Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe vraiment dans la tête de ceux qui, demain, vont prendre soin de la vôtre ?
Derrière la blouse blanche et le sourire professionnel, beaucoup d’étudiants en médecine traversent l’enfer. Et franchement, quand on découvre les chiffres, on reste scotché : dépression multipliée par 1,7, idées suicidaires cinq fois plus fréquentes que chez les autres jeunes du même âge. Cinq fois. Laissez ça vous faire un petit tour dans la tête deux secondes.
C’est pour ça qu’à Orléans, une initiative complètement nouvelle vient de voir le jour. Une étude qui va suivre des centaines d’étudiants – et futurs soignants – pendant plus de vingt ans. Vingt ans. On parle d’un suivi longue durée absolument inédit en France.
OSMOSE : quand la science décide enfin de regarder la souffrance en face
Le nom est joli, presque poétique : OSMOSE. Il évoque l’équilibre, cette capacité à laisser passer ce qu’il faut pour rester en harmonie avec son environnement. Sauf que, clairement, l’harmonie, beaucoup d’étudiants en médecine n’en voient plus la couleur depuis longtemps.
Cette étude est née dans une faculté toute neuve, avec une psychiatre qui a décidé que ça suffisait. Elle arrive, elle regarde autour d’elle, elle voit des jeunes brillants qui s’effondrent en silence. Et elle se dit : on va faire quelque chose de sérieux. Pas un questionnaire vite fait tous les cinq ans. Non : un vrai suivi annuel, anonyme, sécurisé, qui va traquer tout ce qui peut abîmer une tête.
Des chiffres qui donnent le vertige
On savait déjà que les études de santé, c’était rude. Mais là, on a des données précises qui cognent fort.
- Le risque dépressif est 70 % plus élevé que chez les autres étudiants.
- Les idées suicidaires ? Cinq fois plus nombreuses.
- Et pourtant, seulement un étudiant sur trois ose pousser la porte d’un psy.
Pourquoi ils n’osent pas ? Peur du jugement, peur de paraître faible, peur que ça reste dans leur dossier et leur pourrisse l’internat plus tard. On leur apprend à soigner les autres, mais on ne leur apprend pas à demander de l’aide. C’est un peu comme former des pompiers qui auraient honte d’avoir peur du feu.
« La stigmatisation reste énorme, y compris chez les futurs soignants. Beaucoup se disent : si je ne travaille pas plus, je n’aurai pas mon concours. Ils ne prennent pas soin d’eux. »
– Une psychiatre spécialisée dans le milieu médical
Ce que l’étude OSMOSE veut vraiment comprendre
L’idée n’est pas juste de compter les déprimés. C’est de comprendre quand ça bascule, comment ça bascule, et surtout quoi empêche que ça bascule.
Chaque année, les étudiants remplissent un questionnaire ultra-complet. On y parle :
- dépression et anxiété, évidemment
- burn-out (parce que oui, ça touche aussi les étudiants)
- addictions (café, écrans, parfois pire)
- solitude et précarité financière
- violences sexistes et sexuelles – oui, ça existe aussi dans les facs de médecine
Et le plus fou ? L’étude ne s’arrête pas à ceux qui restent en médecine. Elle suit aussi ceux qui partent vers kiné, sage-femme, pharmacie… Parce que la souffrance, elle, ne fait pas de distinction de filière.
Une étudiante témoigne : « L’anonymat, c’est ce qui change tout »
Claire – on a changé son prénom, vous vous en doutez – est en troisième année. Elle a répondu au premier questionnaire. Et elle le dit sans détour : sans la garantie totale d’anonymat, elle n’aurait jamais été aussi honnête.
« On est une petite promo, à peine une centaine. Ça permet un meilleur suivi, c’est rassurant. Mais en même temps, tout le monde se connaît… Alors l’anonymisation, c’est vital. »
Elle parle des stages qui commencent tôt, de la pression constante, des remarques parfois déplacées, des violences qu’on subit et dont on parle à voix basse entre copines. Elle dit aussi que sa génération s’interroge beaucoup. Qu’on sait que le risque existe. Qu’on en rit jaune parfois, mais qu’on sait.
Pourquoi maintenant ? Le Covid a tout accéléré
Il y a un avant et un après Covid chez les 18-25 ans. Les épisodes dépressifs ont quasiment doublé dans cette tranche d’âge. Et les étudiants en santé, déjà fragiles, ont pris la vague de plein fouet.
Isolement, cours en ligne, stages annulés puis rattrapés dans l’urgence, peur de contaminer ses proches… Tout ça sur fond de concours toujours aussi impitoyable. Résultat : une génération qui arrive en externat déjà épuisée.
Et puis il y a cette culture du « t’as pas le droit de craquer ». On leur répète qu’ils ont choisi le plus beau métier du monde – ce qui est vrai – mais on oublie de leur dire qu’on peut aimer quelque chose et quand même en crever.
Et après ? Quand observation devient action
OSMOSE n’est pas juste un thermomètre. C’est aussi un levier.
Dès que les premiers résultats tomberont – dans quelques mois –, l’idée est d’agir. Identifier les étudiants les plus à risque (de façon anonyme, bien sûr), renforcer les dispositifs d’accompagnement, faire évoluer les programmes, créer des espaces safe, former les tuteurs à repérer les signaux…
À terme, l’objectif est clair : que cette étude change concrètement des vies. Qu’un étudiant qui va mal aujourd’hui ne devienne pas un médecin en burn-out demain. Et pourquoi pas étendre le modèle à d’autres facs ? Parce que le problème, lui, est national.
Un espoir concret, enfin
Dans les couloirs de la jeune faculté d’Orléans, on sent déjà que quelque chose bouge. Les étudiants savent qu’on les regarde autrement. Pas comme des machines à concours, mais comme des êtres humains qui vont, un jour, tenir d’autres vies entre leurs mains.
Et ça, mine de rien, c’est énorme.
Parce qu’un médecin qui a appris à prendre soin de lui sera toujours un meilleur médecin pour ses patients. C’est presque une évidence. Pourtant, il aura fallu attendre 2025 pour qu’on commence enfin à le prendre au sérieux.
OSMOSE, c’est peut-être le début d’une petite révolution. Douce, discrète, mais profonde. Une révolution qui dit : oui, on peut être brillant et fragile à la fois. Oui, on peut demander de l’aide sans avoir honte. Oui, on peut changer les choses.
Et franchement ? Il était temps.
(L’étude OSMOSE sera présentée officiellement mi-décembre lors d’un grand congrès de psychiatrie. On suivra ça de très près. Parce que oui, ça nous concerne tous. Un jour ou l’autre, on sera tous patients.)
