Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller un matin en découvrant des centaines de messages qui vous traitant de tous les noms simplement parce que vous avez conclu un accord politique ? Non ? Moi non plus. Pourtant, c’est exactement ce que vit Sofia Boutrih depuis quelques jours à Saint-Denis.
Et franchement, quand on voit le voit écrit noir sur blanc, ça fait froid dans le dos.
Une alliance qui met le feu aux poudres
Tout part d’un accord, somme toute assez classique à gauche : les communistes locaux et les insoumis décident de faire liste commune pour les municipales de mars 2026 à Saint-Denis. Objectif affiché : battre le maire sortant socialiste Mathieu Hanotin et proposer une alternative vraiment ancrée à gauche.
Jusque-là, rien de bien révolutionnaire. Ce genre d’unions arrive régulièrement, surtout en Seine-Saint-Denis où la gauche radicale reste forte. Mais cette fois, ça a dérapé. Et pas qu’un peu.
L’élément déclencheur ? Un message publié le 6 décembre par un dirigeant national du Parti communiste, vice-président d’une grande région, qui désapprouve ouvertement cet accord local. Et là, c’est l’étincelle. En quelques heures, les réseaux sociaux s’embrasent.
Quand la critique interne devient prétexte à la haine
Ce qui devait rester un débat politique interne prend une tournure complètement différente. Certains militants, apparemment très remontés, passent directement à l’attaque personnelle contre Sofia Boutrih, cheffe de file des communistes dionysiens.
Et là, on ne parle plus de désaccord stratégique. On parle d’insultes. De menaces. De propos racistes, sexistes, parfois carrément islamophobes alors même que la principale intéressée n’a jamais mis en avant sa religion dans son engagement.
« Communautariste », « entrisme islamiste », « vendue à LFI », « faut la virer »… Les messages pleuvent par centaines.
Le pire ? Beaucoup viennent de personnes se revendiquant… du Parti communiste lui-même. Des camarades, en théorie. Ceux avec qui on partage censément les mêmes valeurs d’égalité et de fraternité.
C’est là que ça devient glaçant. Quand la haine vient de l’intérieur.
Un cyberharcèlement organisé ?
Ce qui frappe, c’est la violence et la coordination. En quelques jours seulement, Sofia Boutrih se retrouve submergée. Les commentaires ne se contentent pas de critiquer l’accord politique. Ils s’attaquent à sa personne, à son physique, à ses origines, à sa dignité de femme.
- Attaques sexistes classiques (« retourne en cuisine »)
- Propos racialisés (« arabe de service »)
- Accusations d’islamisme sans le moindre début de preuve
- Menaces voilées (« on sait où tu habites »)
On est loin du débat démocratique. On est dans la pure violence numérique.
Et le plus inquiétant, c’est que ça fonctionne. Certains messages sont relayés, likés, partagés par des comptes suivis par des milliers de personnes. L’effet boule de neige est immédiat.
Une femme en première ligne
Il faut le dire clairement : Sofia Boutrih n’est pas n’importe qui dans le paysage politique local. Première femme à avoir dirigé la Fête de l’Humanité, élue d’opposition combative, elle incarne un renouvellement générationnel au sein du PCF en Seine-Saint-Denis.
Et c’est peut-être précisément ça qui dérange certains.
Parce que derrière les critiques politiques, on sent poindre autre chose. Une forme de résistance à voir une femme issue de l’immigration maghrébine prendre autant de place dans un parti historiquement très masculin et très… blanc, disons-le.
Quand on lit entre les lignes des messages haineux, on comprend vite que l’accord avec LFI n’est qu’un prétexte. Le vrai problème, pour certains, c’est qu’une femme comme elle ose diriger.
La réaction de l’intéressée
Face à cette vague, Sofia Boutrih a choisi de ne pas se taire. Lundi, elle publie un communiqué pour dénoncer publiquement ce « déferlement de haine ». Elle parle d’insultes, d’humiliations, de propos racistes et sexistes. Et elle annonce avoir saisi la commission des conflits de son propre parti.
