Il y a des histoires qu’on préférerait ne jamais entendre. Et puis il y en a d’autres qui, une fois connues, restent gravées dans un coin de la tête, comme un avertissement. Celle qui s’est déroulée dans un petit coin de Charente-Maritime, un matin d’été 2023, fait partie de la seconde catégorie. Imaginez-vous réveillé en sursaut par un grondement infernal, un choc sourd qui fait trembler les murs, et réaliser en quelques secondes que quelqu’un est en train d’essayer de vous tuer… avec un tracteur.
C’est exactement ce qui est arrivé aux habitants d’un hameau près de Saint-Jean-d’Angély. Et l’homme au volant, ce n’était pas un inconnu venu de loin. Non. C’était le voisin. L’agriculteur du coin. Celui que tout le monde croisait depuis toujours.
Une nuit où tout a basculé
Le 2 juillet 2023, peu après 5 h 30. Le jour commence à peine à se lever. La plupart des gens dorment encore profondément. C’est l’heure où les agriculteurs se lèvent d’habitude, pas où ils décident de transformer leur outil de travail en arme de destruction.
Pourtant, ce matin-là, un tracteur de plusieurs tonnes, équipé d’une lourde fourche à l’avant, fonce à pleine vitesse sur deux maisons mitoyennes. Première cible : la petite habitation d’une dame de 91 ans. La fourche arrache la porte, fracasse les fenêtres, laisse des marques noires de pneus sur la façade. La vieille dame, qui dormait dans la pièce du fond, dira plus tard avoir cru à un tremblement de terre. Elle a eu une chance inouïe.
« J’ai senti la maison trembler, les vitres exploser… Je ne comprenais pas ce qui se passait. »
– La victime de 91 ans, lors de son audition
Mais l’homme n’en a pas fini. À quelques mètres, il vise la maison d’à côté. Une jeune famille y vit : un couple, leur petite fille de deux ans et demi, et la maman est enceinte. Le tracteur percute la salle de bains de plein fouet. Le père se réveille en sursaut. En une fraction de seconde, il comprend. Il connaît le bruit de ce moteur. Il sait immédiatement qui est au volant.
Il attrape sa fille, réveille sa femme, et ils sautent par la fenêtre. Pieds nus, terrifiés, ils se cachent derrière une haie pendant que le tracteur continue de frapper comme un bélier. La fourche finit par se détacher sous la violence des chocs. L’engin termine sa course folle dans un hangar agricole voisin, encastré dans les décombres.
Sans ce hangar, disent les témoins, il aurait probablement continué sa route destructrice.
Un homme « connu comme le loup blanc »
L’auteur de ce carnage ? Un agriculteur de 59 ans, né dans le village, élevé là, travaillant la terre depuis toujours. Un visage que tout le monde reconnaît instantanément. Certains le décrivent comme un homme solitaire, d’autres comme une vraie terreur locale. Des histoires circulent depuis des années : menaces, disputes, ressentiments qui n’ont jamais vraiment été réglés.
Quand les gendarmes arrivent sur place, l’homme est encore là, coincé dans sa cabine ou à proximité. Il profère des menaces de mort. Contre les voisins. Contre les militaires eux-mêmes. Il faudra du renfort pour le maîtriser.
Et puis, chose incroyable : il dit ne se souvenir de presque rien. Ou si peu. Un trou noir. Comme si son corps avait agi sans lui.
L’altération du discernement : la clé du procès
C’est là que tout devient complexe. Parce qu’une expertise psychiatrique a été réalisée. Et les conclusions sont claires : au moment des faits, le discernement de l’accusé était altéré. Pas aboli, attention. Altéré. Ce qui change tout sur le plan pénal.
En droit français, quand le discernement est aboli, la personne n’est pas pénalement responsable. Quand il est seulement altéré, la peine peut être réduite, mais la responsabilité reste engagée. Et ici, on parle de tentative d’assassinat. Un crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité.
- Tentative d’assassinat sur la personne âgée
- Tentative d’assassinat sur le jeune couple et leurs enfants
- Menaces de mort réitérées
- Conduite dangereuse, dégradations graves
Autant dire que le procès qui s’ouvre à Saintes n’a rien d’anodin.
Des années de tensions accumulées
Ce qui frappe, quand on creuse un peu, c’est que rien n’est vraiment sorti de nulle part. Dans les petits villages, on le sait, les histoires de voisinage peuvent pourrir pendant des décennies. Une clôture mal placée, un droit de passage contesté, une inheritance qui divise, un bruit de machine trop tôt le matin… Ça commence par des regards de travers, puis des mots durs, et parfois, très rarement, ça finit dans le sang.
