Vous êtes déjà-vous déjà demandé jusqu’où la misère pouvait pousser quelqu’un ? Moi oui, et chaque fois qu’un fait divers comme celui-ci éclate, j’ai le ventre noué. Parce que derrière le titre choc, il y a des vies brisés, des enfances volées en une seconde, et une société qui ferme un peu plus les yeux.
Mercredi dernier, dans un terrain vague de Tahiti, un retraité de 69 ans est mort d’une façon que personne n’aurait osé imaginer dans un décor de carte postale. Un coup de fourche en pleine poitrine. L’arme ? Un simple outil agricole. Le mobile ? Quelques canettes vides que la victime ramassait pour arrondir les fins de mois ou peut-être par habitude écolo. L’auteur ? Un homme de 53 ans, sans domicile, qui vivait de la revente de ces mêmes canettes.
Un geste fou, une préméditation froide
Ce qui glace le sang, c’est que l’auteur n’a même pas nié. Il a tout avoué, calmement, en expliquant qu’il avait lancé la fourche avec force, dans l’intention de tuer. Deux plaies béantes, 10 et 15 centimètres de profondeur. Le cœur et les poumons touchés. La mort quasi instantanée.
« Il a reconnu avoir volontairement visé la victime pour la tuer, parce qu’il en avait marre qu’on lui vole ses canettes. Il dit avoir subi ça plusieurs fois. »
Communiqué du parquet de Papeete
Le parquet a donc retenu la qualification d’assassinat – autrement dit meurtre avec préméditation. L’homme a été mis en examen vendredi et placé en détention provisoire. Il n’en était pas à son premier dérapage : violences, menaces, un casier déjà bien rempli.
Le drame s’est joué devant la famille entière
Ce qui rend l’histoire encore plus insoutenable, c’est le contexte. La victime n’était pas seule. Sa femme, sa belle-fille et ses deux petits-enfants étaient là, à quelques mètres. Ils ont tout vu. Le grand-père qui s’effondre, le sang qui coule sur la terre rouge, les cris…
Je vous laisse imaginer la scène ? Moi, rien que d’y penser, j’ai les larmes qui montent. Un après-midi banal qui tourne au cauchemar en une fraction de seconde. Les enfants vont porter ça toute leur vie.
La précarité qui tue, littéralement
Derrière ce geste fou, il y a une réalité qu’on préfère souvent ignorer en métropole quand on pense à Tahiti : la grande précarité qui ronge une partie de la population polynésienne. Le coût de la vie est délirant, le chômage élevé, et beaucoup survivent grâce à la débrouille.
Ramasser des canettes pour les revendre (environ 5 à 10 francs pacifiques l’unité), c’est devenu une activité à part entière pour des dizaines, voire des centaines de personnes. Un petit “business” de survie. Et quand quelqu’un vient “piquer” sur votre territoire, même quelques bouts de métal, la tension monte vite.
- Un paquet de nouilles premier prix : 300-400 F CFP
- Un kilo de riz : souvent plus de 500 F
- Une canette vide rapportée : 5 à 10 F
- Il en faut donc 50 à 100 pour un simple repas…
Quand votre journée entière dépend de ces quelques francs, vous comprenez que perdre ne serait-ce que dix canettes peut déclencher une colère noire.
Un terrain vague devenu zone de non-droit ?
Ces terrains vagues autour de Papeete ou dans les communes limitrophes sont souvent des zones grises. Ni vraiment surveillées, ni vraiment entretenues. On y trouve de tout : déchets, carcasses de voitures, mais aussi des abris de fortune pour ceux qui n’ont plus rien.
L’auteur vivait là, apparemment depuis un moment. Il avait donc “marqué” son territoire. La victime, elle, venait régulièrement avec sa famille. Une habitude qui, ce jour-là, a mal tourné.
Certains habitants du quartier disent que les tensions étaient palpables depuis plusieurs mois. Des disputes pour des broutilles, parfois des bagarres. Mais personne n’imaginait que ça irait jusqu’au meurtre.
Et maintenant ?
L’auteur risque la réclusion criminelle à perpétuité. Vu la qualification d’assassinat et ses antécédents, il y a peu de chances qu’il ressorte avant très longtemps.
Mais au-delà du procès à venir, ce drame pose des questions qu’on balaie trop souvent sous le tapis :
- Comment en est-on arrivé à ce que des canettes deviennent une question de vie ou de mort ?
- Quelle prise en charge pour les personnes en grande précarité en Polynésie ?
- Les aides sociales sont-elles suffisantes face à l’explosion du coût de la vie ?
- Et surtout : combien de drames similaires avant qu’on réagisse vraiment ?
Parce que soyons honnêtes : ce n’est pas la fourche le problème. C’est tout ce qu’il y a derrière. La désespérance, l’isolement, l’impression que plus personne ne vous voit.
Un paradis qui cache parfois l’enfer
On vend Tahiti comme le bout du monde, le plus beau, lagons turquoise, sourires, ukulélés… Et c’est vrai, une partie de l’île est comme ça. Mais il y a l’autre visage. Celui des quartiers populaires, des familles qui galèrent, des gens qui dorment dans des fare en tôle ondulée sans eau courante.
J’ai passé du temps en Polynésie, et chaque fois je suis frappé par ce contraste violent. D’un côté les resorts de luxe, de l’autre des enfants qui marchent pieds nus sur des routes défoncées. Ce meurtre, finalement, est le symptôme criant de cette fracture.
Un retraité qui ramasse des canettes pour compléter une pension ridicule. Un homme sans abri qui défend son maigre gagne-pain avec une fourche. Deux visages de la même précarité.
Et entre eux, plus rien. Plus de dialogue, plus d’humanité. Juste la violence brute.
C’est ça qui me bouleverse le plus. On est passés d’une dispute de voisinage à un assassinat en un éclair. Comme si la société avait perdu ses amortisseurs.
Je ne sais pas vous, mais moi je ne peux pas lire ce genre d’histoire sans me demander : et si c’était mon père ? Mon grand-père ? Ramassant tranquillement ses canettes avec les petits, et puis plus rien.
Repose en paix, va. Et que ta famille trouve un jour la force de pardonner, ou au moins de vivre avec.
Parce que l’auteur, lui, vivra avec le poids de son geste jusqu’à la fin de ses jours. Et nous, on continuera à regarder ailleurs… jusqu’au prochain drame.
