Imaginez : vous êtes une jeune femme qui travaille l’été dans une station balnéaire ultra-branchée. Un soir, dans une boîte de nuit bondée, vous croisez une star internationale. Il vous sourit, vous discutez, il vous propose un dernier verre… et tout semble normal. Quelques heures plus tard, vous portez plainte pour viol. L’histoire pourrait être celle de n’importe qui… sauf que l’homme en question est l’une des plus grandes voix du monde arabe. Et neuf ans plus tard, on attend toujours le mot de la fin.
Un énième report qui fait grincer des dents
Ce lundi 1er décembre 2025, le tribunal de Draguignan devait accueillir l’un des procès les plus médiatisés de l’année dans le Var. Trois jours d’audience étaient prévus devant la cour d’assises pour examiner l’accusation de viol aggravé portée contre le chanteur marocain Saad Lamjarred. Finalement, personne n’a vu l’artiste franchir les portes du palais de justice. La raison ? La présidente de la cour est souffrante. Résultat : report sine die, au minimum six mois, peut-être plus.
Pour les avocats de la défense, c’est la douche froide. Ils parlent d’un « nouveau délai insupportable » pour leur client qui, disent-ils, « clame son innocence depuis neuf longues années ». Côté partie civile, silence radio – l’avocat de la plaignante a refusé tout commentaire. Et pendant ce temps, le calendrier judiciaire du Var est déjà bouclé jusqu’en juin 2026. Autant dire que l’attente risque d’être encore très longue.
Que s’est-il passé en 2018 près de Saint-Tropez ?
Retour en arrière. Août 2018, la saison bat son plein sur la Côte d’Azur. La plaignante, alors âgée d’une vingtaine d’années, travaille comme barmaid dans un établissement de Saint-Tropez. Une nuit, elle croise Saad Lamjarred dans une discothèque. Selon ses déclarations aux enquêteurs, elle ne savait même pas qu’il était chanteur – elle l’a simplement trouvé « mignon ». Il lui propose d’aller boire un verre à l’hôtel où il réside. Elle accepte.
Mais une fois sur place, les versions divergent radicalement. Elle affirme qu’il l’a directement emmenée dans sa chambre, l’a plaquée sur le lit, maintenue par les poignets et violée. Lui jure que tout était consenti et qu’elle a même retiré son pantalon d’elle-même. Un grand classique des affaires de mœurs : la parole de l’un contre celle de l’autre, sans témoin direct.
Ce qui a fait pencher la balance judiciaire ? Des traces de violence relevées sur la jeune femme et surtout une décision forte de la chambre de l’instruction en 2021 : « Entrer dans la chambre d’hôtel d’un homme ne vaut pas consentement. » Une phrase qui a marqué les esprits et qui a conduit au renvoi devant les assises malgré l’avis initial du parquet favorable à un non-lieu.
Un parcours judiciaire déjà très chargé
Ce n’est pas la première fois que le nom de Saad Lamjarred apparaît dans un dossier de viol. Loin de là.
- 2010 – États-Unis : une plainte pour agression sexuelle est déposée à New York. L’affaire se termine par un accord financier confidentiel.
- 2015 – Maroc : nouvelle accusation de viol. La procédure est classée sans suite.
- 2016 – Paris : une jeune femme l’accuse de l’avoir frappée et violée dans une suite du Marriott Champs-Élysées. Il est condamné en première instance à six ans de prison en 2023, puis fait appel. Ce procès-là aussi a déjà été reporté.
- 2018 – Saint-Tropez : l’affaire qui nous occupe aujourd’hui.
Quatre affaires en quatre pays différents sur huit ans. Même si certaines ont été closes, le cumul pose question. Et pourtant, l’artiste continue de remplir les stades au Maroc et dans tout le monde arabe où il reste immensément populaire.
« Il est présumé innocent, mais le nombre de plaintes similaires interpelle forcément. »
– Une source judiciaire ayant suivi plusieurs dossiers
Le paradoxe de la célébrité
Ce qui frappe dans cette saga, c’est le fossé abyssal entre l’image publique de la star et les accusations qui pèsent sur l’homme privé. Au Maghreb et au Moyen-Orient, Saad Lamjarred reste un demi-dieu. Ses clips cumulent des centaines de millions de vues, ses concerts font salle comble, les mariages le réclament. En 2023, il a même été choisi pour chanter l’hymne officiel de la Coupe d’Afrique des Nations.
En parallèle, en France, il traîne un contrôle judiciaire strict : remise de passeport, interdiction de quitter le territoire sans autorisation, pointages réguliers. Il vit entre deux mondes : adulé chez lui, suspect ici. Cette dualité rend l’affaire encore plus clivante.
J’ai personnellement discuté avec des fans marocains qui refusent catégoriquement d’y croire : « C’est un complot, on veut salir l’image du Maroc ». D’autres, plus rares, avouent être troublés mais préfèrent attendre le jugement définitif. La vérité, comme souvent avec les célébrités, se perd dans le bruit des réseaux sociaux.
Les coulisses d’un chantage à trois millions d’euros
Petit détail qui ajoute du piment : dans l’affaire parisienne de 2016, la plaignante et quatre complices présumés vont être jugés séparément… pour tentative d’extorsion de fonds. Ils auraient réclamé trois millions d’euros au chanteur en échange du retrait de la plainte. Une histoire rocambolesque qui rappelle que, dans ce genre de dossiers ultra-médiatisés, certains cherchent parfois à monnayer le silence.
Est-ce que cela discrédite automatiquement l’accusation initiale ? Bien sûr que non. Mais cela complexifie terriblement la lecture des faits pour le grand public. Et pour les jurés qui devront un jour trancher.
Et maintenant ?
Avec ce nouveau report, on entre dans la dixième année de procédure pour certains volets. Dix ans d’attente pour les plaignantes. Dix ans d’incertitude pour l’accusé. Dix ans de polémiques sur les réseaux.
On peut se poser la question : est-ce encore raisonnable ? Le droit à un procès dans un délai raisonnable est un principe fondamental. Mais quand une magistrate tombe malade, que faire ? Reporter, évidemment. Sauf que ces reports à répétition finissent par user tout le monde – victimes, accusé, avocats, opinion publique.
Certains observateurs estiment que la justice française, déjà saturée, peine à gérer les affaires impliquant des personnalités étrangères très médiatisées. D’autres y voient la preuve que le système protège les puissants. Moi, je crois surtout que ces dossiers montrent à quel point il est difficile de juger des faits intimes, sans preuves irréfutables, quand les deux parties campent sur des versions irréconciliables.
Une chose est sûre : quand le procès finira par se tenir – dans six mois, un an, deux ans ? – il sera suivi par des millions de personnes. Et quel que soit le verdict, il y aura toujours une partie du public pour crier au scandale.
Parce qu’au fond, cette affaire dépasse largement le cas personnel de Saad Lamjarred. Elle parle de consentement, de pouvoir, de célébrité, de différences culturelles dans la perception des relations hommes-femmes. Elle parle aussi de notre difficulté collective à accepter que nos idoles puissent avoir des zones d’ombre.
En attendant la prochaine date (quand elle sera enfin fixée), une seule certitude : l’histoire n’est pas terminée. Et elle continuera, malheureusement, à faire couler beaucoup d’encre… et beaucoup de larmes.
(Article mis à jour le 1er décembre 2025 – plus de 3200 mots)
