Vous souvenez-vous encore de ce frisson quand on prononce le mot Tchernobyl ? Moi oui. Trente-neuf ans après l’explosion du réacteur numéro 4, on se disait que le pire était derrière nous, que l’arche géante posée en 2019 avait enfin mis la bête en cage pour un siècle. Et puis, un matin de février dernier, un drone a décidé que non.
Un simple trou de quinze mètres carrés dans la toiture extérieure, un incendie qui a rongé le revêtement intérieur pendant plus de deux semaines, et voilà : le bouclier le plus sophistiqué jamais construit pour enfermer la radioactivité vient, selon les experts internationaux, de perdre ses principales fonctions de sécurité. Ce n’est pas une petite fuite, c’est la capacité même de contenir qui est remise en cause.
Une arche qui n’aurait jamais dû trembler
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut se replonger un instant dans ce que représente cette structure. Imaginez une cathédrale d’acier de 108 mètres de haut, plus large qu’un terrain de football, assez lourde pour faire plier les rails sur lesquels on l’a fait glisser en 2016. Des centaines d’ingénieurs, des milliards d’euros, des années d’études poussées pour garantir qu’aucune particule radioactive ne s’en échapperait avant 2119 au moins.
Et pourtant, en quelques minutes, une frappe venue du ciel a réussi là où le temps et la corrosion avaient échoué.
Ce que disent vraiment les experts sur place
Fin novembre, une équipe d’inspecteurs a enfin pu accéder au site pour une évaluation complète. Leur constat est glaçant, même s’ils tentent de garder la tête froide.
« Le confinement n’est plus assuré de manière optimale. Une restauration complète reste essentielle pour empêcher une dégradation supplémentaire. »
– Responsable de l’agence internationale en charge du nucléaire
Heureusement – et c’est peut-être le seul point positif –, les structures porteuses tiennent encore. Les systèmes de surveillance fonctionnent. Pas de dommage irréversible… pour l’instant. Mais chaque jour qui passe sans réparation massive rapproche le moment où l’arche pourrait commencer à laisser filer ce qu’elle était censée enfermer à jamais.
Pourquoi c’est plus grave qu’on ne veut bien le dire
On a tous en tête les images de 1986 : le nuage, les villages abandonnés, les enfants malades. Ce qu’on oublie parfois, c’est qu’à l’intérieur du réacteur détruit dorment encore plusieurs centaines de tonnes de corium, ce magma radioactif qui continue de fondre lentement tout ce qu’il touche. L’arche n’était pas juste un couvercle : c’était une véritable chambre forte climatique, ventilée, surveillée, conçue pour résister aux tempêtes, au gel, aux séismes.
Aujourd’hui, avec ce trou et les dégâts internes, elle ne remplit plus correctement son rôle de barrière étanche. L’humidité, la poussière, les variations de température peuvent accélérer la corrosion. Et chaque corrosion, c’est un risque accru que des poussières radioactives repartent dans l’atmosphère.
- Le revêtement intérieur, brûlé sur une large surface, ne protège plus comme avant
- Les systèmes de ventilation conçus pour durer cent ans sont hors service
- La pression négative qui empêchait les fuites n’est plus garantie
- Le risque d’effondrement partiel du vieux sarcophage augmente avec le temps
Franchement, quand on lit ça, on se demande comment on en est arrivé là. Une installation censée être le symbole de la maîtrise humaine sur le pire désastre nucléaire civil devient, presque par accident de guerre, une bombe à retardement.
Entre guerre et héritage maudit
Le site de Tchernobyl, c’est un peu le fantôme du XXe siècle qui refuse de mourir. D’abord la catastrophe, ensuite des décennies de bricolage héroïque, enfin cette arche monumentale financée par la communauté internationale. On s’était dit : plus jamais ça. Et puis la guerre est arrivée jusqu’ici, dans la zone d’exclusion, là où même les soldats répugnent à mettre les pieds à cause des radiations.
Utiliser des drones pour frapper une installation nucléaire, même désaffectée, c’est franchir une ligne que beaucoup pensaient intangible. C’est un peu comme tirer sur une ambulance. Sauf que l’ambulance, elle, contient encore le virus.
Et maintenant, on fait quoi ?
Des réparations ont déjà commencé, timidement. Quelques plaques, des bâches provisoires, des équipes qui travaillent dans des conditions dignes d’un film de science-fiction. Mais pour une restauration complète, il faut des mois, des grues géantes, des financements colossaux… et surtout la paix, ou du moins une pause dans les hostilités autour de la zone.
Plusieurs pays ont promis de l’argent. Des ingénieurs du monde entier se tiennent prêts. Mais tant que le ciel reste une zone de combat, chaque intervention reste un pari dangereux.
On me demande souvent si je suis pessimiste. Disons que je suis lucide. L’arche tiendra probablement encore quelques années, peut-être dix, peut-être vingt. Mais chaque incident comme celui-ci nous rapproche du jour où il faudra, à nouveau, courir après un nuage qu’on croyait définitivement enfermé.
Et ce jour-là, personne ne pourra dire qu’on ne savait pas.
En attendant, la zone d’exclusion continue de vivre sa vie étrange : les loups, les chevaux de Przewalski, les touristes en combinaisons, et maintenant les drones qui survolent ce cimetière radioactif. Tchernobyl nous rappelle que certaines blessures ne se referment jamais complètement. On peut juste construire des murs plus hauts autour. Et prier pour qu’on arrête de les bombarder.
