Imaginez-vous à la rue avec deux enfants en bas âge, et qu’on vous propose, au lieu d’une chambre d’hôtel impersonnelle, un vrai petit appartement lumineux, dans un immeuble tout neuf, posé là en quelques semaines. C’est exactement ce qui arrive en ce moment même à Stains, en Seine-Saint-Denis.
Je passais par là par hasard l’autre jour, et je n’ai pas pu m’empêcher de m’arrêter. Une grue soulevait des boîtes en bois énormes, comme si quelqu’un jouait aux Lego avec des maisons. Dix modules par jour. En quelques mois, c’est un immeuble de plusieurs étages qui sort de terre. Et pas n’importe quel immeuble : un foyer d’urgence entièrement dédié aux mères isolées et à leurs enfants.
Un « Lego géant » qui change la vie de 90 familles
Le principe est simple, mais révolutionnaire. Au lieu de construire un bâtiment classique en béton qui restera là cinquante ans, on assemble 94 modules préfabriqués en bois, venus tout droit des Cévennes. Chaque module fait office d’appartement T2 ou T3, avec cuisine, salle de bains, chambres séparées. Une fois empilés et raccordés, ils forment un vrai petit immeuble de quatre étages, avec ascenseur, espaces communs, salle de jeux pour les enfants et même un jardin partagé.
Le plus fort ? Tout est conçu pour être démonté sans une égratignure dans trois ans et remonté ailleurs. Zéro déchet, zéro béton coulé sur place, empreinte carbone ridicule. On appelle ça l’architecture temporaire réemployable. Et pour une fois, ce n’est pas un prototype de salon : ça se construit vraiment, là, maintenant, sur la friche de l’ancienne tour 8 du Clos Saint-Lazare.
Pourquoi on en arrive là ?
En Seine-Saint-Denis, comme partout en Île-de-France, le 115 est saturé. Chaque soir, des centaines de familles avec enfants se retrouvent à l’hôtel, payé par le département. Ça coûte une fortune (par nuit et par chambre, parfois plus de 100 €), et surtout, ce n’est pas une vie : pas de cuisine, pas d’intimité, enfants qui grandissent entre quatre murs beiges et moquette râpeuse.
Les mères isolées sont les grandes oubliées de ce système. Elles représentent une part énorme des appels au 115, mais les places en foyer classique sont rarissimes. Résultat : des mois, parfois des années, à l’hôtel. Avec le risque, toujours, qu’on leur dise un soir « plus de place, désolé ».
Le département a donc décidé de tester une solution radicale : construire vite, pas cher, et surtout digne.
Comment fonctionne vraiment ce système modulaire ?
Chaque module fait environ 40 m². Il est fabriqué en usine, isolé avec de la laine de bois, équipé en électricité, plomberie, ventilation double flux. Sur place, on pose d’abord une dalle légère, on visse les modules les uns sur les autres, on raccorde les réseaux. Et c’est fini.
- Fabrication : 3 à 4 mois en atelier
- Transport : par camion depuis l’usine
- Montage sur site : 2 à 3 mois
- Démontage futur : moins de 2 mois
- Réemploi : 100 % des modules réutilisables ailleurs
Le bois vient de forêts gérées durablement, les finitions sont soignées, les fenêtres grandes. Franchement, quand on voit les photos des intérieurs, on se croirait dans un résidence neuve classique. Sauf que tout ça a coûté bien moins cher et a été livré en un temps record.
« On voulait offrir à ces femmes et à leurs enfants un vrai chez-soi, même temporaire. Pas juste un toit, mais un endroit où elles puissent respirer, cuisiner, voir grandir leurs petits sans stress permanent. »
– Une responsable du projet départemental
Trois ans, pas un jour de plus
Le terrain appartient à un bailleur social qui prévoit, à terme, une opération immobilière classique. D’où la durée limitée à trois ans. Mais trois ans, quand on vient de la rue ou d’un hôtel sordide, c’est énorme. C’est le temps de se poser, de chercher un emploi stable, de faire les démarches pour un logement pérenne, de scolariser les enfants sans déménager tous les quatre matins.
Et quand le foyer fermera, les modules ne finiront pas à la benne : ils seront démontés, stockés quelques mois si besoin, puis remontés sur une autre friche, dans une autre ville du département qui en aura besoin. L’idée, à terme, c’est d’avoir plusieurs sites qui tournent, un peu comme un parc de logements d’urgence mobiles.
Un accompagnement social renforcé
Parce qu’un toit, aussi beau soit-il, ne suffit pas. Le foyer sera géré par une association spécialisée dans l’accompagnement des femmes victimes de violence ou en grande précarité. Il y aura :
- Une équipe d’éducateurs et travailleurs sociaux présente 7j/7
- Ateliers cuisine, couture, informatique
- Soutien à la parentalité
- Aide à la recherche d’emploi et de logement définitif
- Espace petite enfance et ludothèque
L’objectif affiché : qu’aucune famille ne reparte à l’hôtel à la fin des trois ans.
Et l’écologie dans tout ça ?
Le projet est presque trop vert pour être honnête. Bois local, isolation biosourcée, panneaux solaires en toiture, récupération d’eau de pluie, chauffage par pompe à chaleur collective. L’empreinte carbone du chantier est estimée à moins de 30 % d’un bâtiment classique équivalent.
Et surtout, le réemploi intégral évite des tonnes de déchets. À l’heure où on nous bassine avec la transition écologique, voilà un exemple concret qui ne coûte pas plus cher et qui répond à une urgence sociale brûlante.
Est-ce que ça peut marcher ailleurs ?
Clairement oui. Le concept n’est pas breveté jalousement : au contraire, les porteurs du projet veulent essaimer. Plusieurs départements et grandes villes regardent déjà de très près l’expérience de Stains. Parce que partout en France, on a des friches urbaines, des besoins d’hébergement d’urgence criants, et des budgets publics qui ne suivent plus.
Alors oui, trois ans, c’est court. Mais c’est toujours mieux que zéro. Et surtout, c’est une preuve qu’on peut faire vite, bien, et responsable en même temps. Personnellement, je trouve ça plutôt inspirant.
Le jour de l’inauguration, prévu au printemps 2026, il y aura sûrement des discours et des coupes de ruban. Mais le vrai succès, ce sera quand la première maman, épuisée par des mois de galère, franchira la porte de son nouvel appartement, posera ses valises, et se dira enfin : « Là, je peux respirer. »
Et quelque part, c’est tout ce qu’on leur souhaite.
