Vous êtes-vous déjà demandé jusqu’où un président américain pouvait aller pour défendre une goutte d’eau ? Franchement, quand j’ai vu la dernière sortie de Donald Trump sur le sujet, je me suis dit que l’on touchait là à un mélange explosif entre géopolitique old school et survie agricole. L’eau, cette ressource qu’on croyait intouchable, devient soudain une arme commerciale. Et le Mexique se retrouve dans le viseur.
Ce n’est pas tous les jours qu’un chef d’État menace d’ajouter 5 % de taxes sur absolument tout ce qui franchit la frontière parce que son voisin n’arrose pas assez ses champs. Pourtant, c’est exactement ce qui vient de se passer. Et derrière cette menace apparemment surréaliste se cache un dossier brûlant, vieux de plus de quatre-vingts ans, que beaucoup avaient presque oublié.
Un traité signé en 1944 qui refait surface avec fracas
Remontons un peu le temps. Nous sommes en 1944, la Seconde Guerre mondiale fait encore rage, et les États-Unis comme le Mexique ont besoin de stabilité à leur frontière commune. Les deux pays signent alors un accord historique sur le partage des deux grands fleuves transfrontaliers : le Colorado à l’ouest et le Rio Bravo (que les Américains appellent Rio Grande) à l’est.
Le deal semblait équitable à l’époque :
- Les États-Unis doivent livrer chaque année 1,85 milliard de mètres cubes d’eau du Colorado au Mexique.
- En échange, le Mexique s’engage à fournir 432 millions de mètres cubes depuis le Rio Bravo.
Sur le papier, tout va bien. Sauf que la réalité climatique et démographique a rattrapé tout le monde. Sécheresses à répétition, explosion de la consommation agricole des deux côtés, barrages construits en cascade… Et surtout, le Mexique accumule un retard colossal.
« Le Mexique continue de violer notre traité global sur l’eau »
– Donald Trump, sur ses réseaux, décembre 2025
Le chiffre avancé par Washington donne le vertige : plus d’un milliard de mètres cubes de déficit cumulé sur les cinq dernières années. Autant dire que les agriculteurs texans, qui dépendent du Rio Bravo pour irriguer leurs cultures, commencent à sérieusement grincer des dents.
Pourquoi le Mexique est-il autant en retard ?
Il serait trop facile de tout mettre sur le dos de la mauvaise foi. La vérité, c’est que le Mexique traverse lui aussi des périodes de sécheresse historique. Les États du nord – Chihuahua, Coahuila, Nuevo León – ont vu leurs réservoirs chuter à des niveaux critiques. Donner de l’eau aux États-Unis, c’est parfois priver ses propres citoyens et ses propres fermes.
Et puis il y a la politique intérieure. Aucun président mexicain ne veut passer pour celui qui a « vendu » l’eau nationale aux gringos. Imaginez la tête des éleveurs de Monterrey ou des agriculteurs de Tamaulipas si on leur annonce qu’on ouvre grand les vannes pour le Texas pendant qu’eux comptent les gouttes.
Résultat ? Le Mexique livre au compte-gouttes, parfois rien du tout pendant des mois. Et chaque année, le déficit s’alourdit.
Le Texas, grande victime collatérale
De l’autre côté de la frontière, c’est la catastrophe agricole qui couve. Le sud du Texas, région de cultures intensives (coton, sorgho, agrumes), dépend à 80 % de l’eau du Rio Bravo. Quand les livraisons mexicaines ne viennent pas, les agriculteurs doivent pomper dans les nappes phréatiques, déjà surexploitées, ou tout simplement laisser des champs en jachère.
J’ai lu des témoignages absolument glaçants : des exploitations familiales qui existent depuis quatre générations et qui se demandent aujourd’hui si elles passeront l’année prochaine. Des éleveurs obligés de vendre leur cheptel parce qu’il n’y a plus assez d’eau pour les abreuver. Et tout ça pendant que les températures grimpent et que les épisodes de sécheresse s’allongent.
« Cette violation nuit gravement à nos belles récoltes et à notre bétail au Texas »
– Donald Trump
Trump, jamais le dernier pour flatter son électorat rural, a flairé le bon dossier. Défendre les farmers texans, c’est toucher une corde sensible chez une bonne partie de sa base.
