Vous arrivez au bureau un lundi matin, café à la main, et vous tombez sur cette info : un chef d’entreprise a écrit à la présidente de l’Assemblée nationale pour proposer… des stages d’immersion d’une semaine pour les députés. Pas pour des collégiens de troisième, non. Pour nos élus. J’ai d’abord souri, puis je me suis dit que, finalement, l’idée n’était peut-être pas si absurde.
Parce qu’avouons-le : ces derniers mois, les débats sur le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale ont parfois donné l’impression d’un dialogue de sourds entre deux mondes qui ne se croisent presque jamais.
Quand un patron sonne l’alarme sur la déconnexion
L’auteur de cette lettre, un entrepreneur de 64 ans bien implanté dans le milieu sportif, ne mâche pas ses mots. Il estime que l’entrepreneuriat français « est au bord du gouffre » et que les discussions parlementaires manquent cruellement d’ancrage dans la réalité quotidienne des boîtes.
Son idée ? Ouvrir grand les portes de son entreprise (et d’autres, il l’espère) pour que les députés viennent passer quelques jours sur le terrain. Factures, charges sociales, recrutement, concurrence internationale, gestion de trésorerie… Tout ce qui fait le sel (et souvent le stress) de la vie d’un patron.
« Venez découvrir notre réalité d’entrepreneur »
Extrait de la lettre envoyée à la présidente de l’Assemblée nationale
La phrase est directe, presque un défi. Et franchement, elle résonne.
Un constat partagé, même en coulisses
Je discute souvent avec des entrepreneurs, petits et gros. Le sentiment revient sans cesse : « Ils votent des lois sans savoir ce que ça change concrètement dans nos ateliers ou nos boutiques. » L’histoire des 35 heures, des seuils sociaux, des taxes sur la production… Chaque nouvelle mesure semble parfois tomber comme un couperet, sans que personne n’ait pris le temps de mesurer l’impact réel.
- Prendre une commande à l’étranger tout en respectant les normes françaises ? Un casse-tête.
- Embaucher un premier salarié quand on dépasse les 11 ou 50 personnes ? Un saut dans le vide financier.
- Gérer les arrêts maladie quand on a 15 employés et pas de service RH ? Une galère quotidienne.
Ces réalités-là, on les vit à 200 à l’heure. Elles n’apparaissent pas forcément dans les tableaux Excel des cabinets ministériels.
Le précédent des stages de troisième : pourquoi pas ?
On trouve ça normal qu’un collégien de 14 ans passe une semaine en entreprise pour découvrir le monde du travail. Alors pourquoi serait-ce ridicule pour un député de 50 ou 60 ans ?
L’argument est presque trop simple pour être honnête. Et pourtant… Imaginez un parlementaire qui suit une équipe commerciale, qui voit les marges s’effriter à cause d’une hausse de charges, qui discute avec un ouvrier qui n’a pas pris de vacances depuis deux ans parce que l’entreprise tourne à flux tendu. Cette expérience-là, aucun rapport de la Cour des comptes ne peut la remplacer.
J’ai souvenir d’un ancien ministre qui, après avoir quitté ses fonctions, avait créé sa start-up. Il confiait-il : « Je n’avais jamais compris à quel point certaines règles étaient absurdes avant de les vivre de l’intérieur. »
Les réticences qu’on entend déjà
Évidemment, l’idée ne fait pas l’unanimité. Certains y voient une opération de communication, d’autres une forme de mépris (« les députés savent très bien, merci »), ou encore un risque de lobbying déguisé.
- « Ils vont se faire balader dans les plus belles usines et ne verront que le vernis. »
- « C’est infantiliser les élus que de les traiter comme des ados en stage. »
- « Et les syndicats ? Et les associations ? Pourquoi pas des stages là aussi ? »
Toutes ces critiques sont légitimes. Mais elles n’invalident pas le principe. On pourrait très bien imaginer un dispositif encadré, avec des entreprises de toutes tailles, tous secteurs, et même des associations ou des structures publiques. L’objectif n’est pas de transformer les députés en patrons, mais de leur donner un bout de réalité en intraveineuse.
Ce qui se fait déjà… ailleurs
En Allemagne, certains Länder organisent des « semaines de l’économie » où les élus régionaux vont sur le terrain. Au Danemark, des parlementaires participent régulièrement à des « job shadowing dans des PME. En France, on a bien les « parlementaires en entreprise » lancés il y a quelques années par une association patronale, mais ça reste confidentiel et volontaire.
Résultat ? Très peu de députés y participent. Dommage, parce que ceux qui l’ont fait en parlent comme d’une révélation.
Et si on rendait ça obligatoire ?
Osons la question qui fâche : et si on imposait à chaque député, au moins une fois par mandat, une immersion d’une semaine dans le secteur privé ?
Je sens déjà les cris d’orfraie. Pourtant, on exige bien des formations sur l’éthique ou le fonctionnement des institutions. Pourquoi pas sur la réalité économique qui finance, au final, tout le reste ?
Certains diraient que c’est populiste. Moi je dirais que c’est juste… logique. Après tout, on demande à nos élus de voter des budgets de plusieurs centaines de milliards. Le minimum, c’est qu’ils sachent un peu comment cet argent est gagné.
Vers un vrai dialogue de terrain ?
Au-delà du symbole, cette proposition touche à quelque chose de plus profond : la fracture entre ceux qui décident et ceux qui exécutent. Cette sensation que, quelque part, les élites politiques vivent dans une bulle.
Un stage ne résoudra pas tout. Mais il peut créer des ponts. Faire naître des conversations informelles autour de la machine à café. Humaniser l’autre camp. Et peut-être, juste peut-être, faire passer une ou deux lois un peu plus réalistes.
Parce qu’au fond, on a tous à y gagner. Les entrepreneurs qui se sentiraient enfin écoutés. Les députés qui comprendraient mieux les conséquences de leurs votes. Et les Français qui auraient des lois un peu plus en phase avec leur quotidien.
On ne légifère jamais aussi bien que quand on a un peu sali ses chaussures sur le terrain.
Alors, Madame la Présidente, si vous passez par là… Pourquoi pas tenter l’expérience ? Une petite semaine, juste pour voir. On vous promet le café.
(Article mis à jour le 12 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
