Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe vraiment derrière les portes battantes d’une grande cuisine étoilée ? Quand les assiettes sortent parfaites, les sauces brillent et les clients applaudissent… qui pense au cuisinier qui vient peut-être de vaciller ?
Récemment, un chef connu, vainqueur d’une émission culinaire très suivie, a disparu plusieurs jours des fourneaux. Pas un caprice de star. Un vrai malaise. Direction l’hôpital. Et là, quelque chose a changé : il a décidé de parler. Vraiment parler. De cette fatigue qui ne part plus, de cette pression qui vous broie, de cette santé mentale qu’on cache comme une tache sur une nappe immaculée.
Quand le corps dit stop à la place de la tête
Fin octobre. Le chef sent un « coup de barre » brutal. Rien d’alarmant sur le papier, mais assez pour que les médecins le gardent quelques jours. Diagnostic ? Un signal d’alarme. Le genre que beaucoup ignorent jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Ce qui frappe, c’est qu’il n’était pas « à deux doigts de mourir », comme certains l’ont écrit. Non. Juste épuisé. Vidéo. Cinq ans sans vacances réelles. Des services à rallonge, la quête permanente de l’excellence, les guides qui notent, les clients qui attendent le sans-faute. Il compare ça à du sport de haut niveau. Et franchement, on comprend pourquoi.
« Depuis cinq ans, je n’avais pas pris de congés. On se dit qu’on n’a pas le temps, qu’il faut être là, que le client mérite le meilleur… et un jour, le corps dit stop. »
Un milieu où parler de fatigue est encore un luxe
Dans la restauration haut de gamme, la santé mentale reste un sujet presque honteux. On préfère dire « je suis un guerrier » plutôt que « j’ai besoin de souffler ». Ego, fierté, peur du jugement… tout y passe.
Après son hospitalisation, le chef a reçu des milliers de messages. Des collègues, des apprentis, des patrons de bistrots de campagne. Certains lui ont confié des histoires terribles. Un père de famille qui n’a pas supporté la pression financière et qui a mis fin à ses jours. Des restaurateurs qui ferment sans bruit. Des jeunes qui craquent en silence.
Le plus triste ? Beaucoup lui ont demandé de ne surtout pas partager leur témoignage. Trop peur d’être jugés. Même chez certains triples étoilés, on applaudit qu’il prenne la parole… mais on ne la prendra jamais soi-même.
La restauration française en crise silencieuse
Les chiffres font mal. Dans certains départements, plus de 200 restaurants ont fermé en un an. Pas seulement à cause du Covid ou de l’inflation. À cause de l’épuisement des troupes. Patrons, cuisiniers, serveurs : tout le monde est sur la corde raide.
- Horaires interminables (souvent 14-16 heures par jour)
- Pression des guides et des réseaux sociaux
- Marges ultra serrées malgré les additions élevées
- Manque cruel de main-d’œuvre formée
- Absence de vraies coupures
On demande à un chef d’être créatif, gestionnaire, comptable, manager, communicant… et de sourire en salle à 23 h 30 après 12 heures de service. Qui tiendrait ? Franchement.
Le corps, cet allié qu’on maltraite
Ce qui m’a marqué dans son témoignage, c’est la comparaison avec le sport de haut niveau. Et il a raison. Un athlète olympique a un staff médical, des jours de récupération, un suivi psychologique. Un chef ? Souvent rien. Ou presque.
Lui, depuis son malaise, a repris le coaching sportif. Pas pour le look. Pour tenir. Il dit qu’il est plus efficace, plus résistant. Et qu’enfin il arrive à caser deux séances par semaine. Ça paraît bête dit comme ça, mais c’est une petite révolution dans le milieu.
« On se voile la face en pensant qu’on n’a pas le temps. En réalité, quand on prend soin de soi, on gagne en efficacité. Tout simplement. »
Des projets plein la tête malgré tout
Ce qui est beau, c’est qu’il n’est pas amer. Loin de là. Il déborde d’idées. Une formule déjeuner plus accessible à 59 €, des offres pour les moins de 35 ans, des promos sur l’hôtel, un food truck qui reprend la route pour Noël, un nouveau restaurant à Marrakech en 2026, un dîner suspendu au-dessus des jardins de Giverny pour le centenaire de Monet… Il bouge, il crée, il s’adapte.
Parce que oui, derrière la crise, il y a toujours de la croissance, dit-il. Il faut juste savoir traverser la tempête. Et surtout, ne pas y laisser sa peau.
Et nous, on peut faire quoi ?
On peut déjà arrêter de croire que derrière chaque grande table il y a forcément un cuisinier heureux et reposé. On peut accepter de payer un peu plus cher un menu si ça permet à l’équipe de travailler dans des conditions décentes. On peut réserver plus tôt, annuler si on ne vient pas, laisser un pourboire généreux quand le service a été humain et chaleureux.
Et surtout, on peut écouter. Quand un chef dit qu’il est fatigué, qu’il a besoin de fermer deux jours par semaine, qu’il augmente légèrement ses prix pour payer mieux son équipe… on peut comprendre que c’est pas du caprice. C’est de la survie.
Un signal d’alarme qu’on ne peut plus ignorer
Ce malaise, finalement, aura peut-être servi à quelque chose. Il a ouvert une brèche. Des syndicats, des institutions, des experts commencent à se pencher sérieusement sur la question. Parce que oui, la grande cuisine française est magnifique. Mais elle ne doit pas se faire au prix de vies brisées.
Le chef l’a dit : il ne veut pas être un porte-parole permanent. Il a repris ses fourneaux, ses projets, sa vie. Mais il a tendu le bâton. À d’autres maintenant de le saisir.
Et nous, en tant que clients, passionnés, amateurs de bonne chère… on a aussi notre rôle. Continuer à aimer cette cuisine, oui. Mais avec un peu plus d’humanité. Un peu plus de bienveillance. Parce que derrière chaque plat d’exception, il y a des femmes et des hommes qui méritent qu’on prenne soin d’eux aussi.
La prochaine fois que vous pousserez la porte d’un restaurant étoilé, regardez un peu plus loin que l’assiette. Il y a peut-être, quelque part en cuisine, quelqu’un qui sourit mais qui a besoin qu’on lui dise : « Prends soin de toi. Ton travail est incroyable, mais toi aussi, tu comptes. »
