Imaginez-vous marcher dans une rue sombre de Paris, tard le soir, et croiser une silhouette qui attend, seule, dans le froid. Derrière le maquillage et le sourire forcé, il y a souvent peur, violence, précarité. C’est cette réalité que certains veulent changer. Pas en faisant disparaître la prostitution – personne n’y croit vraiment – mais en la sortant enfin de l’ombre. Une proposition qui fait bondir les uns et espérer les autres.
Une idée qui revient hanter le débat public
Depuis quelques jours, un député de la Somme fait parler de lui avec un projet qui semble tout droit sorti d’un autre siècle : réautoriser les maisons closes en France. Mais attention, pas comme avant. Plus question de tenancières toutes-puissantes et de filles enfermées. L’idée, c’est de créer des coopératives autonomes dirigées par les travailleuses du sexe elles-mêmes. Elles seraient, selon les termes employés, « impératrices dans leur royaume ».
Le sujet est explosif. D’un côté, ceux qui y voient une solution pragmatique pour protéger des femmes en danger. De l’autre, ceux qui hurlent au retour de l’exploitation légalisée. Et au milieu ? Des milliers de personnes qui exercent ce métier dans la clandestinité la plus totale, entre Airbnb loués à la journée et trottoirs glacés.
1946-2025 : près de 80 ans d’interdiction
Petit retour en arrière nécessaire. En 1946, une ancienne prostituée devenue conseillère de Paris, Marthe Richard, fait voter la fermeture définitive des quelque 1 500 maisons closes alors en activité. L’objectif ? Mettre fin à un système jugé humiliant et dangereux pour les femmes. La France choisit alors la voie abolitionniste : la prostitution n’est pas illégale en soi, mais tout ce qui l’entoure (proxénétisme, racolage en bande, etc.) l’est.
Puis arrive 2016. Nouvelle révolution : on pénalise le client. Fini le délit de racolage, désormais c’est l’acheteur d’actes sexuels qui risque une amende de 1 500 € (3 750 € en récidive). L’idée ? Décourager la demande pour faire disparaître l’offre. Sauf que dans les faits… ça n’a pas vraiment fonctionné comme prévu.
Aujourd’hui, on estime entre 30 000 et 40 000 le nombre de personnes prostituées en France. La très grande majorité travaille en appartement ou en ligne. Les rues se sont vidées, oui. Mais les violences ? Elles se sont déplacées. Dans l’ombre.
Ce que propose exactement le RN
Oubliez l’image d’Épinal de la maison close à l’ancienne avec sa maquerelle et ses rideaux rouges. Le projet parle de structures modernes, légales, et surtout gérées collectivement par les travailleuses. Un peu comme une SARL, mais version travail sexuel.
- Les prostituées seraient salariées ou associées de leur propre structure
- Accès à la sécurité sociale, retraite, chômage
- Contrôles sanitaires réguliers et obligatoires
- Sécurité physique assurée (vigiles, alarmes, caméras)
- Possibilité de refuser un client sans justification
- Impôts payés, TVA reversée, tout dans les clous
Le député à l’origine du texte l’assure : il ne s’agit pas de « légitimer l’exploitation » mais de sortir des milliers de femmes (et quelques hommes) de la précarité absolue. Il cite son expérience passée auprès d’associations venues en aide aux prostituées du bois de Boulogne. Ce qu’il a vu là-bas l’a marqué à jamais.
« J’ai vu la souffrance quotidienne, l’horreur, la violence. On ne peut pas continuer à fermer les yeux.
Pourquoi maintenant ?
Plusieurs éléments se combinent. D’abord, la loi de 2016 est jugée inefficace par beaucoup. Seules quelques centaines de clients ont été condamnés en 2024. Les réseaux, eux, continuent de prospérer. Ensuite, l’explosion des « maisons closes contemporaines » en appartements a explosé en Île-de-France ces dernières années. Enfin, le modèle allemand ou belge est souvent cité en exemple : là-bas, les prostituées cotisent, ont des droits, et les violences auraient baissé.
Même certains responsables associatifs, pourtant farouchement abolitionnistes il y a dix ans, commencent à douter. Pas à défendre la réouverture, non. Mais à reconnaître que le système actuel ne protège personne.
Les arguments des défenseurs du projet
Ils sont nombreux, et pas tous à droite.
