Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains pays, pourtant parmi les plus riches du monde, peinent à remettre leurs citoyens au travail ? Prenez le Royaume-Uni en cette fin 2025 : record historique de personnes en arrêt maladie longue durée, surtout chez les moins de trente ans, et un Premier ministre qui ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. L’État providence, ce filet de sécurité devenu parfois un hamac, serait-il en train d’étouffer l’ambition d’une génération ?
Keir Starmer, à la tête du gouvernement depuis dix-huit mois, s’apprête à remettre sur la table un dossier brûlant : la grande réforme du welfare state. Et cette fois, il semble décidé à aller jusqu’au bout, malgré les frondes internes et les critiques tous azimuts.
Un discours sans concession qui fait déjà trembler Downing Street
Lundi matin, le locataire du 10 Downing Street doit prononcer un discours très attendu. Les extraits déjà diffusés ont mis le feu aux poudres. Écoutez plutôt :
« Nous devons affronter la réalité : notre État providence piège les gens, pas seulement dans la pauvreté, mais hors de l’emploi. »
Keir Starmer, Premier ministre britannique
Le mot est lâché : piège. Pas « aide », pas « soutien », non, piège. Pour un travailliste, c’est une petite révolution sémantique. Et pourtant, les chiffres lui donnent raison, du moins en partie.
Le chiffre qui fait mal : 2,8 millions de Britanniques en inactivité longue durée
Fin 2025, près de 2,8 millions de personnes en âge de travailler sont déclarées en arrêt maladie de longue durée. C’est 700 000 de plus qu’avant la pandémie. Et le plus inquiétant ? Près d’un jeune sur cinq (18-24 ans) est désormais considéré comme « économiquement inactif » pour raisons de santé.
Problèmes de santé mentale, anxiété, dépression, troubles musculo-squelettiques… les diagnostics pleuvent. Mais certains experts s’interrogent : est-ce vraiment une explosion de maladies ou une explosion de certificats complaisants ? La question mérite d’être posée, même si elle dérange.
- 700 000 inactifs supplémentaires depuis 2020
- 1 jeune sur 5 hors marché du travail pour raisons médicales
- Coût estimé pour les finances publiques : plus de 15 milliards de livres par an
- Perte de productivité colossale pour l’économie britannique
L’été dernier, la première tentative a failli couler le gouvernement
Il y a quelques mois, le gouvernement avait déjà essayé de durcir les conditions d’accès à certaines aides pour les personnes déclarées inaptes au travail. Résultat ? Plus de 120 députés travaillistes avaient menacé de voter contre. Starmer avait dû reculer, humilié.
Cette fois, la stratégie change. Plutôt que de s’attaquer frontalement aux bénéficiaires, le Premier ministre veut mettre l’accent sur la prévention et la réinsertion. Services de santé mentale renforcés dans les lycées, accompagnement personnalisé, sanctions graduelles pour ceux qui refusent les propositions de formation… L’idée est de couper l’herbe sous le pied des frondeurs en présentant la réforme comme « humaine » et non punitive.
Un budget qui passe la pilule… ou l’empoisonne ?
Mercredi dernier, la ministre des Finances Rachel Reeves a présenté un budget qui a fait grincer des dents. Hausses massives des cotisations patronales, gel de certains crédits d’impôt, taxation renforcée des plus-values immobilières… Le tout pour financer à la fois le NHS (le système de santé) et des mesures de pouvoir d’achat.
Paradoxalement, les marchés ont plutôt bien réagi. La livre sterling a tenu, les taux d’intérêt n’ont pas explosé. Mais dans les rangs conservateurs, on crie au « hold-up fiscal ». Et dans les rangs travaillistes, certains murmurent que taxer les entreprises pour financer un système qui décourage le travail, c’est un peu comme arroser une plante avec de l’essence.
« On augmente les charges des entreprises qui créent de l’emploi pour payer des gens qui n’en cherchent plus. Cherchez l’erreur. »
Un député travailliste du Nord, sous couvert d’anonymat
Les jeunes, grande cible et grand défi
Ce qui frappe dans le discours à venir de Starmer, c’est l’insistance sur les jeunes. Il parle d’un « cycle de chômage et de dépendance » qui peut durer « des décennies ». Et il n’a pas tort. Un jeune qui sort du circuit à 22 ans pour anxiété risque fort, statistiquement, de ne jamais vraiment y revenir.
J’ai discuté récemment avec un ancien conseiller de Tony Blair. Il m’expliquait que le New Labour avait déjà tenté de s’attaquer à ce problème dans les années 2000 avec les « New Deals ». Résultat mitigé. Vingt ans plus tard, le même serpent se mord la queue, mais avec des écailles bien plus épaisses.
Et les entreprises dans tout ça ?
Pour faire passer la pilule auprès du monde des affaires, écœuré par les hausses de charges, Starmer promet des gestes. Allègement réglementaire, simplification des démarches d’embauche, peut-être même une baisse ciblée de l’impôt sur les sociétés pour les PME qui embauchent des jeunes longtemps au chômage.
Reste à voir si ces carottes suffiront face aux coups de bâton fiscaux. Parce qu’en ce moment, beaucoup de patrons britanniques regardent déjà du côté de l’Irlande ou des Pays-Bas pour délocaliser leurs sièges.
Ce que ça nous dit sur l’avenir du modèle social européen
Ce qui se joue à Londres dépasse largement les frontières de l’île. Le Royaume-Uni a toujours été un laboratoire du modèle social. Ce qu’on appelait jadis le Beveridge model, ce compromis historique entre capitalisme et protection, est en train de vaciller.
Et nous, sur le continent ? On regarde ça avec une pointe d’inquiétude. Parce que les mêmes tendances se dessinent : vieillissement de la population active, explosion des arrêts pour burn-out ou santé mentale, difficulté à faire revenir les jeunes sur le marché du travail après la pandémie. La différence, c’est que le Royaume-Uni ose (enfin) poser le débat sans tabou.
Est-ce que Starmer va réussir là où tant d’autres ont échoué ? Franchement, j’en doute. Les intérêts sont trop puissants, les habitudes trop ancrées, et la peur du « on va jeter les pauvres à la rue » trop vive chez une partie de l’électorat travailliste.
Mais une chose est sûre : le simple fait de remettre ce sujet au centre du débat, avec des mots aussi crus, constitue déjà un petit séisme. Et parfois, c’est comme ça que commencent les grandes ruptures.
En attendant le discours complet de lundi, une question me trotte dans la tête : et si le vrai piège, finalement, n’était pas l’État providence lui-même… mais notre incapacité collective à l’adapter au monde d’aujourd’hui ?
À suivre, très attentivement.
