Imaginez un gamin de Gap qui, adolescent, rêvait surtout d’un buggy pour faire de l’autocross comme son oncle. Vingt ans plus tard, ce même garçon se retrouve à égaler le record absolu de titres mondiaux en rallye. L’histoire de Sébastien Ogier, c’est un peu celle d’un rêve qui refuse de s’arrêter.
Il y a quelques jours, à l’occasion de son 42e anniversaire, il s’est posé tranquillement pour revenir sur les images qui ont jalonné sa carrière hors norme. Entre deux gorgées de café et beaucoup de rires, il a accepté de commenter neuf clichés qui racontent bien plus qu’une simple succession de victoires : ils racontent un homme, ses doutes, ses joies et cette faim intacte de gagner encore.
D’un rêve d’autocross à la conquête du monde
Quand on regarde la photo de sa chambre d’ado, on sourit forcément. Les posters de Tommi Mäkinen trônent en bonne place, mais aucun ne crie “je serai champion du monde”. À l’époque, le rallye était un sport qu’il suivait de loin, surtout quand le Monte-Carlo passait à deux pas de chez lui.
Pourtant, c’est bien là que tout a commencé. Sans le coup de pouce décisif de l’opération Rallyes Jeunes en 2005, rien n’aurait été possible. Ogier raconte encore avec émotion cette finale à Alès :
« C’était la première fois que je pilotais une vraie voiture de rallye… enfin, c’est ce que je croyais à l’époque. Quand j’ai réessayé récemment une 206 du Volant Peugeot refaite à neuf, je me suis demandé comment on pouvait piloter ça ! »
Sébastien Ogier
Ce jour-là, le stress était à son paroxysme. Mais le talent était déjà là, bien caché derrière un grand sourire timide.
Monte-Carlo, l’amour de toujours
Il y a des pilotes pour qui le Monte-Carlo est juste une épreuve de plus. Pour Ogier, c’est bien davantage. Treize éditions consécutives terminées sur le podium (1er ou 2e) depuis 2013. Du jamais vu.
Il connaît ces routes par cœur, même celles qu’il n’empruntait jamais avant de devenir pilote. Le Col de Moissière, par exemple, se trouve à quelques kilomètres seulement de chez ses parents. Pourtant, il n’y était jamais passé avant le rallye.
Pourquoi une telle réussite ? D’abord, il a grandi dans cet environnement hivernal particulier. Ensuite, il a toujours su gérer la course comme un échiquier :
- attaquer quand il faut
- lever le pied quand ça devient trop risqué
- faire les bons choix de pneus (même si parfois, ça rate complètement !)
Il se souvient encore de ce 2014 où l’équipe avait promis “pas de neige”. Son père, spectateur au bord de la route, l’avait appelé en urgence :
« Tu as pris quoi comme pneus ? Parce qu’ici c’est tout blanc… »
Des anecdotes comme celle-là, il en a des dizaines. Et elles expliquent pourquoi, année après année, il reste intouchable sur la neige du Turini.
Les victoires qui font battre le cœur plus fort
Il y a des victoires qui marquent plus que d’autres. Celles qui se jouent à quelques dixièmes, celles où l’on a tout donné jusqu’à la dernière seconde.
Le Rallye de Jordanie 2011 reste l’un de ses plus beaux souvenirs : victoire pour deux dixièmes devant Jari-Matti Latvala. À l’époque, c’était le plus faible écart de l’histoire du WRC.
Mais il a aussi connu l’inverse. En Sardaigne 2024, Ott Tänak le devance de deux dixièmes après une crevaison à trois kilomètres de l’arrivée. Ogier avoue :
« Là, tu te dis que tu aurais pu aller chercher ces dixièmes ailleurs… Ça met du temps à passer. »
Pourtant, quand on a déjà un beau palmarès, on relativise plus facilement. C’est l’un des privilèges des grands champions.
La Polo R WRC : sa voiture de cœur
Si vous lui demandez quelle voiture il préfère parmi toutes celles qu’il a pilotées, la réponse fuse sans hésitation : la Volkswagen Polo R WRC de 2013-2016.
Il a passé des milliers de kilomètres à la développer, dans des conditions extrêmes, jusqu’au Mexique. Cette auto, il l’a littéralement façonnée à son image.
