Imaginez la scène. Vous êtes dans l’intimité, tout semble aller bien, le consentement a été clair dès le départ : « Avec capote, évidemment. » Et puis, sans un mot, sans même que vous vous en rendiez compte sur le moment, votre partenaire retire le préservatif. Quand vous réalisez, c’est déjà trop tard. Le choc, la colère, parfois la peur. Beaucoup de femmes décrivent exactement cette sensation. Elles parlent d’un viol par surprise. Et pourtant, en France, cette pratique a un nom – le stealthing – mais pas encore de véritable reconnaissance juridique.
Je tombe régulièrement sur des témoignages qui me glacent le sang. Des jeunes femmes qui pensaient avoir été claires, qui découvrent après coup qu’on leur a imposé un risque qu’elles n’avaient jamais accepté. Et le pire ? Certaines études récentes montrent que cette pratique n’est pas si marginale qu’on voudrait le croire.
Le stealthing, c’est quoi exactement ?
Le terme vient de l’anglais stealth, qui signifie furtif, discret. En clair : enlever le préservatif en plein acte, sans prévenir, sans demander, souvent sans même que l’autre s’en aperçoive immédiatement. Parfois c’est fait exprès, parfois « juste pour sentir mieux ». Dans les deux cas, le résultat est le même : la personne qui subit perd totalement le contrôle sur sa propre sécurité sexuelle.
Ce n’est pas une maladresse. Ce n’est pas un « oubli ». C’est un choix délibéré de passer outre le consentement exprimé. Et ce choix a des conséquences très concrètes : risque de grossesse non désirée, transmission d’IST, sentiment profond de trahison et souvent un traumatisme durable.
Des chiffres qui font froid dans le dos
Récemment, une grande étude a interrogé les hommes sur leur rapport à cette pratique. Le résultat ? Plus d’un sur dix déclare comprendre qu’on puisse retirer le préservatif sans prévenir si on estime qu’il a été « imposé ». Un sur dix. Laissez ça vous pénétrer deux secondes.
Et quand on creuse chez ceux qui adhèrent à certaines idées masculinistes très répandues sur Internet, le chiffre explose : 34 % trouvent ça justifiable. Un tiers. C’est énorme. Et terrifiant.
Côté femmes, des enquêtes plus anciennes montraient déjà qu’une sur dix avait probablement vécu ça au moins une fois. Je dis « probablement » parce que beaucoup ne réalisent pas tout de suite ce qui s’est passé, ou n’osent pas mettre de mots dessus.
« Pour moi, c’est un viol » : les mots des victimes
« J’ai dit oui au sexe protégé, pas au sexe sans. Quand j’ai compris, j’ai eu l’impression qu’on m’avait volé quelque chose d’irréparable. »
Ce témoignage, je l’ai lu des dizaines de fois sous différentes formes. Le sentiment dominant ? La trahison. L’impression d’avoir été trompée sur la nature même de l’acte. Et surtout, cette question qui revient sans cesse : pourquoi quelqu’un qu’on croyait respecter ferait ça ?
Beaucoup parlent d’une violence insidieuse. Pas de cris, pas de force physique, mais une violence quand même. Une violence qui laisse des traces psychologiques profondes et qui, trop souvent, reste invisibilisée.
Où en est la loi ? Le grand flou français
Dans plusieurs pays – Suisse, Allemagne, Royaume-Uni, certains États australiens, Canada – le stealthing est désormais reconnu comme une forme de viol ou d’agression sexuelle. Les tribunaux ont tranché : retirer le préservatif sans accord revient à obtenir le rapport sexuel par ruse, ce qui annule le consentement.
En France ? Rien. Ou presque. Le Code pénal parle bien de viol par surprise, mais la jurisprudence reste très floue sur ce cas précis. Quelques plaintes ont été déposées, certaines classées sans suite, d’autres en attente. Les victimes se retrouvent souvent seules face à un vide juridique.
