Il y a des dates qu’on n’oublie pas. Pour certains habitants de Maurepas et Coignières, dans les Yvelines, c’est novembre 2022. Djibril, un gamin de 14 ans, a été tué à coups de marteau à la sortie d’un gala de MMA. Un simple différend entre quartiers qui a viré au drame absolu. Trois ans plus tard, à peine un kilomètre plus loin, une salle associative accueille une rencontre pas comme les autres : des médiateurs de rue et d’anciens détenus face à une trentaine de jeunes. Objectif ? Leur faire comprendre que la prochaine rixe pourrait être la dernière.
Un fléau qui ne prend pas de vacances
Franchement, on aimerait pouvoir dire que c’était un accident isolé. Mais non. Chaque semaine ou presque, une nouvelle bagarre éclate quelque part en Île-de-France. Une galerie commerciale, une sortie de lycée, un square… les lieux changent, le scénario reste le même : deux groupes de jeunes se retrouvent, souvent pour des histoires de « regard » ou de territoire, et ça dégénère. Parfois avec des bâtons, des couteaux, des marteaux. Parfois jusqu’à la mort.
Ce qui frappe, c’est la banalité du phénomène. On a presque fini par s’habituer. Et pourtant, derrière chaque titre de faits divers, il y a un gosse qui ne rentrera pas chez lui. Un autre qui passera vingt ans en prison. Des familles détruites des deux côtés.
Pourquoi c’est pire qu’avant ?
Plusieurs ingrédients se sont mélangés ces dernières années pour transformer des embrouilles de cour de récré en guerres de tranchées.
- Le Covid et le confinement : des jeunes qui se sont retrouvés H24 sur les réseaux, à se chauffer à distance.
- Les réseaux sociaux justement : un clash sur Snapchat ou TikTok se règle désormais dans la vraie vie, avec témoins et caméras de téléphone.
- L’accès facile aux armes blanches : couteaux, marteaux, parfois pire, achetés sur internet ou piqués sur des chantiers.
- La perte de repères : moins d’activités, moins d’adultes présents dans l’espace public le soir.
- Le mythe du « respect » : celui qu’on gagne en montrant qu’on a peur de rien, même pas de mourir.
Résultat ? Des adolescents qui se retrouvent embarqués dans des logiques de bande alors qu’ils n’ont même pas le bac en poche.
Quand les « grands frères » prennent la parole
Le 30 novembre dernier, l’association Friches come to success a organisé quelque chose de rare : inviter des mecs qui ont vécu la prison, parfois longtemps, pour parler cash aux plus jeunes. Pas de jugement moral, pas de leçon de prof. Juste des parcours, des regrets, et des vérités crues.
« Moi j’ai fait huit ans pour une connerie à 19 ans. Huit ans où ma mère a pleuré tous les jours. Vous voulez ça pour la vôtre ? »
– Un intervenant, la voix rauque, devant une salle silencieuse
Ce genre de phrase, ça marque plus qu’un discours de préfet. Parce que ça vient de quelqu’un qui connaît la suite du film. La cellule, les parloirs, les copains qu’on enterre à 20 ans.
Les médiateurs, eux, sont sur le terrain tous les soirs. Ils connaissent les prénoms, les embrouilles en cours, les jeunes qui risquent de basculer. Leur rôle ? Désamorcer avant que ça parte en vrille. Parfois ça marche. Parfois ils arrivent trop tard.
Les limites de la prévention
On va être honnête : une après-midi de débat, aussi forte soit-elle, ne va pas renverser la tendance. Les jeunes présents étaient déjà un peu sensibilisés. Les plus durs, ceux qui se préparent vraiment à « aller au carton », eux, ils n’étaient pas dans la salle.
Et puis il y a la question des moyens. Combien de médiateurs pour combien de quartiers chauds ? Combien d’associations sérieuses face à des milliers d’ados en perte de repères ? La réponse fait peur.
La justice, elle, fait ce qu’elle peut. Récemment, un jeune a pris vingt ans pour le meurtre d’un autre à Sainte-Geneviève-des-Bois. Message envoyé ? Peut-être. Mais quand on a 16 ans et qu’on pense qu’on est immortel, vingt ans c’est abstrait.
Et les parents dans tout ça ?
C’est le sujet qui fâche. Beaucoup de parents travaillent tard, sont dépassés, ou tout simplement absents. D’autres minimisent : « Mon fils ne fréquente pas ces gens-là ». Jusqu’au jour où le téléphone sonne et que c’est la police.
J’ai discuté avec une mère après une rixe mortelle il y a deux ans. Elle disait : « Je savais qu’il traînait, mais je pensais que c’était juste pour fumer des joints… » La réalité l’a rattrapée brutalement.
Des pistes concrètes qui existent (mais qu’on applique peu)
- Remettre des adultes dans la rue le soir : animateurs, éducateurs, policiers en civil parfois.
- Créer des lieux d’accueil ouverts tard pour les jeunes (et pas juste des foyers avec des règles strictes).
- Travailler vraiment avec les réseaux sociaux pour supprimer les appels à la violence avant qu’ils ne dégénèrent.
- Former les profs et les personnels de lycée à repérer les signaux faibles.
- Et surtout, redonner du sens : sport, musique, stages, jobs d’été… n’importe quoi qui fasse rêver autrement qu’en montrant un couteau.
Certains quartiers y arrivent. Pas tous. Loin de là.
Le mot de la fin ?
Ce qui m’a marqué à Maurepas, c’est le silence des jeunes quand un ancien détenu a raconté comment il a raté la naissance de sa fille à cause de la prison. Un silence lourd. Le genre de silence qui fait peut-être plus que tous les discours.
Les rixes, ce n’est pas une fatalité. Mais ça ne s’arrêtera pas avec des belles paroles ou des opérations coup de poing. Il faut une présence quotidienne, massive, intelligente. Des « grands frères », des éducs, des flics, des profs, des parents – tous sur le même front.
Parce que le prochain Djibril, il a probablement 13 ou 14 ans aujourd’hui. Et il ne sait pas encore que sa vie peut basculer pour un regard de travers un soir de novembre.
On peut encore l’empêcher. Mais il faut se bouger. Maintenant.
