Vous êtes-vous déjà retrouvé coincé sur un quai à 6 h 47, regard rivé sur le panneau qui annonce « train supprimé » pour la troisième fois de la semaine ? Moi oui. Et je peux vous dire que la colère monte vite. Pourtant, la vraie raison de ces galères quotidiennes n’est ni la grève ni la feuille sur la voie : c’est un réseau ferroviaire qui arrive en bout de course et qu’on doit réparer d’urgence.
Un réseau qui a pris soixante-dix ans dans les gencives
Après la guerre, la France a tout misé sur le train. On a reconstruits à la va-vite, on a électrifié, on a lancé le TGV… et puis on a un peu oublié d’entretenir le « petit » réseau. Résultat : aujourd’hui, une bonne partie des 28 000 km de lignes principales date des années 50-70. Les ponts, les tunnels, les aiguillages… tout fatigue en même temps.
Et comme si ça ne suffisait pas, le réchauffement climatique en rajoute une couche. Canicules qui font gondoler les rails, orages violents qui provoquent des glissements de terrain, inondations qui rongent les talus… Le réseau subit des agressions qu’il n’avait jamais connues à ce rythme.
« On doit s’habituer à des volumes de travaux relativement importants »
Un expert en gestion d’infrastructures ferroviaires
Pourquoi on ne peut plus attendre
Concrètement, on arrive au point où ne rien faire coûterait plus cher que tout refaire. Un pont qui s’écroule, une voie qui se déforme en pleine canicule et c’est la catastrophe. Sans parler des risques pour la sécurité des voyageurs et des agents.
J’ai discuté avec un cheminot l’an dernier. Il m’a montré une photo d’un rail littéralement fendu en deux après un été à 42 °C. « Avant, ça arrivait une fois tous les dix ans. Aujourd’hui, c’est plusieurs fois par an.
La stratégie française : on ferme… mais pas trop
En Allemagne, quand ils rénovent une grande ligne, ils la ferment six mois d’affilée et basta. Chez nous, impossible. Le réseau est trop « radial » : tout passe par Paris ou par quelques gros nœuds. Si tu coupes une artère, c’est tout le corps qui souffre.
Du coup, la SNCF choisit la méthode « petits bouts » : travaux de nuit, fermetures le week-end, coupures en journée sur certaines lignes moins fréquentées. C’est moins brutal pour les voyageurs… mais ça dure plus longtemps et ça revient plus cher.
- Nuit : renouvellement des voies et ballast
- Week-end : remplacement d’aiguillages ou de caténaires
- Journée en semaine : interventions sur les lignes secondaires ou les RER
2026, l’année où tout va se jouer
Début 2026, une grande carte des chantiers sera publiée. Mais on sait déjà que certaines zones vont morfler sévèrement :
- 70 km autour d’Orléans complètement refaits jusqu’à janvier 2026
- Plusieurs week-ends blancs sur Paris – Normandie
- Travaux massifs sur certaines portions du Sud-Est
- Remplacement de vieux postes d’aiguillage mécaniques (ceux avec les grandes manettes, oui)
Et ce n’est que le début. Les années 2026-2030 risquent d’être parmi les plus compliquées depuis la création du TGV.
Comment la SNCF essaye de limiter la casse
Ils ont compris que le silence radio, c’était fini. Maintenant, on organise des réunions avec les élus, les hôpitaux, les entreprises locales dès qu’un gros chantier se profile. On met en place des cars de substitution (même si tout le monde râle), on propose des itinéraires bis, on ouvre même certains chantiers au public pour montrer l’ampleur du boulot.
« Le non-dit est la pire des choses »
Un responsable d’association d’usagers
Parce que soyons honnêtes : voir une pelleteuse arracher 500 mètres de voie en une nuit, ça calme les nerfs de ceux qui pestent dans le RER B.
Et nous, les voyageurs, on fait comment ?
La vérité, c’est qu’on va devoir s’adapter. Télétravailler un jour de plus par semaine quand c’est possible. Prendre le covoiturage ou le bus longue distance. Redécouvrir les lignes TER quand le TGV est en car.
Certains y voient même du positif : moins de monde dans les trains aux heures de pointe, des cars parfois plus confortables que certains Corail des années 80… Bon, j’exagère à peine.
Moi, ce qui me fait le plus rire (jaune), c’est qu’on râle tous aujourd’hui… mais dans dix ans, on voyagera sur un réseau flambant neuf, plus fiable, plus résistant au climat. C’est un peu comme les travaux dans l’immeuble : insupportable sur le moment, mais on apprécie quand le bruit s’arrête.
Le paradoxe écologique
Le train reste le moyen de transport le plus vert. Mais pour qu’il le reste, il faut le rénover… et la rénovation, elle, consomme énergie, béton, acier. C’est le serpent qui se mord la queue.
Les gestionnaires essayent de limiter l’empreinte : recyclage du ballast, réemploi des rails, engins de chantier à l’hydrogène quand c’est possible. Ce n’est pas encore parfait, mais ça avance.
Et à long terme ?
Si tout se passe bien, dans quinze ans, la France aura l’un des réseaux les plus modernes d’Europe. Des voies capables de supporter 40 °C l’été sans broncher, des systèmes de signalisation dernière génération, moins de pannes imprévues.
Mais pour ça, il faut accepter de souffrir un peu maintenant. C’est le prix à payer pour ne pas se retrouver, en 2040, avec un réseau à bout de souffle et des voyageurs qui reprennent la voiture ou l’avion.
Alors la prochaine fois que votre train aura 40 minutes de retard à cause d’un « chantier de modernisation », respirez un grand coup. Ce n’est pas contre vous. C’est pour que vos enfants (ou vous-même) puissent continuer à prendre le train sans se demander s’ils arriveront un jour.
Parce qu’au final, un train en retard à cause de travaux, c’est toujours mieux qu’un train qui ne part plus du tout.
