Vous est-il déjà arrivé de passer devant un petit centre commercial de quartier et de vous dire que, derrière sa façade un peu défraîchie, il y avait toute une vie ? Moi oui, souvent. Et quand j’ai appris que la halle Mandela de Sevran, celle juste collée à la gare RER des Beaudottes, risque purement et simplement de disparaître, j’ai eu un pincement au cœur. Parce que derrière les vitrines, il y a des gens qui sont là depuis parfois quarante ans.
Quand le Grand Paris Express passe, la halle Mandela trépasse ?
Le projet est simple sur le papier : créer une ZAC Sevran Mandela Gare autour de la future station de la ligne 16 du Grand Paris Express, construire près de 600 logements, rendre le quartier « plus attractif et dynamique ». En gros, transformer un coin de Sevran un peu oublié en nouveau pôle urbain. Sauf que pour faire place nette, il faut raser la vieille halle commerciale construite en 1984, avec sa verrière et ses treize boutiques qui tournent encore.
Et là, les commerçants ne décolèrent pas. « On ne vire pas comme ça des gens qui sont là depuis des décennies ! » résume Ourida, qui tient la boucherie avec son associé. Et franchement, on les comprend.
Une halle qui n’a rien d’un centre commercial fantôme
Contrairement à certains lieux qu’on voit parfois à l’abandon, la halle Mandela est vivante. On y trouve de tout : une boucherie halal qui fait la queue le week-end, un pressing, un coiffeur, une épicerie, un bureau de tabac-presse… C’est le cœur battant des Beaudottes. Les habitants du quartier y passent tous les jours, les lycéens y traînent après les cours, les mamans y font leurs courses en sortant du RER.
« Ici, on connaît tout le monde. Les clients, on les voit grandir, on voit leurs enfants, leurs petits-enfants… »
Une commerçante présente depuis 1987
Ce genre de lieu, on en trouve de moins en moins en banlieue. Tout se concentre dans les gros centres commerciaux avec parking géant ou dans les zones d’activité en périphérie. La halle Mandela, elle, est à taille humaine, accessible à pied, collée à la gare. Elle fait partie de ces rares endroits où la vie de quartier existe encore vraiment.
Le Grand Paris Express : progrès ou bulldozer ?
Ne nous leurrons pas : l’arrivée de la ligne 16, c’est une excellente nouvelle pour Sevran. Aujourd’hui, pour aller à Paris, il faut souvent prendre le RER B, changer, attendre… Avec la ligne 16, on sera à Saint-Denis Pleyel en quelques minutes, à La Défense en un rien de temps. Le quartier va forcément se transformer, attirer de nouveaux habitants, peut-être des bureaux.
Mais à quel prix ? C’est toute la question. Faut-il tout raser pour faire place au neuf ? Ne pourrait-on pas intégrer la halle existante dans le projet ? La moderniser, la rénover, plutôt que de la détruire ?
- La halle date de 1984 → structure vieillissante mais pas irrécupérable
- Elle est collée à la gare RER → emplacement stratégique
- Elle génère de l’animation → essentielle pour la future gare Grand Paris
- li>Les commerçants sont prêts à discuter d’une rénovation → mais pas d’une expulsion
Pour l’instant, le projet de ZAC semble inflexible : démolition totale. Les commerçants ont reçu des courriers sur courriers leur annonçant une expulsion à venir si l’opération est déclarée d’utilité publique. Autant dire que l’ambiance est tendue.
Des vies entières menacées par un trait de crayon d’urbaniste
Ce qui frappe le plus, c’est l’ancienneté de certains commerçants. Certains ont ouvert leur boutique à l’inauguration de la halle en 1984. Ils ont vu le quartier évoluer, les tours se construire, les habitants arriver, partir, revenir. Ils ont survécu aux crises, aux changements de clientèle, aux travaux interminables du RER.
Aujourd’hui, on leur dit : « Merci pour votre fidélité, mais on va tout démolir. » Sans proposition concrète de relogement dans le futur programme immobilier. Quelques promesses vagues de locaux dans le nouveau quartier, mais rien de signé, rien de précis.
« On a investi toute notre vie ici. Et demain, on se retrouve à la rue ? Sans indemnité décente ? C’est pas humain. »
Et là, on touche à quelque chose de profond. Derrière les chiffres (600 logements, X m² de surface commerciale future), il y a des destins. Des familles qui vivent de ces boutiques. Des employés qui risquent le chômage. Un tissu social qui risque de se déchirer.
Une bataille qui dépasse Sevran
Ce qui se joue aux Beaudottes, on le voit partout autour du Grand Paris Express. À Aulnay, à Noisy-Champs, à Clichy-sous-Bois… Partout où arrive une nouvelle gare, on promet monts et merveilles : logements, emplois, attractivité. Mais on oublie souvent ceux qui sont déjà là.
Le paradoxe est cruel : on veut désenclaver la banlieue, lui donner enfin les transports qu’elle mérite, mais dans le même temps, on risque de détruire ce qui fait son identité. Comme si, pour être moderne, il fallait tout effacer du passé.
Je trouve ça triste. On parle beaucoup de mixité sociale, de lien entre les générations, de quartier vivant. Mais quand un lieu incarne exactement ça – mélange de cultures, commerce de proximité, histoire commune – on le sacrifie sans état d’âme.
Et si on imaginait autre chose ?
Personne ne nie que la halle a vieilli. La verrière fuit un peu, certaines boutiques auraient besoin d’un coup de peinture, l’éclairage date un peu. Mais franchement, est-ce une raison pour tout raser ?
On pourrait très bien imaginer :
- Garder la structure principale et la rénover en profondeur
- Intégrer les commerçants historiques dans le nouveau projet
- Créer une halle moderne mais chaleureuse, avec rooftop végétalisé ou marché couvert
- Prévoir des locaux à loyers modérés pour éviter la spéculation
Des exemples existent ailleurs. À Lisbonne, le marché da Ribeira a été entièrement rénové tout en gardant ses commerçants historiques. À Londres, Borough Market a su marier tradition et modernité. Pourquoi pas à Sevran ?
Un combat qui ne fait que commencer
Pour l’instant, les commerçants se mobilisent. Pétitions, réunions avec la mairie, prise de contact avec les associations de défense des commerces de proximité. Ils ne veulent pas se laisser faire. Et ils ont raison.
Parce que si on les laisse passer au bulldozer, ce sera un signal terrible envoyé à tous les petits commerçants de banlieue : votre place n’est plus ici. Le progrès, c’est pour les promoteurs et les nouveaux habitants bobos. Vous, vous dégagez.
Moi je crois qu’on peut faire autrement. Qu’on peut construire du neuf sans détruire l’ancien. Que la modernité, la vraie, c’est aussi savoir préserver ce qui fait l’âme d’un quartier.
Affaire à suivre. Mais une chose est sûre : la halle Mandela ne se laissera pas oublier si facilement.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Faut-il tout raser pour construire du neuf ? Ou peut-on imaginer une autre voie, plus respectueuse des habitants et des commerçants historiques ?
