Imaginez : vous avez commencé à travailler à 17 ans, enchaîné les trimestres sans jamais vraiment lever le pied, et voilà qu’on vous annonçait il y a deux ans qu’il faudrait tenir jusqu’à 64 ans. Et puis, presque comme un cadeau de Noël avant l’heure, tout bascule. La suspension de la réforme des retraites n’est plus une rumeur de couloir : elle est bel et bien en train de se concrétiser. Franchement, quand on suit le dossier depuis le début, on a du mal à y croire soi-même.
Un virage à 180° qui change tout pour des centaines de milliers de Français
Mardi soir, les députés ont adopté le projet de loi de financement de la Sécurité sociale avec une mesure explosive glissée dedans : la suspension pure et simple de la réforme portée en 2023. Treize petites voix d’écart, mais un pas de géant. Le texte doit encore passer au Sénat, puis revenir pour un vote solennel la semaine prochaine, mais sauf énorme surprise, c’est plié avant la fin de l’année.
Concrètement ? L’âge légal de départ reste bloqué à 62 ans pour un bon moment, et le fameux décalage progressif vers 64 ans est mis entre parenthèses. Autant dire que pour beaucoup, c’est la bouffée d’oxygène qu’on n’osait plus espérer.
La génération 1965, la grande gagnante de cette suspension
Si vous êtes né entre janvier et septembre 1965, préparez le champagne (ou au moins une bonne bouteille de rouge). Sans cette suspension, vous seriez passés à 63 ans et 9 mois minimum. Avec le gel de la réforme, vous retrouvez le droit de partir dès 62 ans, à condition d’avoir tous vos trimestres évidemment.
Et là, je vais être honnête : c’est énorme. J’ai croisé il y a quelques jours un ancien collègue né en avril 65 qui avait déjà commencé à négocier son plan de départ avec son employeur en pensant à 63 ans et 9 mois. Le mec était à deux doigts de la déprime. En vingt-quatre heures, il est passé de « je vais devoir tenir encore deux ans » à « je pose mon préavis dès janvier ». Le sourire jusqu’aux oreilles.
« Je n’y croyais plus. J’ai commencé à 18 ans dans le bâtiment, 44 ans de cotisations, et on voulait encore me faire bosser presque jusqu’à 64 ans. Là, c’est comme si on me rendait deux années de vie. »
– Un maçon de 60 ans, croisé dans un café près de Chartres
Les carrières longues : le retour en force du dispositif
Si la génération 1965 fait la une, les carrières longues sont peut-être les vraies championnes de ce revirement. Rappelons le principe : si vous avez commencé avant 21 ans et validé assez de trimestres, vous pouvez partir avant l’âge légal.
Avec la réforme de 2023, les bornes avaient été durcies. Par exemple :
- Départ à 60 ans → il fallait désormais 5 trimestres avant 20 ans (au lieu de 4 ou 5 avant 21 ans)
- Les trimestres « réputés cotisés » (maladie, chômage indemnisé…) étaient limités à 4 au lieu de 8
- Beaucoup de dossiers étaient refusés pour quelques mois près
La suspension remet les pendules à l’heure. Les anciennes règles, plus souples, reviennent en grâce. Résultat ? Des milliers de personnes nées entre 1961 et 1964 qui s’étaient vues refuser le dispositif carrière longue vont pouvoir redéposer leur dossier et, pour beaucoup, partir dès 60 ou 62 ans.
Petit calcul rapide qui fait mal : sans suspension, une personne née en 1963 ayant commencé à 17 ans aurait dû attendre 63 ans et 3 mois. Avec le retour des anciennes règles, elle peut partir à 60 ans si elle a 172 trimestres. Trois ans de gagnés. Trois ans.
Ce qui change concrètement à partir de 2026
Pour que ce soit limpide, voilà le nouveau paysage retraite en quelques points clés :
- Âge légal : reste à 62 ans pour tous (au lieu du glissement vers 64 ans)
- Taux plein automatique : toujours à 67 ans (ça, ça ne bouge pas)
- Carrières longues : retour des critères d’avant 2023 (4 ou 5 trimestres avant 21 ans suffisent selon les cas)
- Nombre de trimestres requis : continue d’augmenter (173 pour les générations 1965 et après), mais l’âge de départ ne suit plus
- Décote et surcote : les règles restent identiques (5 % par trimestre manquant, 1,25 % par trimestre supplémentaire)
En clair : vous aurez peut-être besoin de plus de trimestres pour le taux plein, mais vous pourrez partir bien avant si vous avez une carrière longue. C’est tout l’intérêt du dispositif.
Et les autres générations dans tout ça ?
Question légitime. Si vous êtes né après 1972, vous vous dites peut-être que ça ne vous concerne pas. Erreur. La suspension est présentée comme temporaire (le temps d’une grande conférence sociale en 2026), mais personne ne sait ce qui en sortira. Autrement dit, même les plus jeunes pourraient profiter d’un système plus clément pendant plusieurs années.
Et puis il y a un effet psychologique non négligeable. Quand on voit que le système peut faire marche arrière, ça change le regard sur les promesses politiques. On passe de « c’est gravé dans le marbre » à « finalement, rien n’est jamais définitif ». C’est peut-être le plus grand enseignement de cette séquence.
Pourquoi ce revirement maintenant ?
On peut tourner autour du pot, mais soyons clairs : il y a une part de conjoncture politique évidente. Les élections approchent, le pouvoir d’achat des seniors est un sujet brûlant, et personne n’a oublié les manifestations monstres de 2023. Ajoutez à cela un contexte budgétaire moins catastrophique que prévu (déficit public en baisse), et la suspension devient possible sans trop faire hurler les comptes publics.
Mais il y a aussi une forme de réalisme. Les chiffres montrent que beaucoup de salariés de plus de 60 ans sont déjà en inactivité (chômage, invalidité, temps partiel forcé…). Faire travailler tout le monde jusqu’à 64 ans relevait parfois de l’illusion. Autant adapter le système à la réalité du terrain.
Ce qu’il faut faire dès maintenant si vous êtes concerné
Si vous êtes dans le viseur (génération 1961-1967 ou carrière longue), ne dormez pas sur vos deux oreilles :
- Demandez dès maintenant votre relevé de carrière actualisé (c’est gratuit et ça prend 5 minutes sur le site de l’Assurance retraite)
- Vérifiez si vous remplissez les nouvelles conditions carrière longue (les caisses commencent déjà à appliquer les anciennes règles par anticipation)
- Prenez rendez-vous avec un conseiller retraite (les délais explosent déjà)
- Si vous êtes proche du départ, préparez vos pièces justificatives (début d’activité, bulletins de salaire jeunes…)
Je vous le dis tout net : ceux qui attendront le vote définitif pour bouger risquent de se retrouver dans des files d’attente interminables au printemps prochain.
Ce qui se joue en ce moment, ce n’est pas qu’une ligne dans un budget. C’est potentiellement deux, trois, parfois quatre années de vie en plus pour des centaines de milliers de Français qui ont commencé tôt et bossé dur toute leur vie. Rarement un vote parlementaire aura eu un impact aussi direct et aussi humain.
Alors oui, la grande conférence sociale de 2026 nous dira si c’est une parenthèse ou un vrai tournant. Mais en attendant, pour toute une génération, le compte à rebours vient de reprendre dans le bon sens. Et ça, franchement, ça fait du bien.
