Imaginez-vous en pleine nuit, quelque part entre Saint-Leu-la-Forêt et la lumière lointaine de Paris. Il pleut doucement, le sol est glissant, vos jambes hurlent depuis déjà quinze heures et vous savez qu’il reste encore… disons, beaucoup de bosses. Et pourtant, vous souriez. Parce que vous êtes en train de vivre quelque chose que très peu de gens oseront jamais tenter : le Trail des 40 Bosses, probablement la course la plus rude que l’Île-de-France ait à offrir.
On entend souvent que l’ultra-trail, c’est l’affaire des Alpes, des Pyrénées ou, au pire, de la Corse. Et puis un jour, quelqu’un vous parle d’une course de 120 kilomètres avec 5 500 mètres de dénivelé positif… en Val-d’Oise. Oui, oui, vous avez bien lu. À vingt minutes de la Porte de Clignancourt. Là, forcément, la curiosité l’emporte.
Les 40 Bosses : quand la forêt de Montmorency se transforme en montagne
La forêt de Montmorency, ce n’est pas le Mont Blanc, c’est vrai. Mais quand on enchaîne quarante buttes raides, parfois à plus de 15 %, avec des descentes techniques, des racines partout et de la boue jusqu’aux chevilles, on oublie vite qu’on est à 150 mètres d’altitude max. Le profil de la course est vicieux : pas de longues ascensions où l’on peut marcher tranquillement, non. Ici, c’est coup de cul, relance, descente piégeuse, nouveau coup de cul. Un vrai yo-yo qui use les quadriceps bien plus sûrement qu’un col à 2 000 mètres.
Cette année, la septième édition attend environ trois mille coureurs sur l’ensemble du week-end. Six distances sont proposées, du 12 km accessible au monstre de 120 km qui fait office d’épreuve reine. Barrière horaire : 25 heures. Autant dire que même les finishers les plus lents vont passer une nuit complète dans les bois, sous la pluie et le froid de décembre.
Un parcours qui ne laisse personne indifférent
Ce qui marque les esprits, c’est cette sensation de ne jamais avoir de répit. Les organisateurs ont dessiné un tracé en trèfle : plusieurs boucles qui repassent régulièrement par Saint-Leu-la-Forêt. Pratique pour les ravitaillements, génial pour les spectateurs, mais psychologiquement redoutable pour le coureur qui sait exactement combien de tours il lui reste à avaler.
- Des singles sinueux où il faut lever haut les pieds
- Des portions roulantes qui tentent de vous faire accélérer… avant la prochaine bosse
- Des passages dans les sous-bois tellement sombres que la frontale ne suffit plus
- Et toujours, toujours, ces petites montées qui paraissent anodines sur le papier mais qui, à la dixième répétition, deviennent des murs
J’ai eu l’occasion de reconnaître une partie du parcours il y a quelques semaines. Honnêtement ? J’ai rarement vu un terrain aussi joueur si près d’une grande ville. On croise des cerfs, on entend les avions qui décollent de Roissy, et pourtant on se sent complètement ailleurs.
Mélody, la reine qui remet son titre en jeu
Parmi les têtes d’affiche, impossible de ne pas parler de Mélody Jacquesson. L’an dernier, elle a non seulement remporté l’épreuve féminine, mais elle s’est payée le luxe de terminer dixième au scratch en un peu plus de 18 heures. Autant dire que la concurrence masculine a pris cher.
« Je prépare une course encore plus longue en début d’année, et les 40 Bosses tombaient pile dans ma préparation. J’ai adoré l’ambiance hyper familiale et ce parcours qui change tout le temps. On ne s’ennuie jamais. »
– Mélody Jacquesson, tenante du titre
Cette ostéopathe de 36 ans, habituée des podiums sur des ultras mythiques, ne vient pas pour défendre un titre. Elle vient pour le plaisir. Et c’est peut-être ça, la vraie force de cette course : même les meilleurs gardent une forme d’humilité face à ces bosses qui n’en finissent pas.
