Vous avez déjà commandé un t-shirt à 3,99 € livré en dix jours depuis l’autre bout du monde ? Moi oui, et je l’avoue sans honte… jusqu’à ce que je voie le nombre hallucinant de colis qui arrivent chaque jour en France. 800 millions en 2024, rien que ça. Et derrière ces petits paquets soi-disant inoffensifs se cache une réalité beaucoup moins glamour : concurrence déloyale, produits souvent dangereux, évasion de TVA et commerces locaux qui ferment boutique. Hier, le Sénat a décidé de dire stop, ou du moins d’essayer.
Un vote surprise qui change la donne
Lundi soir, à une large majorité (droite et gauche main dans la main, chose rare ces temps-ci), les sénateurs ont décidé de tripler presque la taxe initialement prévue par le gouvernement. Au lieu des 2 € envisagés, ce sera 5 € par colis de moins de 150 € venant de l’extérieur de l’Union européenne. Un amendement voté contre l’avis même de la ministre des Comptes publics. Autant dire que ça fait du bruit dans les couloirs de Bercy.
Pourquoi un tel enthousiasme bipartisan ? Parce que tout le monde, ou presque, a compris que le modèle « tout à 1 € livré gratos » met en péril des pans entiers de l’économie française. Les sénateurs parlent d’un « signal politique clair » envoyé à Bruxelles, qui traîne des pieds pour harmoniser les règles au niveau européen.
Ces plateformes fragilisent nos commerces de proximité, c’est un déferlement de produits non conformes et un détournement massif de TVA.
Une sénatrice lors des débats
D’où vient vraiment le problème ?
Petit flashback pour ceux qui découvrent le sujet. Depuis des années, les colis de moins de 150 € bénéficient d’une exemption de droits de douane et, très souvent, d’une TVA bidouillée (ou carrément oubliée). Résultat : une chemise fabriquée à l’autre bout du monde arrive parfois moins cher que le coût de production d’un artisan local. Ajoutez à cela des normes de sécurité largement contournées (jouets toxiques, chargeurs qui prennent feu, cosmétiques douteux…) et vous obtenez la tempête parfaite.
En 2024, on estime à plus d’un milliard le nombre de ces micro-colis entrés en Europe. La France à elle seule en absorbe 800 millions. Autant dire que nos douaniers, pourtant vaillants, sont totalement dépassés. Ils contrôlent à peine 1 % des flux. Le reste passe entre les gouttes.
2 € ou 5 € : pourquoi cette différence change tout
Le gouvernement voulait rester « raisonnable » avec 2 €. Une somme symbolique, presque indolore pour le consommateur, mais qui permettrait de financer des contrôles renforcés et de rapporter environ 500 millions d’euros par an. Le Sénat, lui, a choisi la manière forte : 5 €. Soit 2,5 fois plus.
- À 2 € → effet dissuasif limité, recette estimée 500 M€
- À 5 € → effet comportemental fort, recette potentielle 700 à 800 M€… mais volume de colis qui risque de chuter brutalement
Et c’est précisément là que ça devient intéressant. La ministre a beau prévenir que dépasser 2 € pourrait transformer cette « redevance de contrôle » en véritable droit de douane (donc attaquable devant les juridictions européennes), les sénateurs ont assumé. Ils veulent que ça fasse mal. Pas juste au portefeuille de l’État, mais surtout à celui des plateformes qui inondent le marché.
L’Europe dans le viseur
Car le vrai combat, c’est bien au niveau européen qu’il se joue. Une directive est déjà prévue pour 2026, mais la France, le Benelux et quelques autres pays pressés veulent avancer dès janvier 2026. En votant 5 €, le Sénat met la pression maximale sur la Commission : « Bougez-vous, ou on le fait nous-mêmes, et plus fort que prévu. »
Entre nous, je trouve ça plutôt courageux. Pendant que certains pays freinent des quatre fers (devinez lesquels profitent le plus du statu quo…), la France choisit de jouer les têtes brûlées. Risqué ? Oui. Mais rester les bras croisés pendant que des milliers de boutiques ferment, ça l’est encore plus.
Et le consommateur dans tout ça ?
C’est la grande question qu’on me pose à chaque fois que j’aborde le sujet. Est-ce qu’on va vraiment punir les Français qui cherchent juste à s’habiller ou équiper leur maison à moindre coût ? Ma réponse est nuancée.
D’abord, 5 € sur un colis de 15 €, c’est +33 %. Ça pique. Sur un colis de 50 €, c’est 10 %. Ça reste gérable. Et franchement, si ça permet d’éviter qu’un jour on ne trouve plus une seule boutique de vêtements en centre-ville, je veux bien payer ces 5 € sans broncher.
Ensuite, il y a un effet vertueux qu’on oublie souvent : quand le prix « tout compris » (produit + livraison + taxe) devient moins attractif, les consommateurs se tournent plus facilement vers les acteurs locaux ou européens qui, eux, jouent le jeu fiscal et social. C’est déjà ce qu’on observe dans les pays qui ont mis en place des mesures similaires.
Les plateformes vont-elles contourner la taxe ?
Évidemment, elles sont déjà à l’œuvre. Entrepôts en Europe, étiquetage trompeur, fractionnement de commandes… les techniques ne manquent pas. Mais chaque fois que les règles se durcissent, le jeu devient plus compliqué et plus coûteux pour elles. Et c’est précisément l’objectif : rendre la concurrence déloyale moins rentable.
On voit d’ailleurs certaines plateformes commencer à ouvrir des usines ou des centres logistiques en Europe. C’est peut-être ça, la vraie victoire : forcer tout le monde à jouer sur le même terrain.
Ce qui nous attend d’ici fin 2025
Attention, rien n’est encore définitif. Le texte doit passer en commission mixte paritaire, puis revenir à l’Assemblée. Le gouvernement peut encore tenter de ramener la taxe à 2 €. Mais avec un Sénat aussi déterminé et une opinion publique qui commence à ouvrir les yeux sur le coût réel du « pas cher », je parie que les 5 € ont de sérieuses chances de passer.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Prêts à payer 5 € de plus pour sauver le commerce de proximité ? Ou trouvez-vous que c’est encore une taxe déguisée qui va surtout remplir les caisses de l’État ? Dites-le moi en commentaire, le débat est loin d’être clos.
En attendant, une chose est sûre : le petit colis à 1 € livré gratuitement, c’est fini. Ou du moins, ça va devenir beaucoup plus compliqué. Et quelque part, je me dis que ce n’est pas plus mal.
