Vous souvenez-vous du temps où le « front républicain » était une ligne rouge sacrée à droite ? Moi oui. C’était il y a encore quelques années à peine. Et pourtant, en ce début décembre 2025, tout semble vaciller. Un ancien président de la République, figure historique des Républicains, vient de franchir le Rubicon en déclarant tout net qu’il ne participera jamais à un barrage contre le Rassemblement National. Et pas n’importe lequel : Nicolas Sarkozy lui-même.
Quand j’ai lu les premières lignes qui fuitent de son prochain livre, j’avoue avoir eu un mouvement de surprise. Pas parce que l’idée était totalement inattendue – on sentait bien que quelque chose couvait depuis longtemps – mais parce qu’il l’assume aussi crûment, presque avec une forme de sérénité.
Le refus qui change tout
L’histoire est simple, et pourtant lourde de conséquences. Après sa condamnation dans l’affaire du financement libyen et ses quelques jours passés en détention, plusieurs personnalités lui ont témoigné leur soutien. Parmi elles, la présidente du RN. Quelques jours plus tard, une conversation téléphonique a lieu. Et là, la question tombe, directe : « Allez-vous vous associer à un front républicain contre nous lors des prochaines échéances ? »
La réponse de l’ancien chef de l’État ne souffre aucune ambiguïté.
« Non, et de surcroît je l’assumerai en prenant le moment venu une position publique sur le sujet. »
Autrement dit : pas de demi-mesure, pas de « je verrai selon le contexte ». Un non franc, net, définitif. Et surtout, la promesse de le répéter haut et fort quand le moment viendra. On est loin des circonvolutions habituelles des politiciens.
Un rassemblement « sans exclusive ni anathème »
Ce qui frappe peut-être encore plus, c’est la philosophie qui sous-tend ce refus. Sarkozy ne se contente pas de dire non au barrage. Il pose une vision : celle d’une droite qui doit se reconstruire par le rassemblement le plus large possible. Sans ostracisme, sans diabolisation.
Dans le livre, la formule est limpide :
« Le chemin de reconstruction de la droite ne pourra passer que par l’esprit de rassemblement le plus large possible, sans exclusive et sans anathème. »
C’est une phrase qui pèse. Parce qu’elle valide, même indirectement, l’idée que le RN fait partie du paysage politique légitime avec lequel on peut – et peut-être doit – discuter. Finies les grandes messes morales où l’on jurait qu’on ne parlerait jamais à l’extrême droite. On passe à autre chose.
Pourquoi maintenant ?
Le timing n’est évidemment pas anodin. Nous sommes à dix-huit mois de la présidentielle de 2027. Les Républicains sont en miettes après la dissolution ratée de l’été 2024 et la censure du gouvernement Barnier. Le RN, lui, caracole dans les sondages et flirte avec les 35-38 % d’intentions de vote au premier tour.
Dans ce contexte, beaucoup à droite se posent la question : faut-il continuer à jouer la carte du « ni-ni » (ni RN, ni Macron), ou bien accepter l’idée d’une alliance, même tactique, avec le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella ? Sarkozy, lui, a déjà choisi. Et il le dit sans détour.
J’ai l’impression que l’ancien président sent que le vent tourne. Que l’électorat populaire, celui qui votait autrefois massivement à droite, a largement migré vers le RN. Et qu’il est temps de parler son langage plutôt que de le stigmatiser.
Les Républicains entre stupeur et division
Du côté du siège de la rue de Vaugirard, c’est la sidération. Officiellement, on minimise : « Ce sont des propos personnels, tirés d’un livre… » Mais en privé, ça grince sévère.
- Une partie de l’aile modérée (les juppéistes historiques, les soutiens d’Édouard Philippe) y voit une trahison des valeurs gaullistes et chrétiennes-démocrates.
- L’aile droite (Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, Éric Ciotti) est beaucoup plus ambivalente : certains y voient une opportunité, d’autres un danger mortel pour l’identité LR.
- Les plus jeunes, eux, haussent les épaules : pour eux, le cordon sanitaire est déjà largement rompu dans les esprits depuis longtemps.
Ce qui est sûr, c’est que cette prise de position arrive au pire moment pour le parti. Alors que Laurent Wauquiez tente de remettre de l’ordre et de préparer une candidature crédible pour 2027, voilà que l’ancien patron historique vient lui savonner la planche en légitimant, même de loin, une porosité avec le RN.
Macron, l’autre cible
Dans le même livre, Sarkozy n’épargne pas le président actuel. Il raconte une rencontre glaciale juste avant son incarcération : « Je n’avais rien à lui dire et n’avais guère envie d’une discussion amicale avec lui. » Il lui reproche la dissolution de 2024, le retrait de sa Légion d’honneur après l’affaire des écoutes, et parle même de « méfiance installée ».
On sent une rancœur tenace. Et en filigrane, l’idée que Macron a contribué à détruire la droite traditionnelle en la privant d’oxygène avec son « en même temps ». Sarkozy semble penser que le seul moyen de faire renaître une grande force de droite, c’est de dépasser les clivages d’hier.
Et maintenant ? Les scénarios possibles
À partir de là, plusieurs hypothèses s’ouvrent :
- Le scénario de l’alliance explicite. Peu probable avant 2027, mais imaginable aux législatives suivantes si le RN manque de quelques sièges pour gouverner seul.
- Le scénario du « ni-ni » généralisé. LR laisse ses électeurs libres au second tour face à la gauche ou à Renaissance. C’est déjà ce qui s’est passé dans de nombreuses circonscriptions en 2024.
- Le scénario de l’implosion. Une partie des Républicains refuse toute porosité et rejoint Horizons ou Renaissance ; l’autre partie bascule franchement vers une union des droites.
Personnellement, je penche pour le deuxième scénario à court terme. Sarkozy a ouvert une brèche, mais il reste trop de résistances internes pour une alliance ouverte avant la présidentielle. En revanche, dès qu’il s’agira de faire tomber un gouvernement ou de voter des lois sécuritaires, on verra vite qui est prêt à tendre la main… et qui ne l’est pas.
Ce que ça dit de la France de 2025
Au-delà de la petite musique politicienne, cette prise de position en dit long sur l’état du pays. Le « front républicain », ce mécanisme qui consistait à faire barrage à l’extrême droite quel qu’en soit le prix, est en train de mourir à petit feu. Parce que les Français n’y croient plus. Parce qu’ils en ont marre des combines d’appareil. Parce que beaucoup estiment que les problèmes d’immigration, d’insécurité ou de pouvoir d’achat méritent des réponses fortes, peu importe d’où elles viennent.
Sarkozy, avec son flair habituel, a senti cela avant beaucoup d’autres. Il sait que l’électorat de droite dure ne pardonne plus les reniements. Et qu’une grande partie de l’électorat populaire, même chez les anciens communistes ou socialistes, ne voit plus le RN comme le diable.
Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la démocratie ? La question est ouverte. Ce qui est certain, c’est que nous assistons à un tournant. Peut-être le plus important depuis 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir.
En attendant, une chose est sûre : le livre qui sort mercredi va faire l’effet d’une petite bombe dans les rédactions et les états-majors. Et quand Sarkozy promet de « prendre position publiquement » le moment venu… on peut être certains qu’il le fera. Avec le sens du timing qu’on lui connaît.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le refus de Sarkozy est-il une erreur stratégique ou une prise de conscience lucide ? La droite doit-elle s’élargir jusqu’au RN ou rester fidèle à ses « valeurs républicaines » ? Les commentaires sont ouverts.