Il en a d’ailleurs gardé un exemplaire dans son garage, à côté d’une Toyota Yaris et d’une Ford Fiesta. Des souvenirs roulants.
Les accidents qui font réfléchir
Le rallye est un sport dangereux, Ogier le sait mieux que personne. Il a connu plusieurs gros accidents, dont un particulièrement impressionnant en Allemagne 2014.
Il était alors démoralisé par l’annonce d’un nouveau règlement qui l’aurait obligé à ouvrir la route deux jours au lieu d’un. Résultat : deux sorties de route dans le même week-end.
Il avoue avoir eu très peur :
« Ça aurait pu moins bien se terminer… Ça a été un rappel à l’ordre. J’ai décidé d’arrêter les conneries. »
Il y a aussi ce Monte-Carlo 2012 en Skoda Fabia : la voiture neuve complètement détruite, une roue jamais retrouvée. Des moments qui rappellent que la ligne entre victoire et catastrophe est parfois très fine.
Malcolm Wilson, un patron qui change tout
Parmi les personnes qui ont marqué sa carrière, Malcolm Wilson occupe une place à part. Chez M-Sport, Ogier a découvert un monde différent : pas de politique, des décisions rapides, une vraie écoute.
Les deux titres mondiaux décrochés en 2017 et 2018 avec une équipe aux moyens plus limités que Volkswagen ou Citroën ont définitivement enterré l’idée que ses victoires étaient “faciles” parce qu’il était toujours dans la meilleure voiture.
Le Mans, une parenthèse inoubliable
En 2022, il a tenté l’aventure des 24 Heures du Mans avec l’écurie du film Le Mans 66. Une expérience qu’il décrit comme “vraiment chouette”.
Piloter une Hypercar dans le trafic, partager le volant, découvrir une ambiance unique… Il n’exclut pas du tout d’y retourner un jour.
En revanche, pas question de se lancer dans le rallye-raid. Ce n’est pas son truc.
Passer le relais… sans vraiment le faire
Fin 2021, beaucoup pensaient que la nouvelle génération, incarnée par Kalle Rovanperä, allait définitivement prendre le pouvoir. Ogier a pris du recul, participé à moins de rallyes… et pourtant, en 2025, il a encore remporté le titre.
Il raconte avec une pointe de fierté :
« Beaucoup pensaient que je n’avais plus la capacité de rivaliser. Et pourtant, cette année, à part en Finlande et aux Canaries, on a souvent dominé Kalle en performance pure. »
Après la victoire au Japon, Jonne Halttunen, le copilote de Kalle, est venu le voir pour lui dire :
« Tu nous as bluffés toute l’année. C’est toi qui méritais le plus ce titre. »
Un beau moment d’humilité et de respect entre générations.
Vincent Landais, le nouveau binôme
Depuis 2023, c’est Vincent Landais qui lit les notes à ses côtés. Et le courant passe exceptionnellement bien.
Ogier s’amuse encore du fait que Vincent et Julien Ingrassia ont exactement le même timbre de voix. Il ajoute que Vincent s’est beaucoup inspiré de Julien, ce qui a facilité la transition.
Dans l’habitacle, peu de paroles inutiles :
- concentration maximale
- notes précises
- confiance absolue
La recette d’une belle complicité.
Et maintenant ?
À 42 ans, Ogier pourrait légitimement penser à la retraite. Mais tout le monde s’accorde à dire que la flamme est toujours là, intacte.
Il veut ce dixième titre. Pas pour battre un record, mais parce que le défi reste excitant. Et parce que, comme il le dit lui-même :
« J’ai encore envie de me battre, de me dépasser, et de prouver que je peux encore rivaliser avec les meilleurs. »
Alors, en attendant la saison prochaine, on se repasse ces images, ces anecdotes, ces moments de grâce et de sueur. On se dit que le rallye a de la chance d’avoir un tel ambassadeur.
Et on attend, impatients, de voir jusqu’où ira cette légende vivante.
Article rédigé avec passion par un amoureux du rallye qui, comme beaucoup, admire depuis longtemps le parcours exceptionnel de Sébastien Ogier.
