Vous êtes-vous déjà demandé où finissent les candidats de Top Chef une fois les caméras éteintes ? Moi oui, souvent. Et la réponse m’a scotché : pas forcément dans le triangle d’or parisien, non. Une grande partie d’entre eux a choisi les Hauts-de-Seine. Boulogne, Rueil, Nanterre, La Garenne-Colombes… Le 92 est devenu, presque sans qu’on s’en rende compte, le nouveau terrain de jeu favori des anciens de l’émission culinaire la plus regardée de France.
Franchement, au début, j’ai trouvé ça bizarre. Paris reste Paris, non ? Les loyers exorbitants, la clientèle internationale, la visibilité… Et pourtant, saison après saison, les noms s’accumulent dans ce département limitrophe. Alors j’ai creusé. Et ce que j’ai découvert mérite largement qu’on s’y attarde.
Le 92, ce département qu’on snobait (et qui a eu raison de nous)
Il y a encore quinze ans, ouvrir un restaurant ambitieux dans les Hauts-de-Seine relevait presque du défi. On parlait de « banlieue », point. Aujourd’hui, les choses ont radicalement changé. Transports ultra-connectés, pouvoir d’achat élevé, mixité sociale dynamique, espaces disponibles… Le cocktail est explosif pour un jeune chef qui sort de Top Chef avec une notoriété toute neuve et l’envie brûlante d’ouvrir sa propre maison.
Et puis il y a cet effet boule de neige fascinant : plus il y a de chefs connus qui s’installent, plus le département devient attractif. Un cercle vertueux qui fait du 92 le deuxième « département gastronomique » de France après Paris. Rien que ça.
Juan Arbelaez, celui qui a tout déclenché
Remontons un peu le temps. 2012, saison 3. Un jeune Colombien au sourire ultra-bright marque les esprits sans atteindre la finale. Juan Arbelaez. Un an plus tard – un an seulement ! – il ouvre Plantxa à Boulogne-Billancourt. À l’époque, c’est un pari osé. Un bistrot gastro qui mélange terroir français et touches sud-américaines dans une rue tranquille du sud de Boulogne.
Le succès est immédiat. Les clients affluent, les critiques sont dithyrambiques. Juan devient le premier « Top Chef » à prouver qu’on peut faire une cuisine créative et personnelle hors des arrondissements parisiens. Depuis, il a multiplié les concepts : Yaya et sa cuisine grecque festive (notamment à La Défense), des adresses plus confidentielles… Il est même devenu un petit empire à lui tout seul. Et tout a commencé dans le 92.
Ouvrir à Boulogne en 2013, c’était un vrai choix. J’avais envie d’un quartier où les gens vivent vraiment, pas seulement où ils dorment ou travaillent.
Un chef qui a tout compris avant les autres
Baptiste Renouard : l’étoile qui a fait basculer Rueil
Avance rapide jusqu’à 2019. Baptiste Renouard, saison 10, ouvre Ochre à Rueil-Malmaison. Deux ans plus tard – deux ans ! – il décroche sa première étoile Michelin. Du jamais vu à cette vitesse pour un ancien candidat de télé-réalité culinaire.
Son restaurant est magnifique : décor épuré, cuisine précise, produits ultra-locaux, clins d’œil malins à ses origines bretonnes. Le menu déjeuner à 55 euros reste une des meilleures affaires de l’ouest parisien. Et Baptiste n’a pas fini : il développe maintenant des menus à emporter dans de la vraie porcelaine. Classe.
Depuis Ochre, Rueil-Malmaison n’est plus tout à fait la même. La ville a gagné une vraie destination gastronomique et attire désormais une clientèle qui vient parfois de très loin.
Les Bistrots Pas Parisiens : l’usine à concepts qui truste le 92
Impossible de parler des Hauts-de-Seine version Top Chef sans évoquer le phénomène Bistrots Pas Parisiens. Lancé il y a une décennie, le groupe a compris avant tout le monde le potentiel du département. Aujourd’hui, ils comptent une douzaine d’adresses rien que dans le 92. Et devinez qui signe les cartes ? Des anciens de l’émission, bien sûr.
