Il y a des nouvelles qui vous tombent dessus comme une avalanche et vous laissent sans voix. Samedi matin, dans les montagnes autrichiennes, un gamin de seize ans a perdu la vie en faisant ce que des milliers d’ados adorent faire : envoyer du gros dans un snowpark. Un saut, une tentative d’évitement, une chute brutale sur un bloc de glace. Et plus rien.
J’ai passé assez d’hivers en station pour savoir que derrière la poudreuse immaculée et les vidéos GoPro stylées, il y a parfois des histoires qui finissent mal. Très mal. Celle-ci en fait partie.
Un accident qui aurait pu arriver n’importe où… ou presque
Le drame s’est produit vers 10 heures dans le domaine Shuttleberg Flachauwinkl-Kleinarl, près de Salzbourg. Plus précisément dans l’Absolut Park, un nom qui résonne chez tous les amateurs de freestyle. C’est l’un des plus grands snowparks d’Europe, avec ses kickers énormes, ses rails interminables et sa réputation qui attire les jeunes du monde entier.
Ce jour-là, les conditions semblaient correctes. Pas de tempête, pas de visibilité nulle. Juste une matinée d’hiver classique, avec cette lumière crue qui fait briller la neige. Le jeune skieur, originaire de la région de Tennengau, enchaînait les sauts sur une ligne réputée accessible, pas loin de la zone « débutants » où les figures restent raisonnables.
Puis tout a dérapé en une fraction de seconde.
Le terrible enchaînement qui a tout fait basculer
Imaginez la scène. Vous êtes en l’air après un kicker, le cœur qui bat à cent à l’heure, le sourire jusqu’aux oreilles. Et là, en retombant des yeux, vous apercevez un skieur allongé sur la réception, en train de se relever tranquillement après sa propre gamelle.
Réflexe immédiat : tirer sur les jambes, dévier la trajectoire pour ne pas le percuter. Sauf que dans un snowpark, quand on modifie son trajet en plein vol, on sort souvent de la zone damée. Et c’est exactement ce qui s’est passé.
Le jeune homme a atterri hors piste, directement sur un bloc de neige durcie, de ceux que les dameuses laissent parfois en bordure ou que le gel forme pendant la nuit. L’impact a été effroyable. Traumatisme crânien massif, malgré le port du casque – oui, il en avait un.
« C’est le genre d’accident que personne ne veut voir, mais que tout le monde redoute dans un snowpark bondé. »
– Un moniteur expérimenté des Alpes, sous couvert d’anonymat
Des secours rapides, mais un pronostic déjà engagé
Les témoins ont immédiatement alerté les pisteurs. L’hélicoptère de secours a décollé en quelques minutes – en Autriche, le système est rodé, presque militaire dans son efficacité. Direction la clinique Kardinal-Schwarzenberg à Schwarzach.
Malheureusement, les lésions étaient trop graves. L’adolescent a succombé peu après son arrivée. Seize ans.
Quand on lit ça, on repense à tous ces gamins qu’on croise sur les remontées, casque de travers, écouteurs dans les oreilles, qui se lancent sans vraiment mesurer le danger. On se dit que ça pourrait être le fils d’un pote, le petit frère d’un collègue.
Les snowparks : entre terrain de jeu et zone à risques
Il faut être honnête : les snowparks ont changé la donne. Avant, on faisait du ski entre les sapins ou sur des bosses naturelles. Aujourd’hui, on construit des cathédrales de neige avec des tables de 20 mètres, des quarter pipes de malade et des rails à vous donner le vertige.
Et oui, c’est génial. Ça attire une génération entière, ça renouvelle le ski, ça fait vivre les stations. Mais ça concentre aussi les risques à un endroit précis.
- Des sauts de plus en plus gros pour rester « dans le game »
- Une fréquentation parfois anarchique les week-ends et pendant les vacances
- Des skieurs de niveaux très disparates qui se retrouvent sur la même ligne
- La glace qui se forme quand les températures oscillent autour de zéro
- Le phénomène de « blind spot » : on ne voit pas toujours ce qui se passe en contrebas d’un kicker
Ajoutez à ça l’effet groupe, l’envie de filmer la figure parfaite pour les réseaux, et vous avez une cocktail parfois explosif.
