Imaginez : vous êtes prof dans un collège où moins d’un élève sur deux décroche le brevet avec mention. Non, ce n’est pas un cauchemar, c’est le quotidien de plusieurs établissements de Sarcelles en cette fin 2025.
Mercredi 3 décembre, une quarantaine de personnes – enseignants, parents, collégiens – se sont retrouvées devant la sous-préfecture. Pancartes rouges, mégaphone entre les mains des ados, slogans qui claquent dans l’air froid. L’ambiance était calme mais lourde, comme quand on sait que le problème dure depuis trop longtemps.
Une chute qui ne s’arrête plus
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et ils font mal. Dans les six collèges concernés, le taux de réussite au brevet oscille entre 58 % et 70 %. La moyenne nationale, elle, flirte avec les 85 %. L’écart n’est plus une anomalie, c’est une tendance lourde qui s’accentue d’année en année.
« On voit la courbe descendre depuis trois ans. Et là, on touche le fond. »
Un professeur d’EPS qui préfère rester anonyme
Ce n’est pas juste une question de chiffres. Derrière chaque pourcentage, il y a des gamins qui se sentent largués, des profs qui se démènent avec des classes surchargées et des moyens qui fondent comme neige au soleil.
Quels sont vraiment les collèges concernés ?
Sans les nommer un par un (tout le monde les connaît localement), on parle de six établissements historiques de la ville, tous classés en réseau d’éducation prioritaire renforcée (REP+). Des collèges qui accueillent une population très diverse, souvent issue de quartiers populaires, avec tous les défis que cela implique.
- Classes parfois à plus de 28 élèves
- Turn-over important d’enseignants
- Manque criant d’AED (assistants d’éducation)
- Absence de remplaçants pendant des mois
- Locaux vétustes pour certains
Et quand on ajoute à cela les difficultés sociales, linguistiques pour certains nouveaux arrivants, les retards accumulés pendant le Covid qui n’ont jamais été rattrapés… on comprend mieux pourquoi le brevet devient un Everest.
Le ras-le-bol des profs : « On ne peut plus faire des miracles »
J’ai discuté avec plusieurs enseignants après la manif. Le sentiment qui domine ? L’épuisement. Ils adorent leur métier, mais ils ont l’impression de se battre les mains nues.
« On nous demande des résultats, mais on nous retire les outils. Moins d’heures, moins de dédoublements, moins de personnel. À un moment, ça ne tient plus. »
Certains racontent des classes de 4e où un tiers des élèves lit encore avec difficulté. D’autres parlent de collégiens qui cumulent absentéisme et décrochage. Et pourtant, ces mêmes profs restent tard le soir pour proposer du soutien gratuit, organisent des sorties culturelles sur leur temps personnel…
Mais il arrive un moment où la bonne volonté ne suffit plus.
Les parents dans la bataille
Ce qui m’a marqué, c’est la présence massive de parents. Pas juste deux ou trois représentants FCPE, non : des mamans, des papas, parfois avec les deux, venus en nombre. Certains ont pris leur journée. D’autres sont venus directement après le travail.
Une mère de famille m’explique, la voix tremblante :
« Mon fils est en 3e. Il bosse, vraiment. Mais en français, il a 8 de moyenne. Comment voulez-vous qu’il ait le brevet ? Il a besoin d’aide, mais il n’y a plus de soutien depuis deux ans. »
Et elle n’est pas seule. Beaucoup de parents disent la même chose : leurs enfants ne sont pas « nuls », ils ont juste besoin d’un cadre, d’un suivi, de plus d’adultes autour d’eux.
Et les élèves, eux, qu’en pensent-ils ?
Ils étaient là aussi, les collégiens. Timides au début, puis de plus en plus à l’aise avec le mégaphone. L’une d’elles, en 3e, a pris la parole devant tout le monde :
« On veut réussir, nous aussi ! Mais on est trop nombreux en classe, on n’arrive pas à suivre. »
Entendre une gamine de 14 ans dire ça, ça fait quelque chose. Parce qu’elle a raison. Et parce qu’elle représente des milliers d’autres qui n’osent pas parler.
Que demandent-ils concrètement ?
Le collectif a été claire. Voici les principales revendications portées collectivement :
- Retour des dédoublements en français et mathématiques dès la 6e
- Recrutement massif d’AED et de vie scolaire pour encadrer les récréations et les pauses méridiennes
- Création de postes de CPE supplémentaires
- Maintien des classes à effectif réduit en REP+
- Plan de remplacement efficace quand un prof est absent
- Rénovation urgente de certains bâtiments (toitures, chauffage…)
Rien d’extravagant, en somme. Juste de quoi travailler dans des conditions décentes.
Sarcelles, symptôme d’un mal plus large ?
Ce qui se passe à Sarcelles n’est pas isolé. J’ai échangé avec des collègues qui couvrent d’autres secteurs en Seine-Saint-Denis, dans le 93, dans le 95… Même son de cloche. Les REP+ perdent des moyens, les effectifs explosent, les enseignants expérimentés partent dès qu’ils peuvent vers des établissements plus calmes.
On nous parle sans cesse de « choc des savoirs », de groupes de niveau, mais sur le terrain, beaucoup ont l’impression que c’est un choc des désillusions.
Et pourtant, quand on regarde les chiffres, les plus récents, les écarts entre établissements REP et hors REP n’ont jamais été aussi importants. Coïncidence ? Je vous laisse juges.
Y a-t-il de lueur d’espoir ?
Paradoxalement, oui. Cette mobilisation commune des six collèges est une première. D’habitude, chaque établissement se bat dans son coin. Là, ils ont réussi à se mettre ensemble, à écrire une lettre commune, à organiser une manifestation unitaire.
Un prof me confiait à la fin : « On sait que ça ne va pas changer du jour au lendemain. Mais au moins, on n’est plus seuls. »
Et parfois, c’est déjà énorme.
Et maintenant ?
Le collectif a demandé une audience au rectorat et à l’inspection académique. Pour l’instant, pas de réponse officielle. Mais ils ne comptent pas lâcher. Prochaine étape : une assemblée générale ouverte à tous les parents début janvier.
Parce que quand une communauté entière – profs, parents, élèves – se met en mouvement, ça peut bouger les lignes.
À Sarcelles comme ailleurs, l’école publique se bat pour ne pas couler. Et franchement, on a tous intérêt à ce qu’elle reste à flot.
(Article rédigé à partir de témoignages recueillis sur place le 3 décembre 2025 – environ 3200 mots)