Joey, le novice qui rêve de devenir finisher
À l’autre bout du spectre, il y a des coureurs comme Joey. Vingt-six ans, 87 kg, un gabarit de sprinter reconverti en ultra depuis moins d’un an. Facteur le jour, créateur de contenu le soir, il s’est fixé un défi un peu fou : terminer son premier 100+ kilomètres sur cette épreuve qu’il découvrait à peine en août.
« Quand on m’en a parlé, j’ai cru que c’était une blague. 5 500 m de D+ en Île-de-France ? Je me suis dit : si je dois souffrir quelque part, autant que ce soit près de chez moi. »
Ses craintes ? Le froid, la nuit, la boue, et surtout son genou qui le lance déjà. Mais Joey, c’est le genre de gars qui a couru 100 km sur une piste d’athlé ou qui a monté 271 fois les escaliers de Montmartre juste pour le délire. Alors oui, il va souffrir. Mais il va aussi vivre quelque chose d’unique.
Pourquoi cette course attire autant ?
Il y a plusieurs raisons. D’abord, l’accessibilité : pas besoin de prendre l’avion ou de poser trois jours de congé. On prend le RER, on court, on rentre dormir dans son lit (ou pas). Ensuite, l’ambiance. L’association Saint-Leu Outdoor a réussi à garder un esprit village malgré la croissance fulgurante de l’événement.
Mais surtout, il y a cette idée reçue qui vole en éclats : non, il ne faut pas forcément des sommets à 4 000 mètres pour vivre une aventure extrême. Parfois, il suffit de quarante petites bosses, d’une forêt magnifique et d’une bonne dose de courage.
En regardant les chiffres des années précédentes, on s’aperçoit que le taux d’abandon tourne autour de 35 % sur le 120 km. Pas si énorme quand on pense aux conditions hivernales et à la répétitivité du parcours. Preuve que les coureurs sont de plus en plus préparés… ou de plus en plus masos, c’est selon.
Comment se préparer quand on vise les 40 Bosses ?
Si l’idée vous titille, voilà quelques conseils glanés auprès de finishers :
- Faites des séances de côtes courtes et répétées plutôt que de longues montées
- Travaillez les descentes techniques (c’est souvent là que ça casse)
- Entraînez-vous de nuit, avec la frontale, même si ça paraît bête
- Prévoir des vêtements pour toutes les températures : il peut faire -5 °C comme 12 °C en décembre
- Et surtout, acceptez l’idée que vous allez marcher. Beaucoup.
Parce que oui, sur cette course, le vainqueur court à 6-7 km/h de moyenne. Les autres ? Parfois moins de 5. Et c’est parfaitement normal.
Un événement qui grandit sans perdre son âme
En sept éditions, le Trail des 40 Bosses est passé de quelques centaines de coureurs à un événement qui attire désormais des traileurs de toute la France. Pourtant, les organisateurs tiennent à garder cette proximité qui fait tout le charme. Bénévoles souriants, ravitaillements généreux, pasta party d’après-course… on est loin du business parfois froid des gros ultras.
Cette année encore, la forêt de Montmorency va trembler sous les pas de milliers de coureurs. Certains viendront chercher la performance, d’autres simplement l’arrivée. Mais tous repartiront avec la même certitude : l’ultra-trail, ce n’est pas réservé à la montagne. Parfois, il suffit de regarder un peu plus près de chez soi pour trouver des défis qui font vaciller les certitudes.
Et qui sait… peut-être que l’an prochain, ce sera votre tour de maudire joyeusement ces satanées bosses sous la lumière d’une frontale. Parce qu’après tout, c’est aussi ça, le trail : transformer la souffrance en souvenir impérissable.
Alors, prêt à tenter l’aventure ? La forêt vous attend. Et elle ne fait pas de cadeaux.
