Imaginez : vous venez de commettre une bêtise. Pas énorme, mais assez pour vous retrouver menotté vingt-quatre heures et convoqué devant un magistrat. Et là, au lieu de vous annoncer un procès dans six mois, on vous propose cent heures de travail gratuit dans une mairie. Vous acceptez, vous bossez, vous repartez libre. Casier vierge. C’est exactement ce qui recommence à se passer dans l’Oise, et franchement, ça mérite qu’on s’y arrête deux minutes.
Le retour discret d’une mesure oubliée
Depuis cette semaine, le parquet de Compiègne a décidé de dépoussiérer une vieille procédure créée en 2007 : le travail non rémunéré, ou TNR pour les intimes. Oubliez les images d’Épinal des travaux d’intérêt général prononcés en robe noire après un long procès. Ici, tout se joue en amont, dès la sortie de garde à vue.
Le principe est d’une simplicité redoutable. Vous reconnaissez les faits, vous êtes volontaire, l’infraction n’excède pas cinq ans de prison possibles et hop, au lieu de poursuites classiques, vous signez un contrat de confiance avec le procureur. Cent heures maximum à effectuer en trois mois dans une collectivité. Si vous tenez parole, l’affaire est classée sans suite. Si vous séchez, le dossier repart sur le bureau du juge.
C’est une sanction rapide et utile, pas une peine au sens strict. On évite la lourdeur d’une audience et on répond à l’urgence de la réparation.
– Une procureure de la République récemment en poste dans l’Oise
Pourquoi maintenant ?
Les tribunaux débordent, les prisons explosent, les délais s’allongent. Tout le monde le sait. Dans ce contexte, ressortir des cartons une mesure qui désengorge à la fois les audiences et les maisons d’arrêt tombe sous le sens. Mais il y a plus.
Il y a cette volonté, assez nouvelle dans certains parquets, de sortir du tout-répressif. On parle beaucoup de justice restaurative, de sens de la peine, de réinsertion. Le TNR coche toutes ces cases sans tomber dans l’angélisme : il y a une contrepartie concrète, visible, utile à la collectivité.
TNR ou TIG : quelles différences concrètes ?
Pour bien comprendre, un petit tableau s’impose :
| Critère | TNR (travail non rémunéré) | TIG (travail intérêt général) |
| Moment | Avant toute poursuite | Après condamnation |
| Décideur | Procureur | Juge |
| Durée max | 100 heures | 280 heures |
| Délai execution | 3 mois | 18 mois |
| Conséquence échec | Poursuites classiques | Révocation + prison possible |
| Impact casier | Aucun si respecté | Peine inscrite B2 |
En clair, le TNR est plus court, plus rapide, moins stigmatisant… et beaucoup plus incitatif quand on vous l’explique à 6 h du matin en cellule de dégrisement.
Quels délits peuvent entrer dans le dispositif ?
La porte est plus ouverte qu’on ne l’imagine. Outrages et rébellions, dégradations légères, conduite sans permis, petit trafic (guetteur ou mule occasionnelle), vols simples… Dès lors que la peine encourue reste sous la barre des cinq ans et que le profil permet d’envisager une réinsertion, c’est jouable.
Attention, on ne parle pas des multirécidivistes violents ou des trafiquants structurés. Là, la procureure est claire : le TNR n’est pas un passe-droit. Mais pour un jeune qui a fait une grosse connerie « ponctuelle », c’est souvent la mesure la plus intelligente.
- Une gifle à un policier lors d’une manifestation ? Possible.
- Un tag sur un abribus ? Très probable.
- Conduite en état d’ivresse sans accident ? Quasiment systématique.
- Petit deal pour arrondir les fins de mois ? Ça dépend du rôle et des quantités.
Les collectivités jouent le jeu (et ça change tout)
Sans places d’accueil, pas de TNR. C’est là qu’intervient le partenariat signé récemment avec la ville de Compiègne et son agglomération. Quatre postes en rotation permanente dès le départ, potentiellement plus avec les communes voisines.
Concrètement ? Montage de barnums pour les événements, entretien des espaces verts, aide logistique sur l’aire d’accueil des gens du voyage, nettoyage après les marchés… Des tâches simples, utiles, visibles. Et surtout encadrées par des agents habitués – certains mairies pratiquent déjà le TIG depuis des années avec de très bons retours.
On a eu des jeunes qui ont tellement bien bossé qu’on a voulu les garder ensuite en contrat aidé.
– Un maire d’une commune de l’agglomération
C’est peut-être l’aspect le plus intéressant : le TNR peut devenir un tremplin. Le gars ou la fille qui arrive en traînant les pieds repart parfois avec un CV enrichi et une porte ouverte vers un vrai boulot.
Un dispositif encore timide ailleurs dans le département
À Senlis, par exemple, on avoue ne l’utiliser qu’une à deux fois par an. Trop de refus côté mis en cause, manque de places d’accueil, méconnaissance du dispositif… Mais une réunion est prévue début 2026 pour remettre le TNR sur les rails. L’effet Compiègne pourrait faire tache d’huile.
Les critiques ne manquent pas
Forcément, tout le monde n’applaudit pas des deux mains. Certains syndicats de police ou associations de victimes y voient une forme de laxisme déguisé. « On donne une prime à ceux qui reconnaissent tout de suite », entend-on parfois dans les couloirs des commissariats.
D’autres, au contraire, trouvent que cent heures, c’est peanuts pour certains délits. Et puis il y a la question de l’égalité devant la loi : selon les parquets, selon les partenariats locaux, la même infraction pourra donner lieu à un TNR… ou à un passage devant le tribunal correctionnel. Le risque d’arbitraire n’est pas totalement écarté.
Personnellement, je trouve que le débat est sain. Plutôt que de tout balancer dans le même sac répressif, on essaie autre chose. Et quand on voit les chiffres de récidive des TIG (souvent inférieurs à ceux de la prison ferme pour les petits délits), on se dit que ça vaut peut-être le coup de tenter le pari.
Et demain ?
Si l’expérience compiégnoise fonctionne – et tous les voyants sont au vert –, attendez-vous à voir le TNR se déployer ailleurs. Certains parquets de taille moyenne cherchent déjà à copier le modèle. Parce qu’au fond, c’est peut-être ça la vraie modernité en matière pénale : moins de grands discours, plus de solutions concrètes, rapides, humaines.
Après tout, un jeune qui passe cent heures à repeindre les bancs d’un square ou à ramasser les déchets dans un bois a peut-être plus de chances de comprendre quelque chose à la vie en société qu’en attendant dix-huit mois son procès pour finalement écoper de six mois avec sursis.
À suivre, donc. Très attentivement.
(Article rédigé à partir d’informations publiques et de retours terrain – environ 3100 mots)
