Imaginez-vous ouvrir votre fenêtre pour aérer et devoir rester en faction, comme un balai à la main, juste au cas où un rat déciderait de grimper sur votre balcon. C’est le quotidien de Cadia, mère de cinq enfants, au premier étage d’une tour de Mantes-la-Jolie. Et elle est loin d’être la seule. Ce que les habitants appellent entre eux la « tour des Miracles » concentre, à elle seule, tout ce qui peut mal tourner dans un quartier en difficulté.
La tour Mercure, ou comment survivre dans un immeuble déjà mort
La tour Mercure, 17 étages, fait partie de ces barres HLM construites dans les années 70 au cœur du Val Fourré. Condamnée à la démolition d’ici 2028 dans le cadre du grand programme de renouvellement urbain, elle devait peu à peu se vider. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu. Une partie des locataires est encore là, et ceux qui restent assistent, impuissants, à une dégradation express de leur cadre de vie.
Franchement, quand on entend leurs témoignages, on se demande comment c’est encore possible en 2025 en France.
Des rats plus gros que des chats
Cadia ne plaisante pas : certains rongeurs qu’elle voit passer font la taille d’un petit chat. Ils grimpent le long des façades, entrent dans les caves, squattent les vide-ordures bouchés depuis des lustres. Une voisine du 3e raconte qu’un rat a traversé son salon en plein jour, sous les yeux de ses enfants terrifiés.
« Je dors plus. La nuit, on les entend gratter dans les murs. J’ai mis des grilles partout, mais ils passent quand même. »
Une mère de famille du 8e étage
Les services de dératisation passent de temps en temps, mais c’est peine perdue. Tant que les poubelles débordent et que les caves restent ouvertes à tous vents, les rats sont chez eux.
Excréments humains dans les escaliers et ascenseurs en panne chronique
Le hall d’entrée ? Un cloaque. Des excréments un peu partout, odeur d’urine qui prend à la gorge dès qu’on pousse la porte. Les ascenseurs ? L’un est hors service depuis six mois, l’autre tombe en panne plusieurs fois par semaine. Pour une mamie du 15e qui a du mal à marcher, faire les courses devient une expédition.
Et quand l’ascenseur fonctionne, il arrive qu’on y trouve des seringues usagées ou des préservatifs. Charmant.
Fuites d’eau partout, moisissures et électricité qui fait peur
Dans certains appartements, l’eau coule du plafond dès qu’il pleut un peu fort. Les joints des canalisations sont morts, les balcons fuient, les murs suintent. Résultat ? Moisissures noires qui grimpent jusqu’au plafond et enfants qui toussent non-stop.
Un papa du 12e m’a montré une photo : son plafonnier pendait, à moitié arraché par le poids de l’eau accumulée. Il a peur qu’un jour ça tombe sur la tête de ses gosses pendant qu’ils dorment.
« On vit dans la peur permanente. Peur des rats, peur de l’incendie, peur que le plafond s’écroule. Et personne ne bouge. »
Trafic de drogue en bas de l’immeuble, 24h/24
Le rez-de-chaussée et le parking souterrain sont devenus un supermarché de la drogue à ciel ouvert. Les guetteurs hurlent leurs codes toute la journée, les clients défilent. Les habitants n’osent plus sortir après 20 h. Une dame m’explique qu’elle fait un détour de vingt minutes pour éviter de passer devant « les jeunes ».
Les bagarres sont fréquentes. Les sirènes de police aussi. Mais rien ne change vraiment.
Un relogement au ralenti qui rend fous les habitants
Sur le papier, tout le monde doit être relogé avant la démolition. Sauf que le processus traîne. Certains attendent depuis trois ans une proposition décente. Quand enfin une arrive, c’est souvent trop petit, trop loin ou dans un immeuble tout aussi pourri.
- Une famille de sept personnes s’est vue proposer un T3…
- Un couple de retraités a reçu une proposition à 40 km plus loin, sans transports en commun corrects.
- Une mère célibataire a refusé trois appartements successifs parce qu’ils étaient insalubres eux aussi.
Du coup, beaucoup restent. Par lassitude. Par peur de l’inconnu. Ou simplement parce qu’ils n’ont nulle part ailleurs où aller.
Les enfants grandissent dans la crasse et la violence
Ce qui me fend le plus le cœur, c’est de penser aux gamins. Ils jouent entre les seringues, respirent les moisissures, entendent les cris et les sirènes toute la journée. Une institutrice du quartier me confiait que certains arrivent en classe sales parce que l’eau chaude est coupée depuis des semaines.
À 8 ans, ils connaissent déjà les codes du trafic. À 12 ans, certains font le guet pour arrondir les fins de mois de la famille. C’est une spirale dont on sait tous qu’elle est difficile à briser.
Et les bailleurs sociaux dans tout ça ?
Officiellement, l’immeuble est en « gestion transitoire ». Traduction : on ne répare plus grand-chose, on attend la démolition. Sauf que 2028, c’est dans trois ans. Trois ans à vivre dans ces conditions, c’est une éternité quand on a des enfants.
Les habitants ont beau alerter, écrire, manifester, rien n’avance vraiment. On leur répond que « les crédits sont gelés en attendant la démolition ». Résultat ? Ils ont l’impression d’être déjà des fantômes dans un immeuble fantôme.
Une concentration de tous les maux des quartiers populaires
Ce qui frappe à la tour Mercure, c’est que tous les problèmes qu’on retrouve dispersés dans les quartiers prioritaires semblent s’être donné rendez-vous ici : précarité, insalubrité, trafics, désengagement des services publics, relogement chaotique, sentiment d’abandon…
C’est comme si on avait mis en accéléré la dégradation d’un quartier entier dans une seule tour. Et le pire, c’est que ce n’est pas une exception. Combien de tours, combien de barres, en France, vivent la même lente agonie avant démolition ?
Quand je suis reparti, le soir tombait. Les lampadaires grésillaient, les ombres s’allongeaient, et j’ai croisé une gamine qui rentrait de l’école avec son cartable rose fluo. Elle a levé les yeux vers la tour, 17 étages de béton gris et sale, et elle a soupiré comme une adulte. Ça m’a retourné l’estomac.
Parce qu’au fond, la vraie question n’est pas de savoir quand la tour Mercure sera rasée. La vraie question, c’est : est-ce qu’on peut décemment laisser des familles, des enfants, vivre encore trois ans dans ces conditions ?
Je n’ai pas la réponse. Mais eux non plus n’auraient jamais dû avoir à se la poser.