La menace des 5 % de taxes supplémentaires : bluff ou bombe atomique commerciale ?
Revenons à la menace principale. Trump exige que le Mexique livre 250 millions de mètres cubes supplémentaires avant la fin 2025. Sinon ? Une surtaxe de 5 % sur absolument tous les produits mexicains entrant aux États-Unis.
Pour vous donner une idée de l’impact, le Mexique exporte plus de 80 % de sa production vers son voisin du nord. Voitures, pièces automobiles, avocats, bière, légumes… Une taxe généralisée de 5 % représenterait des milliards de dollars de pertes. Et ce n’est pas tout : l’effet domino sur l’emploi au Mexique serait immédiat.
- Usines automobiles de Puebla et Guanajuato qui tournent déjà au ralenti ? Elles pourraient fermer des lignes.
- Petits producteurs d’avocats du Michoacán ? Prix de vente qui s’effondrent.
- Travailleurs frontaliers qui perdent leur emploi des deux côtés.
Claudia Sheinbaum, la nouvelle présidente mexicaine, marche sur des œufs. Elle a déjà réussi à calmer Trump sur la question migratoire en déployant des milliers de militaires à la frontière et en durcissant les contrôles anti-drogue. Va-t-elle céder sur l’eau ? Ou tenir bon au risque de déclencher une guerre commerciale dont personne ne sortirait gagnant ?
Y a-t-il des solutions techniques possibles ?
Des experts en ressources hydriques proposent depuis des années des pistes concrètes :
- Rénovation des infrastructures mexicaines pour réduire les pertes (jusqu’à 40 % d’eau s’évapore ou fuit dans certains canaux).
- Programmes communs d’économie d’eau dans l’agriculture des deux pays.
- Échanges « eau contre énergie » : les États-Unis pourraient fournir plus d’électricité ou de gaz naturel en contrepartie d’un débit garanti.
- Création d’un fonds binational pour moderniser les barrages et les systèmes d’irrigation.
Mais tout cela demande du temps, de l’argent et surtout une confiance politique qui fait cruellement défaut en ce moment.
Et demain ? Vers une renégociation totale du traité ?
Ce qui est fascinant dans cette crise, c’est qu’elle met en lumière l’obsolescence de certains accords signés au siècle dernier. Le traité de 1944 a été conçu dans un monde où la population des deux côtés de la frontière était bien moindre et où personne n’imaginait le changement climatique tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Des voix s’élèvent déjà pour demander une renégociation complète. Pas seulement sur les volumes, mais sur la prise en compte des réalités nouvelles : variabilité climatique, droits des populations autochtones, qualité de l’eau polluée par les industries des deux côtés.
Trump, avec son style direct, a peut-être mis le doigt là où ça fait mal. Sa méthode est brutale, contestable, mais elle force tout le monde à remettre le sujet sur la table. Et parfois, il faut un électrochoc pour faire bouger des dossiers enkystés depuis des décennies.
Ce que cette crise nous dit du monde qui vient
Au-delà du bras de fer actuel, cette histoire d’eau entre le Mexique et les États-Unis est un avertissement. Partout sur la planète, les ressources hydriques deviennent des enjeux stratégiques majeurs. On l’a vu avec le Nil entre l’Éthiopie et l’Égypte, avec le Jourdain, avec le Mékong… Bientôt, l’eau pourrait valoir plus cher que le pétrole.
Et quand deux pays voisins partagent une rivière, la coopération ou la confrontation deviennent les seules options possibles. Trump a choisi la seconde. Sheinbaum va devoir répondre. Et nous, on regarde, un peu sidérés, réaliser que l’eau, cette ressource qu’on ouvrait sans y penser, est en train de devenir le nouveau champ de bataille géopolitique du XXIe siècle.
Alors, qui cédera en premier ? Les barrages mexicains vont-ils s’ouvrir avant la fin de l’année ? Ou allons-nous assister au retour des grandes guerres commerciales made in Trump ? Une chose est sûre : ce dossier est loin d’être terminé. Et il risque de nous tenir en haleine encore longtemps.
