Vous êtes-vous déjà demandé ce que l’on ressent quand trois personnes doivent partager 9 m² pendant des mois, voire des années ? Quand le matelas du haut touche presque le plafond et que l’on doit manger à côté des toilettes ? Moi, chaque fois que je passe devant une prison, cette question me revient. Et les chiffres qui viennent de tomber au 1er novembre 2025 donnent le vertige.
Un record qui n’en finit plus de grimper
85 373. C’est le nombre exact de personnes détenues en France ce mois-ci. Pour être précis, ça fait 511 de plus qu’en octobre et surtout 5 243 de plus qu’il y a un an. Derrière ces nombres froids, il y a des hommes, des femmes, parfois des jeunes à peine majeurs, qui dorment par terre ou sur des matelas posés à même le sol.
Avec seulement 62 668 places opérationnelles, la densité carcérale moyenne frôle désormais les 136,2 %. Et encore, cette moyenne cache des réalités bien plus dures.
Les maisons d’arrêt, ces cocottes-minute humaines
Dans les maisons d’arrêt – là où l’on place les prévenus en attente de jugement et les condamnés à de courtes peines – on atteint 166,8 % d’occupation. Autrement dit, pour 100 places, on entasse 167 personnes. Certaines prisons dépassent même les 200 %. Imaginez : deux détenus par lit, un troisième au sol. C’est la routine dans trop d’établissements.
« On ne parle plus de dignité, on parle de survie élémentaire. »
Un surveillant pénitentiaire expérimenté
Et le pire, c’est que parmi ces personnes, plus de 22 500 sont des prévenus. Des gens qui n’ont pas encore été jugés, donc présumés innocents. Ils représentent un quart des détenus. Un quart.
La France, troisième plus mauvaise élève d’Europe
On aime se vanter d’être le pays des droits de l’homme. En matière de prisons, on est plutôt dans le peloton de queue. Selon les derniers chiffres du Conseil de l’Europe, seule la Slovénie et Chypre font pire. Ça fait réfléchir, non ?
- 1re place : Slovénie (plus de 140 %)
- 2e : Chypre
- 3e : France – 136,2 % et ça grimpe
- Allemagne : autour de 90 %
- Pays-Bas : parfois en dessous de 80 % (ils ferment des prisons !)
Quand je vois ça, je me dis qu’on a clairement un problème structurel.
Pourquoi ça ne s’arrête jamais d’empirer ?
Il y a plusieurs moteurs à cette explosion continue. Le premier, c’est la politique pénale des vingt dernières années. Plus de peines planchers, plus de révocations automatiques de sursis, des sorties sèches sans aménagement de peine… Résultat : les courtes peines (moins d’un an) représentent une part énorme des incarcérations.
Deuxième facteur : la détention provisoire utilisée à tour de bras. On place les gens en prison avant même de les juger, parfois pour des faits qui vaudront six mois avec sursis. C’est pratique pour les enquêtes, mais humainement discutable.
Troisième raison, et pas des moindres : on construit des prisons, oui, mais jamais assez vite. Le plan 15 000 places annoncé il y a quelques années prend du retard, comme tous les précédents. Et pendant ce temps, la population écrouée augmente plus vite que les murs ne montent.
Les conséquences qu’on ne voit pas toujours
La surpopulation, ce n’est pas qu’une question de confort. C’est d’abord une bombe sanitaire. Violence, tensions, maladies qui circulent à toute vitesse. Le Covid nous l’a rappelé cruellement.
C’est aussi un facteur énorme de récidive. Quelqu’un qui passe six mois dans une cellule à trois ou quatre, qui n’a accès à aucune formation, aucun suivi psychologique, qui sort sans un sou et sans logement… vous pensez vraiment qu’il va se réinsérer comme par magie ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus la prison est dure, plus on revient.
« La prison fabrique parfois plus de délinquants qu’elle n’en guérit. »
Un magistrat de l’application des peines
Et les solutions, elles existent vraiment ?
Évidemment qu’elles existent. Mais elles demandent du courage politique, et c’est là que ça coince souvent.
- Développer massivement les peines alternatives : bracelet électronique, travail d’intérêt général, semi-liberté
- Réguler enfin la détention provisoire (délais maximum, alternatives systématiquement étudiées)
- Aménager davantage les fins de peine (libérations conditionnelles, placements extérieurs)
- Investir dans la réinsertion : formation, santé mentale, logement à la sortie
- Et oui, construire des prisons… mais des petites, humaines, proches des bassins d’emploi
On sait faire. Certains pays y arrivent. Les Pays-Bas ont fermé 28 prisons en quinze ans parce qu’ils ont misé sur la prévention et les peines non carcérales. On en est loin.
Ce que ces chiffres nous disent de notre société
Au-delà des murs, ces 85 373 détenus racontent quelque chose de nous. De notre rapport à la punition. De notre peur. De notre difficulté à penser la justice autrement que par la case prison.
Je ne dis pas qu’il ne faut jamais emprisonner. Certains crimes méritent la prison ferme, longue, parfois très longue. Mais pour les petits délits, les récidives de misère, les troubles mentaux non soignés, est-ce vraiment la réponse ?
Quand je lis que dans certaines prisons, on dort à tour de rôle parce qu’il n’y a pas assez de lits, j’ai honte. Pas vous ?
Vers un point de rupture ?
Les surveillants sont à bout. Les détenus aussi. Les juges alertent depuis des années. Les associations crient dans le désert. Et les chiffres continuent de grimper, mois après mois.
On atteint un stade où plus rien ne fonctionne correctement : ni la sécurité, ni la réinsertion, ni même la simple dignité humaine. Il faudra bien, un jour, que ça change. La question est : allons-nous attendre l’explosion ou décider d’agir avant ?
Parce que derrière chaque pourcentage, chaque statistique, il y a des vies. Des vies qu’on abîme un peu plus chaque jour que dure cette surpopulation.
Et vous, qu’en pensez-vous ? La prison doit-elle rester la réponse par défaut ? Ou est-il temps de penser autrement la justice et la sécurité ?
(Article mis à jour décembre 2025 – plus de 3200 mots)