Ce que disent les chiffres (et ils ne sont pas rassurants)
En Autriche, pays qui vit du ski, on recense chaque année plusieurs décès liés au freestyle. Pas des dizaines, mais suffisamment pour que les autorités et les stations restent vigilantes.
Depuis dix ans, les casques sont obligatoires jusqu’à 15 ans et ultra-majoritairement portés au-delà. Pourtant, ça ne suffit pas toujours. Un choc à 50 ou 60 km/h sur de la glace, même avec le meilleur casque du monde, ça laisse peu de chances.
Et puis il y a ces statistiques qu’on voit passer dans les rapports internes des domaines skiables :
- 70 % des accidents graves en snowpark concernent des hommes entre 14 et 25 ans
- La moitié des victimes tentait d’éviter quelqu’un ou quelque chose
- Près d’un tiers des chutes mortelles se produisent hors des zones balisées après une déviation de trajectoire
Des chiffres qui font froid dans le dos.
Les mesures déjà en place… et celles qui posent question
Dans les grandes stations autrichiennes, on a pris le problème à bras-le-corps depuis longtemps. Caméras sur les gros kickers, shapers qui passent leur vie à modeler les réceptions, briefings sécurité, panneaux partout.
Mais soyons réalistes : on ne pourra jamais tout contrôler. Un skieur qui tombe et reste trente secondes au sol, c’est imprévisible. Un plaque de glace qui se forme pendant la nuit aussi.
Certains proposent des solutions radicales :
- Obliger les skieurs à attendre en haut du kicker que la réception soit dégagée
- Installer des filets ou des zones tampons plus larges
- Fermer certaines lignes quand la fréquentation devient trop dense
- Rendre obligatoire une licence freestyle avec formation préalable (comme en Suisse pour certains parks)
D’autres estiment que ça tuerait l’esprit même du freestyle. Difficile de trancher.
Et nous, parents, riders, moniteurs… on fait quoi ?
Personnellement, chaque fois qu’un drame comme celui-ci arrive, je me repose les mêmes questions quand je vois mon neveu de 14 ans partir avec son snowboard sous le bras.
On leur dit quoi, concrètement ?
« Amuse-toi, mais souviens-toi que ça peut mal finir » ? Ça sonne comme une menace. « Ne prends pas de risques » ? Ils en prennent forcément, c’est le principe même du freestyle.
Peut-être qu’il faut juste répéter inlassablement les bases :
- Regarder avant de sauter (même si on est pressé)
- Respecter la règle « un rider sur le kicker à la fois »
- Signaler immédiatement quand on tombe et qu’on bloque la réception
- Adapter sa vitesse et ses figures à son vrai niveau (pas à celui qu’on affiche sur Instagram)
- Refuser de sauter quand les conditions sont pourries
Des évidences, oui. Mais qui sauvent des vies.
Un sport qui grandit dans la douleur
Le ski freestyle est encore jeune. Il a une trentaine d’années à peine. Comme le skate dans les années 80 ou le BMX dans les 90, il vit sa phase où il faut apprendre de ses erreurs, parfois au prix fort.
Chaque accident tragique pousse les stations, les shapers, les fédérations à revoir leurs protocoles. C’est terrible à dire, mais c’est souvent comme ça que les sports extrêmes progressent en sécurité.
Ce gamin de seize ans ne reviendra pas. Sa famille vit l’impensable. Mais peut-être que son histoire, aussi douloureuse soit-elle, permettra d’éviter que d’autres familles vivent la même chose.
En attendant, la prochaine fois que vous verrez un ado envoyer un backflip un peu trop confiant, peut-être que vous penserez à lui. Moi, en tout cas, c’est sûr.
Prenez soin de vous sur les pistes. Et surtout, prenez soin des autres.
