Vous êtes déjà allé admirer ces fameuses piscines naturelles des Canaries ? Ces bassins creusés dans la lave, protégés par des digues, où l’on se baigne comme dans une carte postale. Moi oui, plusieurs fois. Et à chaque fois, je me disais : « C’est trop beau pour être dangereux. » Dimanche 7 décembre 2025, la réalité m’a rattrapé brutalement.
À Isla Cangrejo, près de Los Gigantes à Tenerife, une vague scélérate a emporté trois vies en un instant. Deux hommes, une femme. Trois autres personnes ont frôlé la mort, dont l’une a été réanimée in extremis. L’image est insoutenable : des familles venues profiter d’un week-end prolongé, un jour férié en Espagne, et soudain le chaos.
Quand le paradis montre les dents
On a tous en tête ces photos idylliques : eau turquoise, roches noires volcaniques, soleil qui tape. Le site officiel vante même une « piscine naturelle protégée par un mur en béton » où l’on peut « profiter du soleil en famille ». Sauf que ce mur, aussi solide soit-il, n’a jamais été conçu pour résister à une houle de trois mètres et demi.
Et pourtant, l’alerte était là. Depuis vendredi, le gouvernement des Canaries avait déclenché une pré-alerte pour mauvais état de la mer sur l’ensemble de l’archipel. Des vagues annoncées entre 2 et 3,5 mètres. Ils avaient même expressément demandé aux gens de ne pas s’approcher du bord pour prendre des selfies. Vous savez, ce réflexe qu’on a tous… « Allez, juste une petite photo avec la vague derrière. »
« Évitez de vous approcher des zones exposées pour prendre des photos ou des vidéos » – communiqué officiel des autorités canariennes, publié 48h avant le drame.
Un phénomène de plus en plus fréquent
Ce n’est pas la première fois. Loin de là. Rien qu’à Tenerife, on compte plusieurs accidents graves chaque année dans ces piscines naturelles. À La Palma, à Gran Canaria, même à Lanzarote… la liste est longue. Et le schéma est presque toujours le même : alerte houle, jour férié ou week-end prolongé, afflux de touristes, et puis le drame.
Je me souviens d’un cas en 2021 à Charco Azul, à La Palma. Une vague avait emporté une mère et sa fille. En 2023, à Puerto de la Cruz, un touriste allemand avait été projeté contre les rochers. À chaque fois, les autorités répètent la même chose : « Nous avions prévenu. » Et à chaque fois, on se dit que ça n’arrive qu’aux autres.
- 2019 : 2 morts à Bajamar (Tenerife)
- 2021 : 2 morts à Charco Azul (La Palma)
- 2022 : 1 mort et plusieurs blessés à Garachico
- 2023 : 1 mort à Puerto de la Cruz
- 2025 : 3 morts à Isla Cangrejo
La liste commence à devenir effrayante, non ?
Pourquoi ces piscines sont-elles si traîtresses ?
Le problème, c’est qu’elles donnent une illusion de sécurité totale. Un bassin fermé, de l’eau calme en surface, des enfants qui barbotent… Et puis d’un coup, une vague passe par-dessus la digue, aspire tout sur son passage, et rejette les corps dix mètres plus loin sur les rochers.
Techniquement, on parle de ressac et de courant d’arrachement. Quand une grosse vague arrive, l’eau monte brutalement dans la piscine, puis redescend à toute vitesse en créant un courant sortant d’une violence extrême. Même un bon nageur n’a aucune chance.
Et le pire ? Ces phénomènes sont imprévisibles. Même avec une prévision à 3,5 mètres, une vague peut atteindre 6 ou 7 mètres localement à cause de la configuration des fonds marins. Les côtes ouest de Tenerife, notamment autour de Los Gigantes, sont particulièrement exposées à la houle de nord-ouest.
Les autorités dépassées ?
Franchement, on peut se poser la question. Oui, il y a des alertes. Oui, il y a des panneaux. Mais est-ce suffisant ? Quand on voit que le site officiel continue de présenter Isla Cangrejo comme un endroit « tranquille pour se baigner en famille », il y a de quoi grincer des dents.
Certains habitants aimeraient voir ces piscines fermées les jours de forte houle. D’autres proposent des barrières plus hautes, des sirènes d’alerte, ou même des maîtres-nageurs sauveteurs en saison. Mais pour l’instant, rien ne bouge vraiment.
« On ne peut pas mettre un garde à chaque piscine naturelle de l’archipel. Mais on pourrait au moins fermer les plus dangereuses quand la mer est démontée. » – Un riverain de Santiago del Teide, interrogé après le drame
Et nous, touristes, on fait quoi ?
C’est là que ça devient personnel. Parce que moi le premier, j’ai déjà fait l’erreur. Se dire « c’est bon, c’est juste une petite vague » en voyant les rouleaux au loin. Prendre le risque « pour la photo ». Ignorer les drapeaux rouges.
Alors voilà quelques règles que je me suis promis de respecter dorénavant – et que vous devriez peut-être imprimer avant votre prochain séjour :
- Vérifier toujours l’état de la mer sur le site de l’AEMET ou l’appli officielle des Canaries avant de sortir
- Si alerte jaune ou orange pour phénomène côtier → on reste sur la terrasse de l’hôtel
- Si vous voyez des vagues qui passent par-dessus la digue, même de loin → demi-tour immédiat
- Ne jamais tourner le dos à la mer (règle de base, mais on l’oublie souvent)
- Éviter les selfies au bord de l’eau quand ça bouge (oui, je sais, c’est dur)
Ça paraît bête dit comme ça. Mais trois familles n’auront pas de Noël cette année à cause de ça.
Un drame qui aurait pu être évité
L’aspect le plus douloureux dans cette histoire, c’est qu’on avait toutes les informations pour éviter la catastrophe. L’alerte était claire. Le danger était connu. Les précédents étaient nombreux.
Et pourtant, des centaines de personnes étaient là dimanche. Parce qu’il faisait beau. Parce que c’était férié. Parce que « ça craint rien, regarde, il y a des enfants qui se baignent ».
Je ne jette la pierre à personne. J’aurais très bien pu être parmi eux.
Mais aujourd’hui, j’écris ces lignes avec une boule au ventre. Parce que derrière les titres choc, il y a des vies brisées. Des parents qui ne rentreront pas. Des enfants qui ne reverront plus leur père ou leur mère.
Les Canaries restent un petit coin de paradis. Mais comme tout paradis, il a ses règles. Et la mer, là-bas, ne pardonne pas l’insouciance.
Alors la prochaine fois que vous verrez une piscine naturelle avec des vagues qui cognent au loin, souvenez-vous d’Isla Cangrejo. Souvenez-vous que le plus beau décor peut devenir le plus dangereux en une fraction de seconde.
Et rentrez à l’hôtel. Il sera toujours temps de revenir un autre jour, quand l’océan sera calmé.
Parce que la plus belle photo du monde ne vaut pas une vie.