Ici, il y avait manifestement un passif. L’agriculteur accusé avait déjà eu maille à partir avec la justice pour des menaces. Des antécédents. Des plaintes classées ou des rappels à la loi. Rien qui laissait présager une telle explosion de violence, mais assez pour que certains habitants disent, après coup : « On sentait que ça pouvait mal tourner un jour ».
Et puis il y a cette dimension familiale qui complique encore tout. L’une des maisons attaquées appartenait à une proche parente. Une grand-tante. Ce qui ajoute une couche de tragique à l’affaire.
Un village sous le choc
Dans un hameau de quelques centaines d’âmes, un événement pareil, ça ne passe pas inaperçu. Ça marque. Ça divise aussi, parfois. Il y a ceux qui condamnent sans nuance. Ceux qui, malgré tout, cherchent à comprendre. Et ceux qui préfèrent ne plus en parler, comme si le silence pouvait effacer la peur.
Une chose est sûre : depuis ce matin de juillet, plus rien n’est comme avant. Les gens ferment mieux leurs volets. Certains ont installé des caméras. On regarde différemment le tracteur qui passe dans le chemin. Un outil de travail devenu, en une nuit, symbole de cauchemar.
« On a eu peur pour nos vies. Ma fille faisait des cauchemars pendant des mois. On a déménagé quelque temps après. »
– Le père de famille victime
Que va décider la cour d’assises ?
Le procès doit durer trois jours. Trois jours pour essayer de comprendre l’incompréhensible. Trois jours pour que les victimes puissent enfin mettre des mots sur leur terreur. Trois jours pour que l’accusé, lui aussi, puisse peut-être s’expliquer.
La question centrale sera celle de la responsabilité pénale. L’altération du discernement sera-t-elle retenue comme circonstance atténuante forte ? L’homme sera-t-il considéré comme dangereux pour la société ? Va-t-il être interné ? Condamné à une lourde peine ? Les débats s’annoncent passionnés.
Et au-delà du cas individuel, cette affaire pose une question plus large, qu’on n’ose pas toujours formuler dans les campagnes : jusqu’où la solitude, la colère rentrée, les non-dits peuvent-ils pousser un homme ?
Les drames ruraux : plus fréquents qu’on ne le croit ?
J’ai couvert pas mal d’affaires judiciaires au fil des années. Et je dois dire que les histoires de violence extrême dans les campagnes ont quelque chose de particulier. Elles surprennent toujours ceux qui vivent en ville. On imagine la ruralité comme un havre de paix, avec ses champs, ses tracteurs, ses marchés locaux. Et parfois, oui, c’est ça. Mais parfois aussi, c’est un endroit où les rancœurs couvent longtemps, très longtemps, sans soupape.
Pas de voisins anonymes dans un immeuble de 100 appartements. Non. Ici, on se connaît depuis l’enfance. On sait tout les uns des autres. Et quand ça tourne mal, ça tourne vraiment mal.
Ce n’est pas la première fois qu’un engin agricole est utilisé comme arme. Il y a eu d’autres affaires – moins graves, parfois plus graves – où des tracteurs, des moissonneuses, des bottes de paille enflammées ont servi à régler des comptes. C’est presque une spécificité française, d’une certaine manière.
Et derrière ces faits divers, il y a souvent la même toile de fond : la pression sur le monde agricole, l’isolement, les difficultés économiques, les successions compliquées, la santé mentale parfois délaissée.
Cette affaire-là, elle cristallise tout ça. Elle est extrême, oui. Mais elle dit quelque chose de notre époque aussi.
Un procès sous haute tension
À l’heure où j’écris ces lignes, le procès vient de commencer. Les parties civiles sont là. L’accusé aussi. Les journalistes sont nombreux – ce genre d’histoire attire toujours. Et quelque part, dans ce petit hameau de Charente-Maritime, les gens retiennent leur souffle.
Quelles que soient les conclusions de la cour d’assises, une chose est certaine : les plaies mettront longtemps à cicatriser. Peut-être ne cicatriseront-elles jamais complètement.
Parce qu’on n’oublie pas une nuit où un tracteur a essayé de vous tuer.
Et on n’oublie pas non plus que l’homme au volant était quelqu’un qu’on croisait tous les jours.
Cette histoire, au fond, elle nous renvoie à nos propres peurs. Celles qu’on préfère ignorer. Celles qui disent que parfois, le danger n’est pas loin. Parfois, il est juste à côté.
Et qu’un matin d’été, tout peut basculer.