- Pas de qualification claire dans le Code pénal
- Difficulté à prouver l’absence de consentement au retrait
- Manque de formation des policiers et magistrats sur le sujet
- Tabou encore très fort autour de la sexualité « consentie mais trahie »
Et pourtant, des associations et des avocates spécialisées poussent depuis des années pour que la loi évolue. Parce que le consentement, ce n’est pas juste un « oui » au début. C’est un oui qui doit rester valide jusqu’à la fin.
D’où vient cette pratique ? Les racines du problème
Le stealthing n’est pas né d’hier. Dès les années 2010, des forums anglophones en parlaient déjà comme d’une « technique ». Certains sites, aujourd’hui fermés ou très surveillés, donnaient même des conseils pour « le faire discrètement ». L’idée ? Réaffirmer une forme de contrôle masculin sur la sexualité.
Aujourd’hui, on retrouve cette logique dans certains discours masculinistes : le préservatif serait une contrainte imposée par les femmes, une atteinte à la « vraie » virilité. C’est aberrant, mais ça existe. Et ça contamine une partie des jeunes hommes qui passent des heures sur certaines bulles d’Internet.
« Si elle impose la capote, elle ne te respecte pas vraiment. » – Extrait anonyme trouvé sur un forum fermé en 2023
Ce genre de phrase, aussi révoltante soit-elle, aide à comprendre le terreau idéologique. On n’est plus seulement dans le « ça m’excite plus sans », on est dans une volonté de reprendre le pouvoir, même au prix du consentement de l’autre.
Les conséquences sanitaires : on en parle assez ?
Évidemment, il y a le risque VIH et autres IST. En cette période où on célèbre la journée mondiale de lutte contre le sida, le sujet est particulièrement brûlant. Mais il y a aussi toutes les infections moins graves mais très pénibles : chlamydia, gonocoque, herpès, papillomavirus…
Et puis la grossesse non désirée. Certaines femmes se retrouvent à prendre la pilule du lendemain en urgence, avec tout le stress et les effets secondaires que ça implique. D’autres découvrent des mois plus tard qu’elles ont contracté quelque chose qui aurait pu être évité.
Le pire, c’est que beaucoup de victimes n’osent pas faire de dépistage après coup. Par honte, par déni, ou parce qu’elles préfèrent oublier. Résultat : des chaînes de transmission qui continuent.
Comment réagir si ça vous arrive ?
D’abord, sachez que vous n’êtes pas seules. Parler, même à une seule personne de confiance, c’est déjà énorme. Ensuite, il y a des numéros d’écoute spécialisés (le 3919, le planning familial, etc.).
Porter plainte ? C’est possible, même si c’est compliqué aujourd’hui. Certaines avocates se battent pour que ces dossiers aboutissent et fassent jurisprudence. Chaque plainte compte.
- Parlez-en, même si c’est dur
- Faites un dépistage rapidement
- Consultez un médecin ou un centre de planning familial
- Envisagez le dépôt de plainte, même si le chemin est long
- Rejoignez des groupes de parole ou des associations
Et surtout : ce n’est pas votre faute. Le consentement, vous l’aviez donné pour un acte précis. On vous l’a retiré. Point.
Vers un changement législatif ?
Des propositions de loi circulent. Des collectifs féministes poussent. Des avocat·es s’organisent. On sent que ça bouge, lentement mais sûrement. L’Espagne vient de franchir le pas avec sa loi du « seulement oui c’est oui ». La France finira-t-elle par suivre ?
En attendant, la sensibilisation reste la clé. Parler du stealthing, le nommer, le rendre visible. Faire comprendre aux hommes que ce n’est pas une « petite tricherie » mais une violence sexuelle à part entière.
Parce que le consentement, ce n’est pas négociable. Ni au début, ni au milieu, ni à la fin.
Et toi, tu en penses quoi ? As-tu déjà entendu parler de ça autour de toi ? Les commentaires sont ouverts, et croyez-moi, ce sujet mérite qu’on en parle. Vraiment.
