Vous souvenez-vous de cette amende colossale de près d’un demi-milliard de dollars infligée à Donald Trump début 2024 ? Moi oui, très bien. Elle avait fait trembler tout son empire immobilier. Et celle qui tenait le marteau, c’était Letitia James, la procureure générale de l’État de New York. Depuis, le retour du magnat à la Maison Blanche a des allures de règlement de comptes version western. Sauf que, ces derniers jours, le shérif semble avoir du plomb dans l’aile.
Quand la vengeance présidentielle bute sur la réalité judiciaire
Jeudi 4 décembre 2025, un grand jury fédéral a purement et simplement refusé de valider un nouvel acte d’accusation contre Letitia James. Ce n’est pas la première fois. La semaine précédente, deux autres tentatives – contre elle et contre l’ancien patron du FBI James Comey – avaient déjà été annulées pour vice de procédure. Le motif ? La nomination du procureur spécial chargé du dossier était jugée illégale, trop visiblement téléguidée par l’exécutif.
Autrement dit : le pouvoir politique a voulu faire plier la justice, et la justice, pour une fois, a dit non. Fort.
Letitia James, la cible numéro 1 du camp MAGA
Reprenons depuis le début, parce que l’histoire mérite qu’on s’y attarde. Letitia James n’est pas n’importe quelle magistrate. Élue procureure générale de New York en 2018, elle avait fait de la lutte contre les fraudes un cheval de bataille. Et quand elle a commencé à regarder de près les pratiques de la Trump Organization, ça a chauffé sévère.
Résultat : une condamnation civile retentissante en février 2024. Fraude sur la valeur des actifs, gonflement systématique des bilans pour obtenir des prêts avantageux… L’addition était salée. Puis, surprise, une cour d’appel de l’État de New York a annulé cette décision en août dernier, estimant l’amende « excessive ». Letitia James a fait appel, l’affaire est toujours en cours.
Mais entre-temps, Trump a été réélu. Et là, le ton a changé. Pendant la campagne déjà, il promettait de « nettoyer » le système et de poursuivre ceux qu’il appelle les « ennemis de l’intérieur ». Letitia James figurait en bonne place sur la liste.
« Nous allons nous occuper d’eux, croyez-moi. Ils ont essayé de me détruire, maintenant c’est leur tour. »
– Donald Trump, meeting en Floride, octobre 2025
Un mécanisme de revanche qui commence à griper
Comment ça marche, concrètement ? L’administration a tenté d’utiliser le ministère de la Justice comme une arme. Nomination express d’un procureur spécial, ouverture d’enquêtes pour « fraude au prêt bancaire » (ironique, non ?), pression publique sur la ministre Pam Bondi… Tout y est passé.
Sauf que le système judiciaire américain, même sous pression, conserve des garde-fous. Et ces garde-fous viennent de se rappeler au bon souvenir de tout le monde.
- Premier revers : annulation des deux premières inculpations pour vice de forme sur la nomination du procureur
- Deuxième revers : refus du grand jury de retenir les charges présentées jeudi
- Troisième possibilité : le ministère peut encore retenter sa chance… mais à quel prix politique ?
Car c’est bien là que ça devient intéressant. À force de vouloir transformer la justice en outil de vengeance personnelle, l’administration risque de se retrouver face à un mur : celui de l’opinion publique et des juges qui, eux, n’ont pas été élus.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
On peut imaginer plusieurs suites, et franchement, aucune n’est vraiment confortable pour la Maison Blanche.
- Le forcing : nouvelle tentative d’inculpation avec un autre procureur, un autre grand jury. Risque : nouvelle humiliation publique si ça échoue encore.
- Le contournement : utiliser des leviers étatiques (New York reste démocrate) ou des enquêtes du Congrès. Moins direct, plus long, mais tout aussi visible.
- Le recul tactique : laisser tomber Letitia James pour se concentrer sur d’autres cibles moins protégées. Ce serait un aveu de faiblesse énorme.
Personnellement, je penche pour la première option. Abandonner maintenant, ce serait reconnaître que la justice peut dire non au président. Et ça, dans l’univers mental du clan MAGA, c’est tout simplement impensable.
Ce que ça nous dit sur l’état de la démocratie américaine
Allons plus loin. Ce qui se joue ici dépasse largement le cas Letitia James. C’est une bataille rangée entre deux visions de l’Amérique.
D’un côté, ceux qui estiment que le président, une fois élu, doit pouvoir « nettoyer » les institutions des éléments qui lui ont résisté. De l’autre, ceux qui rappellent qu’aux États-Unis, personne – pas même le président – n’est au-dessus des lois.
Et là, mine de rien, on touche à quelque chose de fondamental. Parce que si demain n’importe quel procureur peut être poursuivi pour avoir fait son travail, alors c’est la porte ouverte à tous les abus.
« Une procureure qui fait condamner un président pour fraude ne devrait pas avoir à craindre des représailles fédérales. Sinon, c’est la fin de l’État de droit. »
– Un constitutionnaliste anonyme, décembre 2025
Et pourtant, on en est là. On assiste, en direct, à un test grandeur nature de la solidité des institutions américaines face à un pouvoir qui n’a jamais vraiment accepté l’idée de contre-pouvoirs.
Les précédents historiques ne manquent pas
Ce n’est pas la première fois qu’un président américain tente de transformer le ministère de la Justice en bras armé. Nixon avait essayé, avec le Saturday Night Massacre. Ça s’était mal fini pour lui.
Plus récemment, on se souvient des pressions exercées sous la première présidence Trump sur le FBI ou sur certains procureurs. Mais là, on passe un cap : on ne parle plus de simples tweets rageurs, on parle d’inculpations concrètes, de grands jurys, de dossiers montés à la va-vite.
Et le plus fou ? C’est que ça ne marche pas. Pas encore, en tout cas.
Letitia James, plus qu’une procureure : un symbole
Il faut dire que la dame a du répondant. Depuis le début, elle n’a jamais plié. Menaces, insultes, campagnes de dénigrement… rien n’y a fait. Elle continue son travail, calme, méthodique, implacable.
Et quelque part, c’est peut-être ça qui rend le camp Trump fou. Parce qu’elle représente exactement ce qu’ils détestent : une femme noire, démocrate, issue de la diversité, qui ose tenir tête au pouvoir blanc et masculin qu’ils incarnent.
Symboliquement, la faire tomber aurait été une victoire totale. La faire plier aurait envoyé un message clair à tous les autres : « Ne vous avisez pas de nous défier ».
Raté. Pour l’instant.
Et nous, qu’est-ce qu’on en retient ?
Moi, ce que je retiens surtout, c’est que même dans les moments les plus sombres, les institutions peuvent tenir. Pas toujours, pas partout, mais parfois oui.
Ces juges anonymes, ce grand jury de citoyens ordinaires qui a dit non, ces magistrats qui ont annulé des nominations douteuses… Ce sont eux, finalement, qui font rempart.
Et tant qu’il y aura des gens comme Letitia James pour faire leur travail sans trembler, et des citoyens ordinaires pour refuser de valider des dérives, alors non, tout n’est pas perdu.
Même si, soyons honnêtes, la route risque d’être longue. Très longue.
En attendant la prochaine manche – car il y en aura une, c’est certain – une chose est sûre : l’histoire est en train de s’écrire sous nos yeux. Et pour une fois, la justice semble décidée à ne pas se laisser faire.
À suivre, donc. Très attentivement.
