Imaginez la scène : une cour de promenade banale, béton gris, grillages hauts, et soudain une explosion de violence brute. Des hommes qui s’affrontent avec une sauvagerie difficile à concevoir, des lames qui brillent sous le pâle soleil d’automne, du sang qui coule à flots. Et au milieu de ce chaos, personne pour arrêter le carnage pendant de longues minutes. Cette scène n’est pas tirée d’un film. Elle s’est déroulée il y a quelques semaines dans une prison française bien réelle.
J’ai visionné les images. Franchement, elles vous collent un frisson dans le dos. On y voit clairement l’évolution terrifiante de ce qui a commencé comme une simple altercation pour finir en bain de sang organisé.
Une rixe d’une violence rarement égalée derrière les murs
C’était un dimanche après-midi de novembre, vers 15 heures. La cour de promenade de la maison d’arrêt était bondée comme souvent le week-end. Et puis, sans que personne ne sache vraiment comment ça a dégénéré si vite, deux groupes se sont retrouvés face à face.
En quelques secondes, les coups pleuvent. Mais pas n’importe quels coups : ici, on parle d’armes blanches artisanales et, surtout, de ces fameux couteaux en céramique qui font trembler tout le milieu pénitentiaire depuis plusieurs années.
L’une des séquences les plus dures à regarder montre un détenu complètement nu, le corps déjà couvert de sang, traîné sur le bitume par un autre. Il ne se défend même plus. Le spectacle est glaçant.
« On pourrait être pris en otage, blessé, agressé, tué. Il y a interdiction formelle d’intervenir dans ce genre de situation. »
Un surveillant expérimenté
Cette phrase résume à elle seule le désarroi des agents sur place ce jour-là.
Pourquoi les surveillants restent-ils à distance ?
La question brûle toutes les lèvres. Sur les vidéos, on voit parfaitement les miradors, les grilles, mais aucune silhouette en uniforme qui s’approche. Pendant plusieurs minutes, la rixe se poursuit sans intervention directe.
La réponse est malheureusement simple, et terrifiante à la fois : les consignes de sécurité actuelles interdisent aux surveillants de pénétrer dans une rixe armée sans renfort massif et équipés (gilets pare-balles, boucliers, ERIS…). Le risque de de sur-incident – c’est le terme officiel – est jugé trop élevé.
Autrement dit : si trois ou quatre agents entrent dans la cour, ils deviennent immédiatement des cibles. Prise d’otage, coups de couteau, lynchage… Les scénarios catastrophes sont légion.
Du coup, on attend. On observe depuis les coursives. On déclenche l’alarme. Et on espère que ça se calme tout seul. Sauf que là, ça n’a pas été le cas.
Les couteaux en céramique, cette menace invisible
Ce qui rend cette affaire encore plus inquiétante, c’est la présence confirmée de couteaux en céramique. Vous savez, ces lames blanches, ultra-tranchantes, que les portiques de détection ne repèrent pas.
Ils arrivent en prison par tous les moyens possibles : colis, parloirs sauvages, drones parfois. Une fois à l’intérieur, ils circulent, se revendent cher, et deviennent l’arme ultime pour régler ses comptes.
- Ils ne sonnent pas aux détecteurs
- Ils coupent aussi bien que l’acier
- Ils se cassent rarement
- Ils sont quasiment impossibles à confisquer de façon systématique
Un surveillant me confiait récemment : « On en trouve presque toutes les semaines maintenant. C’est devenu banal. » Banal… Le mot fait froid dans le dos.
Un règlement de comptes sur fond de trafic
Derrière la violence brute, il y a presque toujours une raison. Ici, tout porte à croire qu’on est en plein dans un différend lié au au racket et au trafic de stupéfiants entre détenus.
Dans certaines maisons d’arrêt, le cannabis, la résine, parfois la cocaïne circulent autant qu’à l’extérieur. Les dettes s’accumulent. Les intérêts explosent. Et quand quelqu’un ne peut plus payer…
Ce genre de rixe n’est pas isolé. C’est même devenu, hélas, une sorte de mode opératoire quand on veut envoyer un message clair : « Tu payes ou tu morfles. »
Cinq blessés, des transferts disciplinaires et une enquête
Bilan officiel : cinq blessés. Quatre légèrement, un plus sérieusement. Tous ont été pris en charge au CHU. Les pompiers sont intervenus rapidement une fois la cour sécurisée.
Depuis, l’administration a réagi à sa manière : les principaux protagonistes ont été identifiés, placés au quartier disciplinaire, puis transférés dans d’autres établissements. Une dispersion classique pour couper les réseaux.
Le parquet a ouvert une enquête pour violences aggravées en réunion. Les vidéos vont évidemment servir de pièces à conviction.
Un symptôme d’une crise carcérale beaucoup plus large
Ce qui s’est passé à Nantes n’est pas un accident. C’est le révélateur brutal d’un système à bout de souffle.
La France compte aujourd’hui plus de 76 000 détenus pour environ 61 000 places. La surpopulation atteint des records dans certaines maisons d’arrêt (parfois 200 %). Moins de surveillants qu’il y a dix ans. Des bâtiments vétustes. Un turn-over infernal chez les agents.
Résultat ? La tension est permanente. Les petits trafics deviennent des empires. Les codes de la rue s’importent à l’intérieur. Et la violence explose dès qu’on baisse la garde.
Je ne compte plus les témoignages de surveillants qui disent « On est là pour compter les vivants à la fin de la promenade, pas pour empêcher les bagarres. » C’est cru, mais c’est la réalité du terrain.
Et demain ?
Les couteaux en céramique ne vont pas disparaître comme par magie. Les trafics non plus. La surpopulation carcérale non plus tant qu’on n’y aura pas une vraie politique volontariste (construction de places, alternatives à l’incarcération, recrutement massif…).
En attendant, des scènes comme celle de Nantes risquent de se reproduire. Peut-être même pire la prochaine fois.
Parce qu’à force de laisser pourrir la situation, on finit par habituer tout le monde à l’idée que la violence fait partie du décor. Et ça, franchement, c’est ce qu’il y a de plus effrayant.
Ce genre d’événement nous oblige à nous poser les vraies questions : jusqu’où peut-on accepter que nos prisons deviennent des zones de non-droit ? Et surtout, qui protège ceux qui y travaillent et ceux qui y vivent, même s’ils ont commis des fautes ?
Les images de cette rixe resteront longtemps en tête. Pas seulement pour leur violence. Mais parce qu’elles disent, sans filtre, l’état de délabrement avancé d’un système qu’on préfère souvent ignorer.
