ou de cristaux à faces planes – les fameux « gobelets de champagne » que tout montagnard redoute. Par-dessus, le vent a sculpté des plaques dures comme du béton. Il suffit d’un skieur, d’un randonneur ou simplement du soleil pour que tout parte.
« On a rarement vu une telle instabilité aussi bas en altitude et aussi tôt dans la saison. »
– Un prévisionniste avalanche expérimenté
Où le danger est-il le plus fort exactement ?
À l’heure où j’écris ces lignes, voici la carte (mentalement, parce que je ne vais pas vous mettre un lien, vous savez où regarder) :
- Chablais, Aravis, Bauges, Chartreuse, Vercors, Belledonne : risque 4/5 au-dessus de 2000-2200 m
- Haute-Tarentaise, Haute-Maurienne, Thabor, Queyras : idem, parfois même 4 dès 1800 m sur certaines orientations
- Maurienne, Vanoise : on frôle le 5 par endroits
- Mercantour : seul massif épargné (risque 2 à 3)
En clair, si vous habitez Lyon, Grenoble ou Annecy et que vous avez envie de faire la première trace du week-end… oubliez. Ou alors restez sur les pistes damées des stations déjà ouvertes.
Pourquoi c’est plus précoce qu’avant ?
Le réchauffement climatique, on en parle beaucoup, mais là on le touche du doigt. Avant, la limite pluie-neige en novembre était souvent autour de 1500-1800 m. Aujourd’hui, elle a grimpé de 300 à 400 mètres en moyenne. Du coup, quand une perturbation arrive, soit il pleut jusqu’à très haut (et pas d’avalanche), soit il neige… mais en quantités massives dès que la température chute.
Et c’est exactement ce qui s’est passé ce week-end. On est passé de +12 °C à 2200 m à -12 °C en moins de 36 heures. La neige n’a même pas eu le temps de se tasser tranquillement. Elle est restée légère, poudreuse, et surtout très mobile.
J’ai discuté avec un vieux guide de Chamonix qui m’a dit, un peu dépité : « Avant, on avait le temps de faire deux-trois sorties peaux de phoque tranquilles en novembre. Aujourd’hui, soit il n’y a rien, soit c’est la guerre. Y a plus de demi-mesure. »
Ce que ça change concrètement pour vous
Si vous aviez prévu d’ouvrir la saison en hors-piste ce week-end, reportez. Sérieusement.
- Les départs spontanés sont déjà nombreux (plusieurs plaques parties toutes seules signalées hier)
- Le déclenchement à distance est très facile – parfois à plus de 50 m
- Les avalanches peuvent atteindre des tailles impressionnantes (classe 3 à 4, soit plusieurs centaines de mètres de large)
- Les zones habituellement « safe » début décembre sont aujourd’hui piégeuses
Petit rappel qui ne fait jamais de mal : à risque 4, on estime qu’il y a forte probabilité de déclenchement même sur des pentes modérées (30-35°), et ce dès le passage du premier skieur.
Comment évoluera la situation dans les prochains jours ?
Bonne et mauvaise nouvelle à la fois. Le regel nocturne commence à faire son œuvre. Les températures vont rester très froides en altitude, ce qui va stabiliser progressivement le manteau. Mais attention :
- Mercredi et jeudi : encore du vent modéré à fort → nouvelles accumulations sur les versants ouest et nord
- Week-end prochain : possible redoux en altitude → risque de neige humide et de coulées en journée
- Semaine suivante : nouvelle perturbation annoncée, potentiellement encore plus chargée
En résumé, on n’est pas sortis de l’auberge avant mi-décembre au mieux.
Les erreurs à ne surtout pas commettre
J’ai vu trop de vidéos ces dernières années où des gens se disent « ça va, y a que 30 cm de fraîche ». Sauf que 30 cm de fraîche sur une sous-couche pourrie, ça suffit largement.
Les pièges classiques en ce moment :
- Croire que « ça tient sur les pistes, donc ça tiendra à côté »
- Penser que « personne n’est passé, donc c’est bon » (au contraire, la première trace déclenche souvent)
- Sous-estimer les pentes à 30° (« c’est pas raide »… si, c’est déjà suffisant)
- Oublier son DVA, pelle, sonde (oui, ça arrive encore)
Et surtout, ne jamais partir seul. Jamais.
Un hiver qui s’annonce… compliqué
Ce qui se passe en ce moment n’est probablement pas un épiphénomène. Avec le réchauffement, les hivers deviennent plus chaotiques : moins de neige en moyenne, mais quand elle tombe, elle tombe en quantités énormes et dans des conditions instables.
Les stations le savent. Certaines réfléchissent déjà à décaler l’ouverture de certains secteurs ou à renforcer les purges préventives. Les guides et les secouristes s’attendent à une saison chargée.
Et nous, amateurs de poudreuse, on va devoir apprendre à être encore plus patients. Parce que oui, la neige est là, magnifique, profonde, tentante… mais elle peut tuer en quelques secondes.
Alors on respire un grand coup, on regarde les bulletins tous les jours, on attend que le manteau se stabilise. Et quand le moment viendra, on ira tracer. Mais pas avant.
Parce que la montagne, elle, ne nous attendra pas.
Prenez soin de vous là-haut. Et si vous hésitez, restez en bas. Il y aura d’autres journées de poudre.