- Arnaud Delvenne (finaliste saison 13) à La Garenne-Colombes avec Tata Yoyo
- Danny Khezzar (finaliste saison 14) à Rueil pour le très instagrammable Monsieur Claude, restaurant suspendu avec vue
- Le Bistrot des Chefs à Suresnes, où l’on retrouve parfois les plats iconiques des épreuves Top Chef
Leur recette ? Des menus complets à moins de 40 euros le soir, des lieux canons, une cuisine généreuse et maligne. Résultat : des salles pleines en permanence et des candidats ravis de pouvoir exprimer leur personnalité sans la pression folle des loyers parisiens.
Jean-François Bury et la surprise Nanterre
Nanterre, on y pense rarement pour un dîner gastronomique. Et pourtant. Jean-François Bury, candidat atypique de la saison 8 (déjà champion du monde traiteur avant l’émission !), y a ouvert Cabane en 2019. Cuisine bistronomique pleine de surprises, référencée Michelin, menu déjeuner à 35 euros… Le succès a été fulgurant.
Preuve que même les villes qu’on imagine moins « sexy » peuvent devenir des spots culinaires quand un chef talentueux s’y pose.
Les derniers arrivés : Jarvis Scott, Louise Bourrat… la liste s’allonge
En 2024-2025, la vague continue. Jarvis Scott signe la carte de Grisbi à Boulogne, une adresse « canaille » hommage au cinéma français. Louise Bourrat (gagnante saison 13) ouvre des pop-up réguliers dans le département. Même des candidats plus récents regardent déjà vers l’ouest parisien.
Et ce n’est pas fini. On murmure que plusieurs projets de la saison 16 sont en discussion du côté de Courbevoie et Levallois. Le 92 n’a clairement pas fini de nous surprendre.
Mais alors, pourquoi le 92 et pas ailleurs ?
Plusieurs raisons se cumulent, et elles sont plutôt malignes :
- Loyers bien plus raisonnables qu’à Paris (jusqu’à 3 ou 4 fois moins cher au m²)
- Clientèle locale aisée et fidèle, cadres sup, familles qui sortent en semaine
- Accès ultra-rapide depuis Paris (métro, tram, RER)
- Espaces plus grands : caves, terrasses, salles privatisables
- Moins de concurrence directe entre tables très haut de gamme
- Effet réseau : quand plusieurs chefs connus sont déjà là, les autres suivent
Résultat ? Un chef peut proposer une cuisine ambitieuse tout en gardant des prix accessibles. Et ça, le public adore.
J’ai dîné récemment dans trois de ces adresses en une semaine. Franchement, le niveau est dingue. On est parfois au niveau des grandes tables parisiennes, mais avec une chaleur et une proximité qu’on trouve rarement intra-muros.
Et demain ?
Le phénomène ne risque pas de s’arrêter. Avec l’arrivée du Grand Paris Express, certaines villes du 92 vont devenir encore plus accessibles. Les loyers parisiens, eux, continuent de flamber. La logique est implacable.
On voit déjà des candidats de télé-crochet culinaire d’autres pays regarder vers la banlieue ouest parisienne. Le 92 pourrait bien devenir, à terme, la nouvelle capitale officieuse de la jeune gastronomie française.
Alors la prochaine fois que vous hésiterez entre un restaurant parisien hors de prix et une adresse dans les Hauts-de-Seine signée d’un ancien Top Chef… Vous savez ce qu’il vous reste à faire. Prenez le métro ligne 1 ou le tram T2. Vous ne le regretterez pas.
Et qui sait, peut-être que dans quelques années, on dira « aller au resto dans le 92 » comme on dit aujourd’hui « aller voir un spectacle à Broadway ». La gastronomie, elle aussi, a ses quartiers qui montent. Et en ce moment, c’est clairement par là que ça se passe.