- Sécuritéstrong> : plus de clients violents isolés dans des parkings ou des hôtels sordides
- Santé : dépistages réguliers, préservatifs imposés, suivi médical
- Droits sociaux : enfin une retraite, une protection chômage, des congés maladie
- Sortie de la clandestinité : fin des réseaux albanais, nigérians ou roumains qui exploitent des femmes sous la menace
- Liberté réelle : possibilité d’arrêter quand on veut, sans dette envers un proxénète
Un avocat pénaliste spécialisé me confiait récemment : « Entre une prostitution totalement clandestine et une prostitution encadrée avec des droits, je choisis la seconde sans hésiter. L’idéal serait qu’il n’y ait plus de prostitution du tout. Mais on n’en prend pas le chemin. »
Les critiques, violentes et argumentées
Évidemment, tout le monde n’est pas d’accord. Loin de là.
« Légaliser les maisons closes, c’est dire à la société que le corps de certaines femmes est achetable en toute légalité. C’est un recul historique majeur. »
– Responsable d’une grande association de défense des victimes de prostitution
Pour les abolitionnistes, reconnaître la prostitution comme un travail reviendrait à abandonner des milliers de victimes de traite. Car oui, une immense partie des personnes prostituées en France sont étrangères, souvent en situation irrégulière, et sous la coupe de réseaux. Les ouvrir des coopératives ne résoudrait rien pour elles, disent-ils.
Autre crainte : l’effet appel d’air. Si la France devient un pays réglementariste, ne risque-t-on pas d’attirer encore plus de réseaux ? L’Allemagne en a fait l’expérience : après la légalisation en 2002, le nombre de prostituées a explosé, et avec lui les cas de traite.
Enfin, il y a la question symbolique. Peut-on vraiment parler de « liberté » quand on vend son corps pour survivre ? Beaucoup répondent non. Point final.
Et les principales concernées dans tout ça ?
C’est là que ça devient intéressant. Car les travailleuses du sexe ne parlent pas d’une seule voix.
Certaines, membres du principal syndicat du secteur, saluent le fait que le sujet soit enfin débattu ouvertement. Elles demandent surtout une la dépénalisation totale : ni interdiction ni réglementation lourde, juste le droit de travailler sans crainte d’être arrêtées ou violentées.
D’autres, au contraire, refusent catégoriquement l’idée même de « maison ». Elles veulent pouvoir travailler chez elles, seules ou à plusieurs, sans devoir intégrer une structure imposée.
Une chose est sûre : personne ne veut revenir au modèle d’avant-guerre. Ni les défenseurs ni les opposants.
Ce qui se passe chez nos voisins
Petit tour d’Europe rapide.
| Pays | Modèle | Résultats observés |
| Allemagne | Réglementariste (depuis 2002) | Explosion du nombre de prostituées, droits sociaux, mais aussi augmentation de la traite |
| Pays-Bas | Réglementariste (quartier rouge) | Tourisme sexuel important, sécurité renforcée, mais réseaux toujours présents |
| Belgique | Maisons autorisées dans certaines villes | Modèle intermédiaire, suivi sanitaire strict |
| Suède | Abolitionniste (pénalisation client depuis 1999) | Prostitution de rue en forte baisse, mais migration vers le net |
| Espagne | Tolérance de fait | Situation très hétérogène selon les régions |
Aucun modèle parfait, donc. Chacun avec ses avantages… et ses gros défauts.
Et maintenant ?
La proposition de loi va être déposée dans les prochains mois. Elle a très peu de chances d’être votée telle quelle – l’Assemblée actuelle est trop divisée. Mais elle a déjà réussi une chose : remettre le sujet sur la table. Et forcer tout le monde à sortir du silence.
Parce que soyons honnêtes : fermer les yeux pendant des décennies n’a protégé personne. Ni les femmes qui se prostituent sous la contrainte, ni celles qui le font par choix (oui, elles existent), ni la société dans son ensemble.
Alors, solution miracle ou fausse bonne idée ? L’avenir le dira. En attendant, une chose est certaine : on n’a plus le droit de continuer à regarder ailleurs.
Et vous, qu’en pensez-vous ? La réglementation pourrait-elle vraiment protéger les prostituées ? Ou est-ce ouvrir la boîte de Pandore ? Le débat ne fait que commencer…