C’est courageux. Parce que dans ces moments-là, beaucoup préfèrent baisser la tête et attendre que l’orage passe. Elle, non. Elle décide de mettre les pieds dans le plat.
Ces attaques ne sont pas seulement dirigées contre moi. Elles visent toutes les femmes qui osent prendre des responsabilités politiques.
Et elle a raison. Ce qu’elle vit n’est pas isolé. Combien de femmes politiques ont déjà été traînées dans la boue pour avoir simplement fait leur travail ?
Un parti communiste divisé
Ce qui rend l’affaire encore plus douloureuse, c’est qu’une partie de la haine vient de l’intérieur même du PCF. Des militants historiques, des élus, parfois même des gens qu’elle côtoie depuis des années.
On est en 2025, et on en est encore à voir des communistes traiter une camarade de « communautariste » parce qu’elle a la peau mate et un nom à consonance arabe.
C’est à se demander ce qu’il reste des valeurs qu’on nous a serinées pendant des décennies.
Le paradoxe est saisissant : ceux qui dénoncent le plus fort le racisme dans la société semblent parfois avoir du mal à le voir chez eux.
Saint-Denis, laboratoire de la gauche française
Saint-Denis n’est pas n’importe quelle ville. C’est un symbole. Une ville populaire, diverse, ouvrière, jeune. Un endroit où la gauche a toujours été forte mais où elle s’est aussi souvent déchirée.
L’accord PCF-LFI n’est pas anodin. Il pourrait préfigurer ce qui se passera ailleurs en 2027. Une gauche unie autour d’un programme radical ? Ou une gauche explosée en mille morceaux ?
Et dans ce contexte, l’avenir de Sofia Boutrih et de son alliance avec Bally Bagayoko (tête de liste LFI-PCF) devient un enjeu national.
Parce que si même à Saint-Denis, bastion historique, on n’arrive pas à s’entendre sans s’entretuer verbalement, alors où va-t-on ?
Vers une normalisation de la violence politique ?
Ce qui m’inquiète le plus dans cette histoire, ce n’est pas seulement ce qui arrive à Sofia Boutrih. C’est ce que ça dit de notre époque.
On a normalisé la violence verbale en politique. On trouve normal qu’une élue soit insultée parce qu’elle a conclu un accord avec un autre parti de gauche. On trouve normal que son origine soit utilisée comme arme.
Et pendant ce temps, l’extrême droite se frotte les mains. Parce que pendant qu’on s’étripe à gauche, elle avance tranquillement ses idées nauséabondes.
Triste ironie : ceux qui hurlent le plus fort contre « l’entrisme islamiste » reprennent exactement le même vocabulaire que l’extrême droite.
Et maintenant ?
La commission des conflits du PCF va-t-elle agir ? Va-t-on voir des sanctions contre ceux qui ont franchi la ligne rouge ? Ou va-t-on, une fois de plus, minimiser en parlant de « dérapages isolés » ?
L’accord tiendra-t-il jusqu’en mars 2026 ? L’alliance PCF-LFI à Saint-Denis survivra-t-elle à cette tempête ?
Une chose est sûre : cette affaire laissera des traces. Dans le parti. Dans la ville. Et peut-être dans tout le paysage politique de gauche.
Parce qu’on ne peut pas construire une alternative crédible quand on traite ses propres camarades comme des ennemis.
Et surtout, on ne peut pas prétendre défendre les opprimés quand on participe soi-même à leur oppression.
Au final, cette histoire nous renvoie une image peu flatteuse de nous-mêmes. Mais elle nous oblige aussi à nous poser les bonnes questions.
Jusqu’où est-on prêt à aller pour un désaccord politique ?
Et surtout : quelle gauche voulons-nous pour demain ?
À méditer. Longuement.
